"Les fantômes d'Ismaël" : un Desplechin vertigineusement délicieux

Les Fantômes d’Ismaël
De Arnaud Desplechin (Fr, 1h50) avec Mathieu Amalric, Marion Cotillard...

Avec ce nouveau film présenté en ouverture, hors compétition, au festival de Cannes, Arnaud Desplechin entraîne ses personnages dans un enchâssement de récits, les menant de l'ombre à la lumière, de l'égoïsme à la générosité. Un thriller romanesque scandé de burlesque, entre John Le Carré, Ingmar Bergman, Woody Allen et Alfred Hitchcock.

Revoici Arnaud Desplechin en sa pépinière cannoise, là où il a éclos et grandi. Qu'il figure ou non en compétition importe peu désormais : les jurys l'ont, avec une constance confinant au gag, toujours ignoré. De par sa distribution glamour internationale, Les Fantômes d'Ismaël convient ainsi à merveille pour assouvir l'avidité multimédiatique d'une ouverture de festival. Il allie en sus les vertus quintessentielles d'un film d'auteur – d'un grand auteur et d'un grand film.

Ismaël (Mathieu Amalric) en est le héros paradoxal : inventeur d'histoires, ce cinéaste se trouve incapable de tourner après que Carlotta (Marion Cotillard), son épouse disparue depuis 20 ans, a refait surface dans sa vie. Plus fort que ses fictions, ce soudain coup de théâtre a en outre provoqué le départ de sa compagne Sylvia (Charlotte Gainsbourg)...

Du grand spectral

Si Desplechin exprime ici un désir frénétique de romanesque, il montre que l'imprévisibilité de l'existence surpasse par son imagination la plus féconde des machines à créer... dans le temps qu'il démultiplie les déploiements d'arcs narratifs internes ou croisés, comme les niveaux d'inclusion du récit (passé/présent ; fiction/réalité ; songe/éveil). Prétérition que cette manière de minimiser la puissance du conte en révélant son incommensurable pouvoir ! Cela n'est pas sans évoquer la vraie-fausse procrastination du narrateur de Trois jours chez ma mère de François Weyergans – un portrait d'auteur indécis débouchant sur un roman brillant d'épure et un Goncourt en 2005. Quand l'inaboutissment apparent devient un parachèvement...

Desplechin n'aimant rien tant que tendre des fils virtuels entre ses films, chaque nouvelle œuvre en resserre davantage les liens. Pivots de son cosmos, ses personnages feignent d'être récurrents : une même identité peut ainsi se trouver incarnée par des individus dissemblables et cependant proches, avatars successifs d'une "idée". Et ces personnages se confondent avec les acteurs : aux côtés de l'inamovible Amalric, Marion Cotillard resurgit ici dans la galaxie Desplechin après avoir été la figure évanescente et muette de la Pentecôte dans Comment je me suis disputé ... il y a vingt ans. Lestée à présent d'une gravité (à toutes les acceptions du terme) seyant aux mystères de la spectrale Carlotta. Non pour hanter ni châtier mais, les tourments passés, annoncer en définitive une épiphanie, une joie. Desplechin, cet optimiste caché...

Les Fantômes d'Ismaël
de Arnaud Desplechin (Fr., 1h54) avec Mathieu Amalric, Marion Cotillard, Charlotte Gainsbourg...

à lire aussi

vous serez sans doute intéressé par...

Samedi 21 mai 2022 Retrouvailles entre Arnaud Desplechin, ses comédiens, ses thèmes, sa ville de naissance, mais aussi avec la Croisette, à l’occasion d’une tragédie familiale, où l’amour est étudié à travers son exact opposé. Où l’on mesure qu’une absence est aussi...
Vendredi 22 avril 2022 Orfèvre dans l’art de saisir des ambiances et des climats humains, Mikhaël Hers ("Ce sentiment de l’été", "Amanda"…) en restitue ici simultanément deux profondément singuliers : l’univers de la radio la nuit et l’air du temps des années 1980. Une...
Lundi 17 janvier 2022 C’est l’histoire d’un cinéaste presque assuré de décrocher sa seconde Palme d’Or mais qui, en sortant une provoc’ débile durant sa conférence de presse (...)
Jeudi 23 décembre 2021 Adaptation d’un roman de Philip Roth qui lui trottait depuis longtemps en tête, la tromperie d'Arnaud Desplechin est aussi un plaidoyer pro domo en faveur du droit de l’artiste à transmuter la vérité de son entourage dans ses œuvres....
Mardi 7 septembre 2021 Un analyste opiniâtre du BEA, ayant découvert que les enregistrements d’un crash aérien ont été truqués, se trouve confronté à l’hostilité générale… Yann Gozlan creuse le sillon du thriller politique, lorgnant ici le versant techno-paranoïde et...
Mercredi 7 juillet 2021 Espéré depuis un an, avec son titre qui est une quasi anagramme d'attente, le nouveau Carax tient davantage de la captation d’un projet scénique que de ses habituelles transes cinématographiques. Vraisemblablement nourrie de son histoire intime,...
Mardi 22 septembre 2020 À la fois “moking of” d’un film qui n’existe pas, reportage sur une mutinerie, bacchanale diabolique au sein du plus déviant des arts, vivisection mutuelle d’egos et trauma physique pour son public, le nouveau Noé repousse les limites du cinéma. Une...

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X