Samedi 30 septembre 2017 de Éric Toledano & Olivier Nakache (Fr., 1h57) avec Jean-Pierre Bacri, Jean-Paul Rouve, Gilles Lellouche…
Jean-Pierre Bacri : « Avec Olivier Nakache et Éric Toledano, je suis tombé sur deux potes »
Par Vincent Raymond
Publié Samedi 30 septembre 2017
Photo : Thibault Grabherr
Le Sens de la fête
De Eric Toledano, Olivier Nakache (Fr, 1h57) avec Jean-Pierre Bacri, Jean-Paul Rouv...
Pour "Le Sens de la fête", leur sixième long-métrage en salle le 4 octobre, Olivier Nakache et Éric Toledano (les réalisateurs du fameux "Intouchables") ont partagé le plaisir de l'écriture du scénario avec un maître en la personne de leur interprète, Jean-Pierre Bacri. Entretien exclusif avec trois auteurs unis par le sens de l'affect... et de l'humour à froid.
Ces jours heureux puis Nos jours heureux étaient nourris d'expériences vécues. Est-ce encore le cas avec Le Sens de la fête ou bien avez-vous dû vous documenter sur le monde des traiteurs ?
Olivier Nakache : C'est exactement... les deux. Avec Éric, dans notre jeunesse, nous avons travaillé dans le milieu de la fête à tout un tas de postes. Et nous avons effectué un travail d'enquête auprès des brigades de serveurs pour pouvoir préparer le scénario au mieux en s'inspirant de la réalité. Le film démarre par une embrouille entre la brigade de serveurs et l'orchestre pour le monte-charge : on a vu dix fois ces querelles d'ego, et la hiérarchie que chacun veut s'inventer.
Mais on a dû se récréer des anecdotes vraies pour pouvoir les transformer à notre sauce. Par exemple, les feuilletés aux anchois pour faire patienter les convives, ce n'est pas totalement sorti de notre cerveau...
Éric Toledano : Dans les mariages, on a toujours été touchés par ceux qui auraient voulu être plus. Je pense beaucoup au personnage de Gilles, un chanteur aurait voulu jouer devant un vrai public. On a un forme de tendresse pour lui, pour ces artistes qui n'ont pas atteint Bercy mais donnent du plaisir aux gens.
Max, votre héros campé par Jean-Pierre Bacri, mêle une activité de poète et de marchand. Il est aussi une nounou pour les gens qui travaillent avec lui et les personnes qui l'engagent, tout en étant capable d'être dirigiste. En fait, c'est un réalisateur et votre film est une autobiographie...
ET : Sûrement de manière inconsciente. On voit toute la partie émergée du mariage, et pas tout ce qui se passe pour que ça existe. Effectivement, il y a forcément cette métaphore.
Jean-Pierre Bacri : (songeur) Un mec avec son équipe qui fabrique un miracle... C'est pas mal, je n'y ai jamais pensé, c'est pas mal... C'est marrant parce qu'on peut s'amuser : Adèle, c'est son premier assistant. Et il y a les stagiaires, le régisseur, la cantine...
ET : Il y a tout ça, mais parler du cinéma, ça a été beaucoup fait. Et je ne suis pas certain que ça intéresse tant les gens. Là, c'est plus proche de la réalité du travail et ça nous permettait de tout mélanger – la vie personnelle, le travail... Je dis souvent que les réalisateurs font toujours le même film : ils se répètent toujours, mais différemment. Nous, on aime le mélange, on aime l'idée que les gens sont peut-être désagréables au premier abord, et puis on les rattrape, en essayant d'ajouter de l'humour...
JPB : (pince sans rire) Oui mais alors ça, hein, c'est pas très réussi, en revanche. L'humour à chaque fois...
ON : (sur le même jeu) On te l'avait pas vendu comme ça, au début. C'était un drame...
JPB : (continuant) C'est marrant, ça ! Vous n'avez pas le sens de ça. Fabriquer des situations, ça oui... Des personnages qui existent, mais l'humour... Les gens ne rient pas...
ET : (tentant de retrouver son sérieux) Mais l'humour...
JPB : C'est pas facile, hein...
ET : C'est peut-être aussi l'idée de se dire qu'on n'est pas toujours certain d'être intéressant. Donc si jamais les gens sont pas forcément intéressés, au moins, qu'ils se marrent ! Et s'ils sont intéressés, tant mieux.
ON : C'est pour cela qu'on a pris un acteur de drame, qui avait jamais fait de comédie (rires).
Justement, quand on crée une situation comique, jusqu'où s'autorise-t-on à pousser le curseur ? À quel moment la situation atteint-elle son point d'équilibre ?
ON : C'est notre baromètre à nous, on a "notre" sens de l'humour et ça nous saute aux yeux quand on risque de dépasser la limite. Il y a un travail au début au scénario, ensuite sur le tournage, on peut tester des choses. Et puis le montage, qui est un filet de pêche et qui trouve le bon équilibre. C'est notre appréciation subjective à tous les deux, avec les acteurs autour de nous. Parfois, si on pousse le bouchon un peu loin, on peut se rendre compte rapidement qu'on est à côté de la cible, mais ça s'aiguise sur le tournage.
ET : Même avec Jean-Pierre, on lisait parfois dans son regard : c'est limite. On écoute aussi ce que les gens qui vont interpréter les personnages ressentent. La limite est étroite, le fil est toujours tendu.
Max est un personnage du quotidien, avec des préoccupations normales...
ET : Le cinéma a évolué, les héros ont changé de visage. On s'en est rendu compte. On avait un cinéma fait de gens beaux – Belmondo, Delon... Le banal, c'est de rendre plus extraordinaire l'ordinaire.
ON : Mais Jean-Pierre est beau...
JPB : (pince sans rire) Oui, c'est l'exception...
ET : (sur le même mode) C'est lui qui, effectivement, fait la jointure entre la beauté et le jeu.
ON : (idem) Avant on avait Omar, mais Omar...
ET : (idem) Omar n'est pas physiquement très beau par rapport à Jean-Pierre, mais... il danse... mieux !
JPB : (idem) Oui, à la limite...
ET : (reprenant son sérieux) Mais les personnages plus ordinaires sont devenus plus intéressants et on a changé les figures du héros, qui peut être plus dans le quotidien. On les sent moins James Bond.
Au générique, vous remerciez vote "petit plus", Jean-Pierre Bacri...
ET : En vérité, c'est beaucoup plus qu'un petit plus. Jean-Pierre nous a aidés à l'écriture, il a toujours donné son avis, ses idées. C'est une consultation de luxe : c'est comme si vous aviez un expert du scénario qui a travaillé avec Alain Resnais, Agnès Jaoui ; qui a fait des films qui sont allés à Cannes, qui ont eu des César, qui a eu des Molière encore récemment. Il a voulu rester discret sur sa participation et ça s'est transformé en cette petite phrase.
ON : Pour nous c'était important qu'il soit au générique, que les gens le voient ou pas. On ne pouvait pas ne pas le mettre parce qu'il a donné beaucoup, son implication est totale. Quand il fait un film – et il n'en fait pas beaucoup –, c'est déjà une chance.
Quand on présente un script à Jean-Pierre Bacri, y a-t-il de l'angoisse par rapport à ce qu'il représente ou de la gourmandise dans l'anticipation de le diriger ?
ET : Un mélange des deux. On sait que l'on va être jugé – il n'est pas réputé pour avoir le jugement le plus doux (rires). Il est radical, jamais dans la demi-mesure. On avait un peu peur, mais on y est allés en connaissance de cause : on lui a montré une première version en lui disant que nous avions un désir de travailler avec lui et que c'était améliorable.
Jean-Pierre, vous avez l'habitude de cet exercice du "dialogue" dans l'écriture...
JPB : Oui, j'adore ça. C'est très stimulant de réfléchir à comment éviter une impasse ; de dire « c'est trop », ou « non il y a une note de trop ; on a déjà fait ce refrain-là, donc on va passer à autre chose ». On s'amusait beaucoup à ajuster les trucs avec le plus d'exigence dont on est capable. Il y avait ce plaisir de trouver la justesse.
Donc la partition est à trois mains ?
JPB : Non, je dirais que c'est à deux mains un quart, parce que je suis arrivé tard. Le scénario était écrit, bâti ; il y avait un bel objet tout prêt et mon travail, c'était une partie de plaisir. Je n'avais qu'une chose à dire: « Un peu moins de chantilly là, oui c'est bien les pralines, si on mettait une amande ? » Tout était là : je m'amusais à trouver des trucs de façon à le rendre à mes yeux encore plus goûteux et délicieux.
ET : Souvent les acteurs rechignent, discutent sur le texte. Mais il arrivait à Jean-Pierre de discuter pendant une heure sur une scène où il n'était pas. C'était agréable : on le sentait bienveillant sur l'ensemble du film et pas que sur son rôle.
JPB : C'est un truc de scénariste ; un goût, un plaisir que j'ai. Je ne peux pas m'empêcher de dire : « c'est con cette scène », même si je ne suis pas. J'aime le faire quand on me permet. Et quand on me permet, je parle. Mais quand je vois que le type s'arc-boute sur son texte, « c'est comme ça c'est pas autrement », j'abandonne, je ne me bats pas.
Mais si je tombe sur un copain – parce qu'en fait je suis tombé sur deux potes –, la discussion vient toutes seule, on est scénaristes tous les trois, on s'amuse. Quand ça se produit, ça se produit... C'est comme quand tu rencontres des personnes dans une soirée, soit tu discutes pendant 4 heures, soit tu ne dis rien et tu casses.
ON : Le rebond marchait bien entre nous. Et d'une idée débattue, il en sortait forcément quelque chose.
ET : On n'a jamais fait l'économie de la contrainte : ça a toujours été un moteur. Parfois, on était satisfaits de certaines scènes, et pas Jean-Pierre. Mais cela ne nous a jamais démotivés. Créer de la contrainte, c'est créer de l'exigence et l'on est forcément demandeurs, à tous les niveaux. On sera toujours moins séduits par quelqu'un qui nous dit « c'est génial » que par quelqu'un qui nous prend la tête et nous explique comment filmer d'une autre manière. L'art naît de contraintes.
à lire aussi
vous serez sans doute intéressé par...
Vendredi 24 mars 2023 Pour son troisième long-métrage, Jeanne Herry s’intéresse à une étonnante alchimie : la rencontre entre coupables et victimes dans le cadre de la justice restaurative. Un processus qui donne matière à réflexion cinématographique et révèle sa méthode...
Lundi 30 janvier 2023 Changement total d’incarnation pour les deux Gaulois créés par Uderzo et Goscinny : leur cinquième aventure en prises de vue réelles marque l’arrivée du svelte Gilles Lellouche dans les braies d’Obélix tandis que Guillaume Canet occupe les rôles...
Lundi 9 mai 2022 D’une histoire vraie, Jean-Pierre Améris a tiré le sujet de son nouvel opus, une comédie sociale et chorale sur fond de problématiques rurales contemporaines. Tourné dans les verdoyants paysages du Cantal, ce film apparaît à bien des égards comme un...
Mardi 4 janvier 2022 Après y avoir déjà présenté en avant-première "Pour Elle" et "À bout portant", Fred Cavayé avait réservé l’exclusivité de son nouveau film "Adieu Monsieur Haffmann" au Festival de Sarlat. Bien lui en a pris : son drame se déroulant durant...
Mardi 21 janvier 2020 De Arnaud Viard (Fr., 1h29) avec Jean-Paul Rouve, Alice Taglioni, Benjamin Lavernhe…
Lundi 21 octobre 2019 D'Éric Toledano & Olivier Nakache (Fr., 1h54) avec Vincent Cassel, Reda Kateb, Hélène Vincent…
Mardi 3 septembre 2019 Sortie triomphalement au printemps, "Parasite" de Bong Joon-ho, la Palme d’or du dernier Festival de Cannes, laisse un boulevard aux films de l’automne, qui se bousculent au portillon. À vous de les départager ; ex aequo autorisés.
Mardi 2 juillet 2019 L'été, les écrans géants fleurissent en ville pour proposer aux citadins en mal d'évasion des voyages cinématographiques à la fraîche. Petit sélection maison de ce qu'à la nuit tombée, nous pourrons voir de meilleur en juillet et en août à Grenoble...
Mardi 30 avril 2019 De Guillaume Canet (Fr., 2h15) avec François Cluzet, Marion Cotillard, Gilles Lellouche…
Mardi 26 février 2019 de Mohamed Hamidi (Fr 1h30) avec Gilles Lellouche, Malik Bentalha, Sabrina Ouazani…
Mardi 4 décembre 2018 de Jeanne Herry (Fr, 1h47) avec Sandrine Kiberlain, Gilles Lellouche, Élodie Bouchez…
Mardi 27 novembre 2018 de et avec Jean-Paul Rouve (Fr, 1h45) avec également Ludivine Sagnier, José Garcia…
Jeudi 18 octobre 2018 de Gilles Lellouche (Fr, 2h02) avec Mathieu Amalric, Guillaume Canet, Benoît Poelvoorde…
Mardi 9 octobre 2018 de et avec Michel Blanc (Fr, 1h28) avec également Karin Viard, Carole Bouquet, Charlotte Rampling…
Mardi 18 septembre 2018 de Cédric Anger (Fr, 1h59) avec Guillaume Canet, Gilles Lellouche, Camille Razat…
Mardi 4 septembre 2018 de Cécilia Rouaud (Fr, 1h38) avec Vanessa Paradis, Camille Cottin, Pierre Deladonchamps…
Lundi 16 avril 2018 Entre cuisine, dépendance et grand jardin, Place publique, nouveau ballet orchestré par Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, tient de la comédie de caractère, s’inscrivant dans la lignée du théâtre de Molière – au point de tendre à respecter la triple...
Lundi 16 avril 2018 de et avec Agnès Jaoui (Fr, 1h38) avec également Jean-Pierre Bacri, Léa Drucker, Kévis Azaïs…
Mardi 30 janvier 2018 de Olivier Baroux (Fr., 1h32) avec Jean-Paul Rouve, Isabelle Nanty, Claire Nadeau…
Lundi 28 août 2017 Bien sûr, on en oublie. Mais il y fort à parier que ces quatorze films constituent des pierres de touche de la fin 2017. Alors sortez votre agenda et cochez les jours de sortie avec nous.
Mercredi 5 juillet 2017 En catimini, Éric Toledano et Olivier Nakache, à qui l'on doit le fameux Intouchables, ont montré leur cinquième long-métrage dans les marges du dernier (...)
Mardi 27 juin 2017 de Gérard Pautonnier (Fr.-Bel.-Pol., 1h26) avec Jean-Pierre Bacri, Arthur Dupont, Olivier Gourmet, Fedor Atkine…
Mardi 14 février 2017 de et avec Guillaume Canet (Fr., 2h03) avec également Marion Cotillard, Gilles Lellouche…
Lundi 9 janvier 2017 de Lisa Azuelos (Fr., 2h04) avec Sveva Alviti, Riccardo Scamarcio, Jean-Paul Rouve…
Mardi 2 février 2016 D'Olivier Baroux (Fr., 1h34) avec Jean-Paul Rouve, Isabelle Nanty, Claire Nadeau…
Mardi 10 février 2015 Alors que sort ce mercredi le film "L’Enquête" de Vincent Garenq qui retrace le travail acharné de Denis Robert pour démontrer les pratiques de Clearstream, la banque des banques luxembourgeoise, retour sur un scandale qui a redéfini les rapports...
Mardi 10 février 2015 De Vincent Garenq (Fr, 1h46) avec Gilles Lellouche, Charles Berling, Laurent Capelluto…
Mardi 14 octobre 2014 Retour de Nakache et Toledano, duo gagnant d’"Intouchables", avec une comédie romantique sur les sans-papiers. Où leur sens de l’équilibre révèle à quel point leur cinéma est scolaire et surtout terriblement prudent.
Christophe Chabert
Vendredi 6 décembre 2013 De et avec Valérie Lemercier (Fr, 1h38) avec Gilles Lellouche, Marina Foïs…
Jeudi 5 septembre 2013 De Julien Leclercq (Fr, 1h53) avec Gilles Lellouche, Tahar Rahim, Riccardo Scamarcio…
Lundi 4 mars 2013 Entretien avec Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui.
Propos recueillis par Christophe Chabert
Mercredi 27 février 2013 Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri font entrer une fantaisie nouvelle dans leur cinéma en laissant à une génération de jeunes comédiens pris à l’âge des contes de fées le soin de se heurter à leur réalité d’adultes rattrapés par l’amertume et les...
Jeudi 15 novembre 2012 Avec cette adaptation de François Mauriac, Claude Miller met un très beau point final à son œuvre : réquisitoire contre une bourgeoisie égoïste, cruelle et intolérante, le film fait vaciller son rigoureux classicisme par une charge de sensualité et...
Vendredi 31 août 2012 De Pascal Bonitzer (Fr, 1h40) avec Jean-Pierre Bacri, Kristin Scott-Thomas, Isabelle Carré…
Vendredi 31 août 2012 Rencontre autour de la rencontre de Jean-Pierre Bacri et Pascal Bonitzer pour "Cherchez Hortense" : deux mondes de cinéma a priori étanches, mais unis au cours de l’interview par une vraie complicité.
Propos recueillis par Christophe Chabert
Vendredi 8 juin 2012 Avec cette fable très personnelle où un homme de quarante ans pense retrouver l’enfant qu’il était et le père qu’il a perdu, Jean-Paul Rouve témoigne, à défaut d’un vrai style, d’une réelle ambition derrière la caméra. Christophe Chabert
Lundi 27 février 2012 De Jean Dujardin, Gilles Lellouche, Michel Hazanavicius, Emmanuelle Bercot, Éric Lartigau, Alexandre Courtès, Fred Cavayé (Fr, 1h48) avec Jean Dujardin, Gilles Lellouche…
Mercredi 26 octobre 2011 D’Olivier Nakache et Éric Toledano (Fr, 1h52) avec Françoi Cluzet, Omar Sy, Audrey Fleurot…
Vendredi 12 juin 2009 D’Olivier Nakache et Eric Toledano (Fr, 1h42) avec Vincent Elbaz, Audrey Dana, Isabelle Carré…