Nicolas Trigeassou : à livre ouvert

Portrait / Alors que la rentrée littéraire et ses 567 nouveautés sont au cœur de l’actualité, Nicolas Trigeassou, directeur de la librairie grenobloise Le Square, est sorti des cartons pour évoquer ses romans lus et approuvés. Et en a profité pour nous parler de lui, de son parcours et des enjeux du secteur de l'édition.

« Je dirais que Yakari, quand j’étais tout-petit, m’a donné envie de me tourner vers les métiers du livre… Ou c’est peut-être plus l’auteur Georges Perec, j’hésite ! » Dans un petit bureau à l’étage de la librairie Le Square, place Docteur Léon-Martin à Grenoble, Nicolas Trigeassou, son directeur vêtu d’une élégante chemise blanche, nous raconte ses passions de libraire. « On ne cesse d’apprendre, d’être bousculé par la création, par de nouvelles propositions, de nouvelles écritures. »

L’occasion unique pour lui de découvrir de nouvelles plumes, c'est notamment cette rentrée littéraire avec ces 567 nouveaux livres qui paraîtront jusqu’à la fin du mois d’octobre. « Avec mon équipe de onze personnes, on défriche, on fait des tris entre les romans à découvrir et ceux qui sont moins indispensables. Il y en a beaucoup. Mais je considère cette surproduction comme une vague porteuse d’énergie. Et c’est un plaisir immense d’être les premiers à découvrir les textes. »

Ce travail d’Hercule mené chaque année dès la fin du mois d’avril l’amène ainsi à dénicher des pépites. « Cette rentrée, il y a des voix que l’on est contents de retrouver comme Maylis de Kerangal avec Un monde à portée de main, Jérôme Ferrari avec À son image, mais aussi des auteurs moins connus comme Bertrand Schefer qui a écrit un texte sur un fait divers qui s’est produit dans les années 1960, un sublime jeu entre littérature et réalité. » Quant aux romans étrangers, le choix du directeur se porte notamment sur Évasion de Benjamin Whitmer, « un polar incroyable autour d’une traque ».

« Quand une personne revient nous dire que le livre l’a touchée, on a gagné »

Bien que ces romans soient ses coups de cœur, Nicolas Trigeassou ne les conseillera pas nécessairement à ses clients. Il attendra plutôt qu’ils viennent à lui. « On ne cherche surtout pas à influencer ou imposer des textes. Il faut accueillir le lecteur et trouver le livre le plus juste dans cet océan de possibilités, mais aussi lui faire entendre d'autres voix. Quand une personne revient nous dire que le livre l’a touchée, on a gagné. Et les personnes nous apportent ensuite elles aussi des idées de lecture. »

C’est sur cette importance donnée au rapport au lecteur que la librairie, créée en 1954 dans un premier temps rue Casimir-Périer et initialement spécialisée dans le savoir et les publications universitaires, a bâti sa réputation. Une réputation que Nicolas Trigeassou entend faire perdurer depuis qu’il en est devenu directeur en 2014, à la suite de Françoise Folliot. Et a priori avec brio. « La librairie a enregistré un chiffre d’affaires de près de 2.6 millions d’euros au dernier exercice. »

Il faut dire que Nicolas Trigeassou a une fine connaissance de l’enseigne qu’il arpente depuis 1999 (à cette période, la librairie a déjà déménagé place Docteur Léon-Martin). C’est après des études de lettres et de sociologie à Bordeaux et deux années à Bristol, en Angleterre, pour se former à la cuisine (son autre passion) que le Poitevin d’origine entre au Square en tant que stagiaire.

« À l'époque, la librairie était membre de l’association L’œil de la lettre qui regroupait une trentaine de librairies indépendantes en France, parmi lesquelles les plus exigeantes. Toutes faisaient une incroyable promotion de la littérature. Je me suis dit que c’était le lieu idéal pour apprendre le métier. » Deux mois plus tard, alors âgé de 27 ans, on lui propose un poste de libraire. Sa carrière est lancée.

Les rencontres, « une possibilité d’entrer dans les coulisses »

Dès lors, ce sont les rencontres, ces discussions avec un écrivain pendant une heure autour de son livre et de son œuvre, que Nicolas Trigeassou continue de développer et qui font la réputation de la librairie. « Pour le lecteur, c’est une possibilité d’entrer dans les coulisses. Un auteur ouvre son atelier, raconte comment il pense les choses, comment il écrit. Pour les auteurs, ça leur permet de voir différentes sensibilités s’emparer de leur texte, écrit en solitaire. » Ainsi, des grands noms comme Éric Vuillard et Mathias Enard, tous deux récipiendaires du Prix Goncourt, ou encore le dessinateur Frédéric Pajak, sont passés entre ces murs.

« Pour avoir ces noms, il faut lire au plus vite leur livre afin de les inviter en avance. D’année en année, on essaye d’avoir des bonnes intuitions et on fait des paris. Les auteurs apprécient l’attention des lecteurs grenoblois et la finesse de leurs questions. Et surtout, ils vivent de beaux moments d’émotion. » Le directeur se souvient de certains d’entre eux, comme « Riad Sattouf qui avait demandé à tout le monde de sourire pour pouvoir envoyer une vidéo à sa maman » ou « Édouard Louis qui, lui, avait dix mamans qui voulaient l’adopter à l’issue de la rencontre ».

À partir de septembre et jusqu’à fin novembre, ce sera au tour du fameux sociologue Pierre Rosanvallon, de la romancière Tiffany Tavernier et peut-être même de la journaliste Florence Aubenas de franchir les portes de la librairie. À noter également la présence en décembre de la créatrice de bande dessinée Zeina Abirached, à l’origine du livre de dessin Le Piano oriental (2015) dans lequel elle rendait merveilleusement hommage à la culture libanaise. Cette fois-ci, elle viendra pour Prendre refuge, un livre écrit en duo avec Mathias Enard.

« Le tissu des librairies est encore important »

Jusqu’ici, tout semble donc avoir coulé de source au Square. Mais Nicolas Trigeassou a pourtant dû, dès sa prise de responsabilité, composer avec des enjeux majeurs, comme celui du développement du marché de l'édition numérique. « La librairie a un site depuis près de quinze ans. C’était au départ un portail où trouver des critiques de livres et des informations sur nos rencontres. Pour être aussi présents sur la vente en ligne, nous avons depuis 4 ans un espace sur lequel on peut réserver, commander, et aussi acheter des livres numériques. Après, je dirais que le numérique n'a pas vraiment chamboulé le secteur de l'édition en France car le tissu des librairies est encore important, l’édition très vive et l’objet très apprécié des Français. »

Et, semble-t-il, particulièrement des jeunes. « Ils lisent beaucoup. Il n y a qu’à voir le développement des lectures jeunesse depuis Harry Potter, une littérature souvent fantastique et complètement nouvelle qu’ils dévorent. Ça correspond à d’autres canons comme la série ou les mangas ! Quand j’étais ado ça n’existait pas. » D’ailleurs, ce ne sont pas les chiffres qui diront le contraire. Selon une étude Ipsos publiée en juin par le Centre national du livre, les 15-25 ans sont 86 % à avoir lu un livre les 12 mois précédents. Ah, le bon vieux livre papier n'a pas pris une ride, et on s’en réjouit, tout comme Nicolas Trigeassou !


Repères

1972 : Naissance à Poitiers

1990 : Classe préparatoire de lettres à Bordeaux

1996 : Arrivée à Grenoble

1996 – 1997 : Voyage à Bristol

1999 : Stage au Square puis embauche comme libraire

2014 : Prise de direction du Square

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