Le portrait plein de vie d'une adolescente née garçon luttant pour son identité sexuelle et pressée de devenir femme. Une impatience passionnée se fracassant contre la bêtise à visage de réalité, filmée avec tact et transcendée par l'interprétation de l'étonnant Victor Polster. Et un très grand film.
Jeune ballerine de 15 ans, Lara se bat pour rester dans la prestigieuse école de danse où elle vient d'être admise, mais aussi pour accélérer sa transition de garçon en fille. La compréhension bienveillante de ses proches ne peut hélas en empêcher d'autres d'être blessants. Jusqu'au drame.
Girl pose un regard neuf sur des sujets divers, lesquels sont loin de l'être : la danse comme école de souffrance et de vie (on se souvient de la claque Black Swan de Darren Aronofsky en 2011), la difficulté de mener une transition de genre (voir Transamerica de Duncan Tucker en 2006), la vie d'un parent isolé élevant deux enfants. Des thèmes rebattus mais qui, par coagulation et surtout grâce à une approche déconcertante, c'est-à-dire bannissant les situations attendues, trouvent une perspective nouvelle.
Ainsi, la question de l'acceptation par la famille du choix intime de la jeune Lara ne se pose même pas ; au contraire bénéficie-t-elle ici d'un accompagnement solide et complice. Quant aux professeurs de danse, ils n'ont rien des tyrans ordinaires martyrisant les petits rats. Bref, outre l'absence de la mère (qui permet par ailleurs à Lara d'exercer une présence maternante auprès de son petit frère), le contexte s'avère des plus favorables pour son épanouissement. N'étaient les autres ballerines... Leur inconséquence immature va torpiller l'équilibre si miraculeux (et fragile) de Lara. Chahutée, intoxiquée par le groupe comme la Carrie de Stephen King et de Brian De Palma, Lara va elle aussi passer à l'acte de manière spectaculaire.
Polster à l'affiche
Le jury de la section Un certain regard du dernier Festival de Cannes a eu la grande intelligence de décerner à Victor Polster un prix d'interprétation sans mentionner de genre, car il incarne totalement l'ambiguïté confondante du personnage, au point que l'on oublie sa masculinité, et ce sans qu'il ait besoin de se livrer à des mimiques efféminées outrées. C'est par sa sobriété qu'il devient elle, par sa retenue et ses larmes rentrées qu'il fait ressentir son incommensurable douleur ; par sa sérénité tranquille qu'elle affiche son bonheur final.
On ne sait pas si Polster va continuer dans la danse, mais ce serait une sacrée perte s'il abandonnait le cinéma. Pour le réalisateur Lukas Dhont, on ne se fait pas de souci : le producteur Michel Saint-Jean lui a promis un pont d'or avant qu'il obtienne la Caméra du même métal qui consacre un premier film. Vivement la suite !
Girl
de Lukas Dhont (Bel, 1h46), avec Victor Polster, Arieh Worthalter, Katelijne Damen...