Exploité par des paysans eux-mêmes asservis, le brave et candide Lazzaro fait tout pour aider son prochain, bloc de grâce dans un monde de disgrâce. Un conte philosophico-métaphysique à l'ancienne qui a valu à la réalisatrice italienne Alice Rohrwacher le Prix du scénario lors du dernier Festival de Cannes.
La vie d'un groupe de paysans italiens contemporains maintenus en servage, hors du monde, par une marquise avaricieuse, et la singulière destinée de l'un d'entre eux, Lazzaro. Valet de ferme innocent et bienheureux, sa bonté naïve rivalise avec l'étrangeté de ses dons...
Heureux comme Lazzaro s'inscrit dans la tradition d'un certain cinéma italien brut et rêche des années 1960-1970. En dépeignant de manière documentarisante l'âpreté d'un quotidien rural du début du XXe siècle (dont on découvrira, avec effarement, qu'il se situe en fait à la fin du même siècle), Alice Rohrwacher ressuscite l'indigence austère des ambiances paysannes façon L'Arbre aux sabots d'Ermanno Olmi ou Padre Padrone des Taviani.
Mais elle s'en démarque en teintant son réalisme de magie : Lazzaro, tel une créature surnaturelle issue de Théorème ou d'un autre fantasme pasolinien, provoque des miracles. Sa seule existence s'avère d'ailleurs prodigieuse : il semble imperméable au temps qui passe ainsi qu'à la mort – son prénom l'y prédestinait.
Rousseau, es-tu là ?
Alice Rohrwacher possède un indéniable sens du récit et de la générosité à revendre, mais également le défaut de ses qualités. Résultat : son film claudique lorsque se déploie sa seconde partie, quand après une ellipse de quelques années, Lazzaro retrouve en ville sa famille qui l'a abandonné. Montrant la clochardisation des malheureux censés avoir été "sauvés" de l'asservissement, ce volet s'égare dans sa longueur. Cette dénonciation implicite de l'incurie de l'État responsable de cette marginalisation suggère un peu laborieusement que le serf à l'état de nature équivaut au lumpenprolétariat urbain ; il manque toutefois ici l'humour acide de Scola. Cela dit, on ne jettera pas la pierre à ce film (qui compte d'ailleurs un lynchage et où la figure du bouc émissaire est centrale) : lorsque l'on met la barre haut d'emblée, faire aussi bien par la suite donne l'impression de déchoir...
On notera, pour conclure, avec une pointe de regret le changement d'affiche à l'occasion de cette sortie en salles. Le film se prive du visuel très inspiré l'accompagnant lors du Festival de Cannes et qui reprenait astucieusement, sur un mode naïf, le fameux tableau de Antoine Wattea, Gilles. Un Pierrot lunaire avec lequel Lazzaro partage bien davantage que des bras ballants et des quinquets écarquillés : le désarroi des âmes pures face à l'incompréhensible noirceur du monde.
Heureux comme Lazzaro
de Alice Rohrwacher (It-Fr-Sui-All, 2h07) avec Adriano Tardiolo, Alba Rohrwacher, Nicoletta Braschi...