Exposition / Produite dans le cadre de l'événement national Japonismes 2018 et de l'Année du Japon en Isère, l'exposition "Des samouraïs au kawaii, histoire croisée du Japon et de l'Occident" en place au Musée dauphinois propose un passionnant parcours autour de cinq siècles habilement résumés. Visite guidée et entretien avec la commissaire d'exposition.
L'histoire commence plutôt bien : le hasard amène des navigateurs portugais à faire la découverte en 1543 d'une des îles de l'archipel du Japon. Dès l'introduction de l'exposition Des samouraïs au kawaii, histoire croisée du Japon et de l'Occident, en place à l'étage du Musée dauphinois, un paravent contemporain de l'événement témoigne de l'enthousiasme et de la curiosité partagés de ses protagonistes ; et un cabinet-écritoire, dont l'usage est aussi caractéristique de l'Occident que ses motifs décoratifs profondément nippons, atteste du dialogue culturel et commercial qui s'instaure rapidement. Plus loin, la fascination mutuelle se prolonge autour des techniques guerrières : une élégante armure de samouraï et un fusil à mèche en attestent.
Tout va bien donc, jusqu'à ce que les Jésuites étrangers, un brin trop prosélytes, agacent le gouvernement local qui décide d'interdire le christianisme avant, finalement, de verrouiller totalement le pays en mettant un terme à (quasiment) toutes les relations avec l'extérieur. S'ensuit une période étonnante de plus de deux siècles pendant lesquels le pays, malgré ce choix de vie autarcique, bénéficie d'un épanouissement artistique dont une salle témoigne magnifiquement en présentant estampes, masque de théâtre nô, service à thé et autres instruments de musique traditionnelle... Bref, une bonne partie de ce qui constitue désormais le patrimoine culturel nippon.
Ouverture et japonisme
La seconde partie de l'exposition débute au milieu du XIXe siècle, alors que le Japon, gentiment forcé par les Américains, réengage des échanges avec l'Occident. Précieusement présenté dans une vitrine, le fameux Traité d'amitié et de commerce signé en 1858 avec la France (qui en est largement bénéficiaire) introduit une salle consacrée à la modernisation accélérée de l'archipel. Un ensemble d'images rétroéclairées par des lampions illustre les considérables transformations entreprises alors par la société japonaise qui bascule en quelques décennies dans l'ère industrielle sous les yeux ébahis des Occidentaux – qui en profitent pour refourguer leur "savoir-faire".
Cette réouverture va permettre aux expressions artistiques nippones de s'exporter en nombre. C'est ce dont témoigne la salle suivante qui présente, en dialogue, autant des objets japonais que d'autres, occidentaux, qui leur doivent l'inspiration. Cet engouement, désigné par le terme de « japonisme », se manifeste autant dans le spectacle vivant (les costumes de l'opéra de Puccini Madame Butterfly), les arts décoratifs que les arts graphiques (le peintre Henri de Toulouse-Lautrec par exemple).
Nationalisme et Nintendo
Consacrée à la place du Japon sur la scène internationale, la dernière partie du parcours évoque, dans un premier temps, la montée, au Japon, de l'impérialisme, du militarisme et du nationalisme. Trois tares (en partie) d'inspiration occidentale qui conduiront à l'engagement du pays auprès de l'Allemagne nazie – un film de propagande loue « l'esprit héroïque et la force intérieure insoupçonnée » des Japonais. Les cours de gymnastique qu'on peut y apprécier transpirent, effectivement, l'ordre et la discipline ; présenté à proximité, un kimono de propagande, quant à lui, ne transpire pas franchement la réussite esthétique.
Passé une évocation rapide des bombardements nucléaires, un triptyque d'affiches (Jeux olympiques et Exposition universelle) atteste de la résilience des Japonais et de leur retour sur la scène internationale à la fin des années 1960. L'exposition se conclut alors par un ensemble qui ravira les quarantenaires désireux de retomber en enfance : figurines d'Astroboy et affiches de Goldorak côtoient des épisodes de Candy et des consoles Nintendo en accès libre !
Servie par une scénographie élégante, accompagnée d'un catalogue passionnant et ponctuée d'objets magnifiques (merci le Musée des Confluences de Lyon), cette exposition invite à une réflexion sur la manière dont la rencontre avec l'altérité contribue autant à l'évolution des peuples qu'à la construction de leur identité. Salutaire, surtout en ces temps de crispation identitaire.
Des samouraïs au kawaii, histoire croisée du Japon et de l'Occident
Au Musée dauphinois jusqu'au lundi 24 juin
3 questions à Fabienne Pluchart, commissaire de l'exposition
« Le Musée dauphinois revendique son ouverture d'esprit »
Par Aurélien Martinez
Pourquoi le Musée dauphinois, au nom très local, propose-t-il une exposition sur le Japon ?
Certes, ça peut paraître étrange mais si vous regardez, la programmation du musée va bien au-delà des Alpes et du Dauphiné. Ça fait très longtemps qu'on s'intéresse aux cultures d'ailleurs, comme il y a deux ans avec les Inuits, ou avant sur le Tibet par exemple. Alors bien sûr, nos collections et nos expositions de longue durée sont sur l'histoire de notre territoire et des personnes qui l'habitent, mais on va régulièrement vers d'autres horizons : une ouverture d'esprit que le Musée dauphinois revendique, même si son nom ne le montre pas forcément.
L'exposition revient sur presque cinq siècles d'histoire : c'est ambitieux ! Comment l'avez-vous travaillée ?
On a l'habitude au musée de faire des expositions sur des temps très longs, comme celle sur l'Afrique qui évoquait une période encore plus longue. Donc ça ne nous fait pas peur ! Mais pour ça, nous devons être très cohérents dans le parcours pour que tout soit bien clair pour le public, qu'il appréhende bien la succession des périodes. Et le fait qu'on soit partis d'une date – 1543 – qui marque cette rencontre entre le Japon et l'Occident nous a aidés pour appréhender le sujet, pour aller jusqu'à aujourd'hui où la culture japonaise est absolument partout.
D'où viennent les nombreuses pièces exposées ?
On a mis en place un partenariat très fort avec le Musée des Confluences à Lyon, qui nous en a prêtées 65 : c'est très rare qu'un musée prête autant d'objets. Et le reste a été emprunté aussi bien à d'autres musées qu'à des particuliers – comme les kimonos qui sont à une collectionneuse. C'était une exposition compliquée à monter, comme il y a un grand nombre de prêteurs et pratiquement 250 objets présentés. Le temps de recherche pour trouver ces collections a été important, surtout que quasiment tout a été emprunté comme le Musée dauphinois n'a pas de collection extra-européenne.