Antoine de Galbert : « Je collectionne des choses très torturées ! »

Souvenirs de voyage, la collection Antoine de Galbert

Musée de Grenoble

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Exposition / Figure singulière du milieu de l'art, le Grenoblois Antoine de Galbert fait partie des personnes qui bousculent gentiment les habitudes institutionnelles. Le voilà qui débarque au Musée de Grenoble pour dévoiler "Souvenirs de voyage", exposition centrée sur une partie de son immense et passionnante collection qui, à mille lieues des achats convenus que peuvent faire certains collectionneurs de son calibre, fait se côtoyer les grandes figures de l'art moderne, la jeune génération, l'art brut ou encore les objets ethnographiques. Voilà qui méritait bien une interview.

Qu’est-ce qu’un collectionneur ?

à lire aussi : "Souvenirs de voyage, la collection Antoine de Galbert" : itinéraire d’un collectionneur inspiré

Antoine de Galbert : C’est difficile comme question… Je dirais que c’est quelqu’un qui se rassure en s’entourant d’objets magiques.

Quel collectionneur êtes-vous ?

Un collectionneur comme tous les autres. Après, il y a des adjectifs qui viennent spécifier chaque collectionneur : il y a des petits, des grands, des gros, des maigres, des intelligents, des crétins, des spéculateurs, des amateurs… La plupart sont des gens qui m’intéressent, même si ce qu’ils collectionnent peut ne pas m’intéresser comme chaque collectionneur a son goût propre.

Au vu de l’exposition présentée au Musée de Grenoble, on pourrait vous qualifier de collectionneur instinctif avec des goûts très larges…

Certes, on peut parler d’intuition. Il ne faut pourtant jamais oublier que cette intuition est étayée par 30 ou 40 ans de regard ! D’ailleurs, si l’intuition est seule à décider, c’est un peu un carnage. C’est comme dans la vie, il n’y a pas que le coup de foudre, il y a aussi la construction, la réflexion… Une collection, c’est vraiment la rencontre entre un plaisir sincère, intuitif, et un passé de regardeur.

Comment devient-on collectionneur ?

On ne décide pas d’être collectionneur ; ce n’est pas un métier contrairement à ce que l’on voit actuellement – il suffit que quelqu’un fasse fortune pour qu’il s’achète quelques tableaux d’apparat. Mais on se rend compte, un jour, qu’on en est devenu un.

Au début, on collectionne d’ailleurs pour soi, on met ça au-dessus de sa cheminée ; on met une affiche si on n’a pas les moyens d’acheter une œuvre… Puis, très vite, on se pose le sens d’une collection : plus elle devient importante, plus on cherche à la rendre utile, cohérente…

C’est une activité qui nécessite d’avoir de l’argent…

Certes, il ne faut pas être démagogique : on ne collectionne pas si on n’a pas trois sous. Même si je connais certains collectionneurs relativement modestes qui épargnent sur leur salaire. Après, l’argent est nécessaire mais pas suffisant. Quand, dans une collection, on ne voit que l’argent, que des œuvres qui sont des placements, ce n’est pas une collection…

Vous comparez le fait de collectionner à la tabagie…

C’était dans un texte où je disais que le plaisir devenait vice : le tabac est un plaisir, mais quand vous fumez 40 cigarettes par jour, c’est un véritable vice. Il y a donc un moment où le collectionneur est enfermé dans son obsession, et seule la ruine ou la mort le fait arrêter !

Où se situe l’entièreté de votre collection ?

J’en ai chez moi à Paris, j’ai aussi des stocks en dessous de chez moi où je peux aller tout le temps. Et pour les œuvres plus importantes niveau format, j’ai des stockages en banlieue.

Comment avez-vous construit l’exposition du Musée de Grenoble qui présente une partie de cette collection ?

Il faut remercier le directeur Guy Tosatto et son équipe qui m’ont vraiment laissé carte blanche : j’ai fait ce que je voulais, en m’adaptant à l’espace et aux salles, forcément. S’est alors vite posée la question de savoir quelles œuvres montrer, comme j’en ai vraiment beaucoup maintenant.

Après réflexion, j’ai décidé de prendre des œuvres qui ont un certain poids – j’ai par exemple un Lucio Fontana [un monochrome blanc incisé – NDLR], ça aurait été stupide de ne pas l’exposer – et d’autres moins connues, que j’ai réparties dans des salles dont les thèmes [l’architecture, l’art conceptuel, le kitsch anglais, la folie, la nature… – NDLR] me préoccupent mais n’ont pas nécessairement de rapport entre eux. Même si, bien sûr, il y a une certaine cohérence quand on se balade dans l’expo.

L’acte de dévoiler une partie de votre collection si particulière au public ne risque-t-il pas d’en dire trop sur vous ?

Pas forcément. Vous savez, je suis quelqu’un de très classique, très bourgeois… Et je pense qu’on est toujours fasciné par ce que l’on n’est pas. Quand je montre un malade mental ou quelqu’un de torturé, je ne me dévoile pas, je soumets plutôt des fantasmes. Je pourrais même dire que plus le collectionneur est conventionnel, plus il est attiré par un monde en danger.

Une collection n’est donc pas un autoportrait mais simplement l’expression, peut-être, de rêves, de fantasmes, ce qui est différent. Et heureusement, sinon je serais complètement frappé comme je collectionne des choses très torturées !

Souvenirs de voyage, la collection d'Antoine de Galbert
Au Musée de Grenoble du samedi 27 avril au dimanche 28 juillet


Repères

1955 : Naissance à Grenoble. Son père meurt quand il a trois ans. Son beau-père Charles Defforey l’adopte et lui transmet sa fortune. Il suit des études à l’Institut d'études politiques de Grenoble, puis commence à travailler comme contrôleur de gestion.

1987 : Ouverture d’une galerie à Grenoble, rue Bayard, puis rue Voltaire. « J’avais trois sous donc j’avais une certaine liberté. Pourtant, je n’étais pas critique d’art, pas historien de l’art… J’étais rien du tout ! C’est devenu mon métier par la force des choses même si c’était très difficile de vivre d’une telle activité en province. Par exemple, une fois, j’ai été seul avec l’artiste à un vernissage, je vous laisse imaginer. Même si ça ne m’est arrivé qu’une fois ! »

1997 : Ferme sa galerie grenobloise. « J’ai eu à l’époque, pour des raisons patrimoniales, plus de facilités et suis alors parti à Paris. Quelques années après, j’ai décidé de continuer à faire ce métier mais sans la contrainte du commerce, en créant une fondation. »

2004 : Il ouvre en plein Paris la Maison rouge, espace d’exposition de la Fondation Antoine de Galbert, qui marquera fortement la vie artistique parisienne (voire française) pendant 14 ans. « On avait plus de presse que le Centre Pompidou, c’était fou ! » Il organisera quelque 120 expositions, avant de fermer le lieu en 2018. « Au bout d’un moment, j’ai eu une certaine usure. Surtout que faire vivre un tel projet coûte énormément cher et je ne suis pas ce que l’on appelle une grande fortune ! » Sa fondation, elle, existe toujours et soutient d’autres projets artistiques.

2019 : Exposition d’une partie de sa collection au Musée de Grenoble. « Quand j’étais à Grenoble, ce musée était pour moi une cathédrale, jamais je n’aurais imaginé exposer ici ! Je suis donc extrêmement touché, c’est émouvant. »

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