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André Téchiné : « "L'Adieu à la nuit", c'est le regard de quelqu'un de ma génération sur ces jeunes radicalisés »
Par Vincent Raymond
Publié Mardi 23 avril 2019

Photo : DR / Roberto Frankenberg

L'Adieu à la nuit
(de André Téchiné, FR, 1h43, avec Catherine Deneuve, Kacey Mottet Klein, Oulaya Amamra)
Le réaliateur français place sa huitième collaboration avec Catherine Deneuve sous un signe politique et cosmique avec ce film dans lequel une grand-mère se démène pour empêcher son petit-fils de partir en Syrie faire le djihad. Où l’on apprend qu’il aime la fiction par-dessus tout…
Pourquoi avoir choisi d’aborder ce sujet ?
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Comme toujours, c’est la conjonction de plusieurs choses. On part souvent d’un roman qu’on adapte à l’écran ; là j’avais envie d’une démarche inverse, de partir de tout le travail d’enregistrements, d’entretiens et de reportages fait par David Thomson sur tous ces jeunes qui s’engageaient pour la Syrie et sur ces repentis qui en revenaient. Comme c’était de la matière brute, vivante, et qu’il n’y avait pas de source policière ni judiciaire, j’ai eu envie de mettre ça en scène ; de donner des corps, des visages, des voix. Dans les dialogues du film, il y a beaucoup de greffes, d’injections qui viennent de la parole de ces jeunes radicalisés.
Mais j’avais envie que ça devienne un objet de cinéma : la fiction, c’était pour moi le regard sur ces radicalisés de quelqu’un de ma génération et, par affinité, avec Catherine Deneuve – car j’ai fait plusieurs films avec elle – et parce qu’elle incarne un côté Marianne, français. Et puis je voulais que ce soit intergénérationnel.
Avec Léa Mysius – la jeune scénariste qui a fait le formidable Ava – et on s’est mis à construire un objet de cinéma à partir de tout ça. En même temps, avec un drame extrêmement minimaliste : une grand-mère qui apprend que son petit-fils est passé de l’autre côté, et par rapport à cette action elle essaie d’avoir une réaction. Ça me semblait suffisant pour faire un film et même, éventuellement, créer une pression.
Pourquoi avoir doté cette grand-mère d’un passé algérien ?
Je puise toujours la réalité sur le terrain : c’était le cas de ces gens qui possédaient le centre équestre. Et ça m’interressait aussi que ce personnage soit avant tout très terrienne, qu’elle ait connu l’exil et qu’elle se soit déracinée. Il y avait un point commun entre son petit-fils et elle, ce déracinement. Lui veut s’enraciner ailleurs, dans l’inconnu en Syrie – et même carrément au ciel. Autant lui est loin du monde terrestre, autant elle je voulais qu’elle soit complètement accrochée et ancrée dans ce monde terrestre, d’où mon insistance sur les végétaux, les animaux…
Dans ce film, la génération des parents est totalement absente. C’est comme si une génération entière était sautée…
C’était aussi inspiré de tout ce que j’avais découvert. J’ai essayé moi-même de connaître des familles dont les jeunes étaient partis en Syrie, leurs compagnes, leurs compagnons… Sans vouloir dégager un profil type, car ça n’existe pas. Mais très souvent, dans l’équation subjective, il y a une défaillance parentale, une lacune, un flottement. Une absence.
Dans un premier temps, j’avais pensé que Catherine pouvait être la mère, mais ça m’obligeait à donner trop de précisions sur son personnage et ça me semblait ne pas correspondre à la réalité de ce saut de génération.
Est-ce que ce travail vous a permis de comprendre ce qui nourrissait chez eux ce « furieux désir de sacrifice » comme vous avez pu le dire ?
C’est une très belle expression que je me suis appropriée qui vient d’un théoricien, Fethi Benslama. Je me suis entouré de savants qui m’ont aidé. Ça me paraissait tout à fait juste sans que ce soit un jugement de valeur, un commentaire ou un verbiage comme il y en a trop sur ce sujet. Il y a des débats où ce n’est pas la vérité humaine qui est dégagée.
Quel rôle a joué Amer Alwan, crédité au générique comme auteur de l’idée originale ?
Ce cinéaste et scénariste irakien avait écrit une histoire inspirée d’une mère qui avait enfermé son fils dans une étable dans l’Aude, à Lunel, quand elle avait appris qu’il allait faire le djihad. Et j’ai voulu l’associer parce que je trouvais cette idée baroque, aberrante et très forte avec un versant comique – ce qui suit la réaction du personnage féminin qui se met à décaniller son whisky, ça a quelque chose d’assez incongru et dérisoire !
Dans le film, ce n’est pas une étable mais une écurie. Et je tenais à la présence d’un cheval dans l’écurie pour cette séquence. Même si normalement, elle devrait aller plusieurs fois par jour dans cette écurie pour donner à manger aux chevaux. C’est une question très pratique que l’on se pose tout le temps : est-ce qu’il vaut mieux être fidèle au réel ou au cinéma ?
Je savais que quand le repenti allait venir tenter d’établir un dialogue dans l’écurie avec Alex, il allait se prendre un coup de pelle. Je l’avais écrit. Et au moment du coup de pelle, j’avais envie d’une idée de cinéma, le hennissement d’un cheval. J’avais donc besoin d’au moins un animal dans cet espace pour l’image et le son. Donc entre la fidélité au réel et au cinéma, j’ai choisi le cinéma. Chaque fois que ça se pose, le choisi le cinéma.
Être fidèle aux deux, c’est impossible ?
Franchement, quand on prend le néo-réalisme où on mettait les caméra dehors, où on prenait des inconnus, on devait être fidèle au réel. Si on prend Stromboli de Rossellini, à la fin on choisit le cinéma : il y a une espèce d’élévation. Même à la fin de Voyage en Italie. Et pourtant, le film se veut dans une démarche de fidélité au réel.
Si on ne décolle pas du réel, alors ça donne quelque chose qui s’apparente à du documentaire. Moi le documentaire, hélas, c’est mon enfance : des films très très ennuyeux avant le grand film qui venait après l’entracte. Et donc, je n’ai jamais été particulièrement attaché au documentaire. Mais il y en a de très beaux, hein…
Pourquoi avoir choisi de cristalliser cette histoire au printemps 2015, et surtout au moment des élections départementales et régionales ?
Je voulais que ce soit une sorte de tournant, cette période entre les deux attentats – Charlie et le Bataclan – c’est le moment très précisément où les Renseignements généraux étaient très aux aguets, où l’on faisait ces arrestations à la frontières – je ne savais même pas que ça se faisait – et où il y a eu un degré de surveillance accru. On le découvre de façon policière à la fin du film, mais c’est là que ça s’est mis en place.
Je voulais aussi un peu – pas trop – contextualiser le film ; il y a à la fois l’éclipse cosmique qui l’ouvre et la victoire historique du FN aux Départementales. Ça me paraissait idéal pour ma fiction que ça se passe à ce moment-là.
Quelle symbolique mettez-vous dans l’éclipse ? Est-ce la nuit qui arrive ou un phénomène transitoire ?
Je voulais commencer par quelque chose d’un peu cosmique et, effectivement, c’est le soleil qui disparaît. Peut-être qu’on peut trouver des résonances symboliques avec l’histoire : lui aussi s’éclipse, hein ! Les personnages cherchent aussi à s’éclipser.
Le sens file entre un peu entre les doigts et le personnage de la grand-mère ne sait pas comment réagir ; elle ne peut pas être à la hauteur de la situation ; c’est pour ça qu’elle fait intervenir quelqu’un qui est passé à travers cela et qui a dépassé cette croyance là, c’est ce qu’elle peut espérer de mieux pour son petit fils.
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