À mille lieues du cinéma de genre hollywoodien et de ses morts-vivants avides de cerveaux, Bertrand Bonello retourne aux sources vaudoues en déguisant un film de zombis avec adolescentes en réflexion historico-philosophique abstraite. Plus intrigant que terrifiant.
Haïti, 1962 : un homme en apparence mort est nuitamment déterré puis drogué pour devenir zombi et servir d'esclave dans des plantations de canne à sucre. Saint-Denis, 2017 : sa petite-fille arrive au pensionnat de la Légion d'honneur et conte le destin de son aïeul à ses condisciples...
D'un rite à l'autre... Le nouveau film de Bertrand Bonello (Saint Laurent, L'Apollonide, Le Pornographe...) s'ouvre sur la cérémonie transformant Clairvius Narcisse (un homme qui a réellement existé) en "ouvrier docile", somnambule et mutique, avant de sauter à l'époque contemporaine sur une leçon d'Histoire prodiguée (devant d'attentives élèves en uniforme) par l'universitaire Patrick Boucheron renvoyant à la question des libertés au XIXe siècle – qui fut tout de même celui du colonialisme et de l'exploitation des prolétaires. Dès lors, Zombi Child ne cessera les va-et-vient entre les deux époques et les deux territoires, composant comme un chant liturgique entre l'origine du sortilège familial et ses conséquences sur ses descendants.
Gris zombi
Du rationnel à l'inexpliqué, ensuite... En mettant d'emblée à plat le procédé de zombification, c'est-à-dire en montrant qu'il découle d'une intoxication visant à récupérer la victime comme une main-d'œuvre gratuite, Bertrand Bonello inscrit son récit sous le signe du cartésianisme. Basculant dans le franc fantastique, le second temps de son film témoigne qu'il n'en est rien : il épaissit au contraire les mystères liés aux liturgies vaudoues.
Du passage à la transmission, enfin... Être intermédiaire "impur" (car ni vivant ni mort), la figure du zombi trouve dans la forme non linéaire du film un écho logique. De la même manière, le monde contemporain en apparence évolué recèle des zones grises où l'archaïsme monstrueux que constitue l'esclavage perdure ; où survit une institution de jeunes filles vitrifiée dans des usages napoléoniens ; où un culte permet d'entrer en commun(icat)ion avec l'au-delà...
Des zones grises marginales soumises à leurs propres lois internes, non miscibles entre elles (malheur à celle qui voudra user du vaudou comme d'une médecine de confort !) et imperméables à toute (r)évolution. Un gris zombi donnant à notre monde son étrange robe de chat de Schrödinger : ne paraît-il pas si globalement stable dans son instabilité ?
Zombi Child
de Bertrand Bonello (Fr-Haï, 1h43) avec Louise Labeque, Wislanda Louimat, Adilé David...