Lundi 16 janvier 2023 Dans "Babylon", Damien Chazelle se focalise à nouveau sur Hollywood, mais à l’opposé de l’idéalisation pastel et appliquée de son (trop) sage "La La Land". En découle une frénétique fresque de fric et de frasques sur l’usine à rêves prométhéenne et...
"Once Upon a Time… in Hollywood" : Quentin se fait son cinéma
Par Vincent Raymond
Publié Jeudi 25 juillet 2019
Photo : ©2019 Sony Pictures Entertainment Deutschland GmbH
Once upon a time... In Hollywood
De Quentin Tarantino (2019, ÉU, 2h42) avec Leonardo DiCaprio, Brad Pitt...
Les coulisses de l'usine à rêves à la fin de l'ère des studios, entre petites histoires, faits divers authentique et projection fantasmée par Quentin Tarantino. Une fresque uchronique tenant de la friandise cinéphilique (avec, en prime, Leonardo DiCaprio, Brad Pitt et Margot Robbie), mais qui s'égare parfois dans ses digressions.
Hollywood, 1969. Rick Dalton (Leonardo DiCaprio), vedette sur le déclin d'une série TV ; Cliff Booth (Brad Pitt), son cascadeur homme à tout faire ; leur voisine (Margot Robbie), la jeune comédienne Sharon Tate, épouse Polanski : trois destins parallèles et convergents dans une ville entre décors, faux-semblants et rêves brisés...
Lors de l'une de ses venues au Festival Lumière de Lyon, Quentin Tarantino avait concocté une sélection de films portant l'estampille 1970. Au-delà du nombre rond, cette année charnière marque en effet l'ancrage définitif du Nouvel Hollywood, l'irrésistible ascension de ses nouveaux moguls et l'inéluctable déclin des anciens nababs. Autant dire que le choix de 1969 pour situer cette semi-fiction est signifiant : il correspond à la fin d'un âge d'or – en tout cas idéalisé par celles et ceux qui l'ont vécu a posteriori. Et à travers l'écran d'argent.
Dans sa reconstitution appliquée, Tarantino est loin de tout repeindre en rose pailleté, même si la tentation est grande : le Hollywood de 1969 transpire de coolness ambiante, d'érotisme débridé, ruisselle de musiques indépassables – même les covers easy listening invitent à un swing lascif. Côté design, architecture et mode, on se situe pile à la frontière entre la rectitude policée et l'extravagance rococo Liberace ; à ce moment précis de relâchement où l'on s'autorise à desserrer l'étau du bon goût et un cran de sa ceinture. Juste avant que les pantalons ne s'évasent en pattes d' éph', en somme.
Unglourious remake ?
Si l'on ne peut modifier le cours de l'histoire, ni en changer les conséquences ; s'il est interdit de récrire des faits avérés à des fins de tromperie ou de manipulation politique (on appelle cela du révisionnisme), l'artiste jouit d'une licence ; un privilège rare dont il doit se montrer digne. Et dont il ne peut user qu'à bon escient. Trafiquer la réalité à des fins de fiction entre dans le pacte tacite avec le public de l'œuvre si celui-ci est prévenu ou s'il comprend l'honnêteté de l'intention.
Dans Inglourious Basterds, Tarantino osait une forme d'uchronie suprême en passant Hitler au lance-flamme dans une salle de cinéma, le message étant : par le cinéma, je réduis symboliquement en cendres le responsable de la Shoah et crée consécutivement un monde dans lequel la tragédie n'a pas eu cette ampleur. D'un certain point de vue, Once Upon a Time... reprend à l'identique cette même idée (autocitation ? manque d'inspiration ?), mais à l'échelle hollywoodienne (ce qui en minore fatalement la portée) en renforçant la dimension méta-cinématographique puisque le cinéma se trouve ici être le contenant et le contenu du film : la mise en abyme est totale et de chaque instant.
Entre parodies, pastiches, contrefaçons, deep-fakes, la fiction s'hybride tellement avec le réel qu'il n'est pas étonnant, en définitive, qu'elle prenne le pas sur cette dernière. Et que l'on finisse par imprimer sur la pellicule une légende dorée plus belle que la réalité.
Hip hip hip Pitt ; bravo Margot !
Au-delà de la surprenante conclusion (ose-t-on croire qu'il faut y cherche une morale ?) de cet auto-remake décalé, Once Upon a Time... apparaît comme l'habituel réceptacle tarantinien, à ceci près que tout semble ici atténué. Point de joutes oratoires grandiose (hormis une séquence dialoguée avec une enfant surdouée), nulle manifestation de virtuosité dans la réalisation (à l'exception des bagarres impliquant Cliff Booth / Brad Pitt).
C'est d'ailleurs lui qui tire largement son épingle du jeu : si dans le couple des personnages Booth est le subalterne de Dalton, à l'écran DiCaprio n'est rien moins que le faire-valoir de Pitt. L'un représente l'illusion, l'esbroufe et s'abîme dans introspections égotistes alcoolisées ; l'autre se confronte au vrai monde, irradie d'un magnétisme solaire qui recouvre à peine ses vastes zones d'ombre. Il faut se méfier de la nonchalante sérénité d'un ancien combattant au passé trouble arborant un corps ravagé de cicatrices. Surtout lorsqu'il va visiter les disciples de Charles Manson.
Et puis, entre ces torrents de testostérone, de cigarettes et de whisky, il y a les douces parenthèses consacrées à Sharon Tate, dans son quotidien solitaire. Des moments d'une infinie tendresse, nimbés d'une sorte de mélancolie heureuse où Tarantino déploie cette douceur qu'il sait octroyer à des personnages lorsqu'il s'autorise à dévoiler leurs contours sensibles – tels Max Cherry ou Jackie Brown dans le film homonyme. Peut-être la connaissance de son funeste destin accroît-elle l'empathie éprouvée par les spectateurs ; il émane toutefois du jeu de Margot Robbie une telle aura de gentillesse et de simplicité (dans le bon sens du terme), à mille lieues de la dureté dégagées par son personnage d'Elizabeth dans Mary Stuart, Reine d'Écosse, que l'on ne peut qu'être conquis.
Elle arriverait presque à nous faire oublier que Quentin Tarantino, en cherchant à arrêter le temps, a dilaté inutilement la durée de ce film. Si l'ennui n'y a pas droit de cité, on ne peut pas en dire autant de la vacuité ni de la gratuité...
Once Upon a Time... in Hollywood
de Quentin Tarantino (ÉU, 2h42) avec Leonardo DiCaprio, Brad Pitt, Margot Robbie...
à lire aussi
vous serez sans doute intéressé par...
Lundi 16 janvier 2023 Évocation "bigger than life" d’un monde perdu et de perdition, "Babylon" renoue avec la tradition des superproductions d’auteur ambitieuses et spectaculaires pensées pour le grand écran, auxquelles Hollywood a hélas un peu renoncé. Rencontre avec...
Mardi 9 juin 2020 Inscrits dans un contexte historique similaire, deux films d'Amérique latine sont à découvrir prochainement, mais pas sur les mêmes écrans. Nous vous les présentons toutefois en parallèle l'un de l'autre.
Mardi 21 janvier 2020 De Jay Roach (É.-U., 1h48) avec Charlize Theron, Nicole Kidman, Margot Robbie…
Mardi 17 décembre 2019 De Diao Yinan (Chi., avec avert. 1h50) avec Hu Ge, Gwei Lun Mei, Liao Fan…
Mardi 10 décembre 2019 L’inéluctable destin d’un paysan autrichien objecteur de conscience pendant la Seconde Guerre Mondiale, résistant passif au nazisme. Ode à la terre, à l’amour, à l’élévation spirituelle, ce biopic conjugue l’idéalisme éthéré avec la sensualité de la...
Mardi 19 novembre 2019 Il y a quelques années, Ladj Ly tournait "Les Misérables", court métrage matriciel dont l’accueil a permis (dans la douleur) la réalisation de son premier long en solo. Primé à Cannes, il est à présent en lice pour représenter la France dans la...
Mardi 12 novembre 2019 Et si le bonheur de l’humanité se cultivait en laboratoire ? Jessica Hausner planche sur la question dans une fable qui, à l’instar de la langue d’Ésope, tient du pire et du meilleur. En témoigne son interloquant Prix d’interprétation féminine à...
Mardi 5 novembre 2019 Avant de remporter le Grand Prix de la Semaine de la Critique (une première pour un film d’animation) et le Cristal à Annecy, le premier long-métrage de Jérémy Clapin a connu une lente maturation en dialogue et confiance avec son producteur ainsi...
Jeudi 24 octobre 2019 De Marco Bellocchio (It.-Fr.-All.-Br., avec avert. 2h31) avec Pierfrancesco Favino, Maria Fernanda Cândido, Fabrizio Ferracane…
Lundi 21 octobre 2019 Un intérimaire se lance dans l’entrepreneuriat franchisé avec l’espoir de s’en sortir… précipitant ainsi sa chute et celle de sa famille. Par cette chronique noire de l’ère des Gafa, Ken Loach dézingue toujours plus l’anthropophagie libérale. En...
Dimanche 2 juin 2019 Une famille fauchée intrigue pour être engagée dans une maison fortunée. Mais un imprévu met un terme à ses combines… Entre "Underground" d'Emir Kusturica et "La Cérémonie" de Claude Chabrol, Bong Joon-ho revisite la lutte des classes dans un...
Mardi 21 mai 2019 Une psy trouve dans la vie d’une patiente des échos à un passé douloureux puis s’en nourrit avec avidité pour écrire un roman en franchissant les uns après les autres tous les interdits. Et si, plutôt que le Jim Jarmusch, "Sybil" de Justine Triet,...
Mercredi 15 mai 2019 Quelle mouche a piqué Jim Jarmusch (ou quel zombie l’a mordu) pour qu’il signe ce film ni série B, ni parodique, ni sérieux ; ni rien, en fait. Prétexte pour retrouver ses copains dans une tentative de cinéma de genre, ce nanar de compétition figure...
Mardi 14 mai 2019 Un cinéaste d’âge mûr revisite son passé pour mieux se réconcilier avec les fantômes de sa mémoire et retrouver l’inspiration. Avec son nouveau film en compétition au Festival de Cannes, Pedro Almodóvar compose une élégie en forme de bilan personnel...
Mardi 26 février 2019 de Josie Rourke (ÉU-GB, 2h04) avec Saoirse Ronan, Margot Robbie, Jack Lowden…
Lundi 19 février 2018 De Craig Gillespie (ÉU, 2h) avec Margot Robbie, Allison Janney, Sebastian Stan…
Lundi 27 novembre 2017 Jeudi 30 novembre, on pourra (re)découvrir sur grand écran le film culte de David Fincher sorti en 1999.
Mardi 23 février 2016 Délaissant comme Tarantino les déserts arides au profit des immensités glacées, Alejandro González Iñárritu poursuit sa résurrection cinématographique avec un ample western épique dans la digne lignée d’Arthur Penn et de Sydney Pollack. Un...
Lundi 11 janvier 2016 Le film de Ridley Scott sorti en 1991 est programmé ce jeudi à la Cinémathèque. Roulez jeunesses !
Mardi 5 janvier 2016 Des chasseurs de primes et leur prisonnière pris en étau entre le blizzard et de potentiels agresseurs dans une baraque de fortune. Près de trois heures de palabres sanglantes rythmées par les notes de Morricone. Ça aurait pu tourner au théâtre...
Mardi 24 mars 2015 John Requa et Glenn Ficarra revisitent le film d’arnaque dans une comédie pop fluide et élégante portée par le couple glamour Will Smith / Margot Robbie. Divertissement longtemps irrésistible, "Diversion" rate de peu sa sortie.
Christophe Chabert
Vendredi 27 décembre 2013 La vie de Jordan Belfort, courtier en bourse obsédé par les putes, la coke et surtout l’argent, permet à Martin Scorsese de plonger le spectateur trois heures durant en apnée dans l’enfer du capitalisme, pour une fresque verhovenienne hallucinée et...
Mardi 12 novembre 2013 La rencontre entre Cormac McCarthy et le vétéran Ridley Scott produit une hydre à deux têtes pas loin du ratage total, n’était l’absolue sincérité d’un projet qui tourne le dos, pour le meilleur et pour le pire, à toutes les conventions...
Vendredi 11 janvier 2013 Django unchained, hommage ou remix ? Les deux, et plus encore. Au commencement il y a Django, légende du western italien. Année : 1966, dans la foulée de (...)
Mardi 8 janvier 2013 Chevauchée sanglante d’un esclave noir décidé à retrouver sa fiancée en se vengeant de blancs cupides et racistes, "Django Unchained" n’est pas qu’une occasion pour Quentin Tarantino de rendre hommage aux westerns ; c’est aussi un réquisitoire...
Lundi 7 janvier 2013 Qu’on se le dise : les quatre prochains mois dans les salles obscures vont être riches de films attendus, de cinéastes majeurs et de découvertes passionnantes. En gros, il va falloir trouver de la place dans ses emplois du temps. Christophe Chabert
Jeudi 29 novembre 2012 Exemple parfait d’une commande détournée en objet conceptuel, le nouveau film d’Andrew Dominik (réalisateur de "L’Assassinat de Jesse James") transforme le thriller mafieux en métaphore sur la crise financière américaine.
Christophe Chabert
Mercredi 8 juillet 2009 Fidèle à lui-même et pas à la caricature qu’on veut donner de son cinéma, Quentin Tarantino enthousiasme avec cette comédie de guerre dont l’enjeu souterrain est de repenser l’Histoire récente à partir de ses représentations...