De Frank Beauvais (Fr., 1h15) documentaire
De même que Man Ray s'abstenait d'appareil photographique pour réaliser ses images-photogrammes, Frank Beauvais a signé un long-métrage sans avoir (lui-même) eu recours à une caméra. Entre essai, journal intime et documentaire, Ne croyez surtout pas que je hurle est en effet constitué uniquement d'images d'archives, ou plutôt de séquences (parfois très courtes, de l'ordre de la seconde) empruntées aux quelque 400 films que le cinéaste a visionnés de manière compulsive durant les quelques mois pendant lesquels il a vécu en état dépressif quasi reclus dans un village alsacien après une rupture amoureuse.
Commentant de manière clinique son aboulie et sa déréliction, Beauvais dégoise sur son environnement duquel il se sent (avec une certaine morgue parisienne, notons-le) très différent et dont il craint par conséquent la potentielle animosité. De son point de vue, tous les sépare : lui, l'urbain artiste cultivé homosexuel ; eux, les épais germaniques hétéros – on mettra sur le compte du chagrin d'amour l'outrance réductrice et globalisante de son propos.
Si le propos de la voix off est parfois très intime, il n'est jamais complaisant ni obscène grâce à la succession d'images et à leur agencement offrant parfois de judicieux échos au texte ou de savoureux contrepoints – cela vaudrait au monteur Thomas Marchant le statut de coréalisateur. En s'appropriant le regard d'autres, Beauvais se réapproprie sa vie et nous donne à la voir sans jamais rien en divulguer. Il bazarde, au sens propre et au figuré, les vestiges de son passé pour se construire en nouvel homme par le cinéma, lanterne réellement magique transformant des images passées en mémoire neuve. Le développement personnel prend ici une nouvelle signification...