L'Excentrique Cinéma : « On est très loin du documentaire classique »

Festival / Du jeudi 3 au samedi 5 octobre, l’association grenobloise Cinex présentera, dans trois lieux distincts, l’Excentrique Cinéma, une passionnante sélection de documentaires "de création", loin des clichés et conventions habituelles du genre. Histoire de vous mettre l’eau à la bouche, on vous présente tous ceux que l’on a déjà pu voir ; puis on échange avec l'un des organisateurs.

Si vous n’habitez pas le quartier de l’Esplanade, n’êtes pas un supporter de la Juventus de Turin et ne faites pas partie de la communauté italienne de Grenoble, il y a de grandes chances que le bar grenoblois La Tonnelle (« Chez Angelo » pour les intimes) ne vous évoque rien. Ce que capte brillamment le film Un Solo Amore, réalisé in situ par Yoann Demoz et Fabien Fischer, c’est pourtant à quel point la tension, la fébrilité et la vaste gamme d’émotions contradictoires qui traversent le visage des clients du bar les soirs de match constituent non seulement un spectacle de cinéma hypnotique, mais également un portrait en creux d’un microcosme socioculturel d’une richesse et d’une justesse infinies.

Évidemment, on ne cite pas cet exemple au hasard : allier geste cinématographique et immersion dans un contexte bien particulier à travers un point de vue inattendu, c’est justement le trait commun qui réunit une bonne partie des films projetés dans le cadre de l’Excentrique Cinéma.

Points de vue multiples

On aurait ainsi aussi bien pu citer Selfie, avoir 16 ans à Naples (photo), dans lequel le réalisateur Agostino Ferrente confie à deux jeunes ados inséparables un téléphone portable pour qu’ils filment leur quotidien et celui de leur quartier populaire de Naples, marqué par une forte pauvreté et une bavure policière qui a couté la vie à un jeune sans histoire. Là encore, l’intérêt réside à la fois dans le sujet et la manière dont il est traité, Alessandro et Pietro, les deux jeunes évoqués, n’étant pas toujours d’accord sur ce qu’ils doivent filmer pour restituer une image juste de leur quartier.

Cette préoccupation anime également Colin, principal protagoniste d’Avant que les murs tombent d’Eve Duchemin, un jeune de Charleroi qui vit seul avec sa mère, dans une maison vétuste, et n’a pour seul exutoire que les textes de rap qu’il écrit avec sa bande. Banlieue et insalubrité, filmées sous un angle radicalement différent, sont aussi au cœur du très beau film de Bijan Anquetil Le Terrain, qui suit l’investissement provisoire d’un terrain de Saint-Denis par une communauté de Roms. Il est d’ailleurs fascinant de voir à quel point des sujets a priori aussi proches sur le papier peuvent donner naissance à des métrages d’une telle diversité de ton, preuve une fois encore que le cinéma est avant tout une histoire de regard.

De Cergy au Paraguay

C'est ce que démontre aussi à sa façon Akaboum, de Manon Vila, qui suit un groupe de potes d’origines diverses quittant Cergy le temps d’une déambulation nocturne. Oui mais voilà, ils sont jeunes, créatifs, passionnés d'art et d'avant-garde, et incarnent une vision de la modernité parfois attachante, parfois agaçante, mais totalement à rebours des clichés sur les périphéries urbaines.

Avec L’Immeuble des braves de Bojina Panayotova, on quitte Paris pour Sofia, et les ambiances éthérées pour une atmosphère plus âpre : expulsé de son immeuble, un habitant part à la recherche de chiens qu’il avait pour habitude de nourrir. À travers sa quête rocambolesque, se dévoile un portrait en filigrane d’une Bulgarie en mutation, mais sur laquelle les fantômes du passé continuent de projeter des ombres inquiétantes.

Enfin, passons (à regret) sur les courts expérimentaux Bridges-Go-Round et Brussels Loops de Shirley Clarke, tournés à la fin des années 1950 mais toujours aussi incroyables, pour évoquer l’assez génial El Impenetrable de Daniele Incalcaterra. Soit le périple d’un réalisateur de films italiens installé en Argentine qui décide de retrouver les 5000 hectares de terrain achetés par son père trente ans plus tôt au Paraguay, pendant la dictature. Bien décidé à les restituer aux aborigènes qui vivent depuis toujours sur ce territoire, il va se heurter, au cours d’un improbable périple tragi-comique kafkaïen flirtant avec le western, aux intérêts divergents des éleveurs de bétail, des compagnies pétrolières et des bureaucrates de tout poil. Brassant, sous des ressorts faussement naïfs, un nombre de thématiques distinctes assez étourdissant, le film confirme ainsi, s’il en était encore besoin, qu’au cinéma, une bonne histoire vaut parfois mieux que tous les budgets du monde.

L’Excentrique Cinéma
Au cinéma le Club jeudi 3 octobre à 20h30
Sur l'Esplanade vendredi 4 octobre à 20h
Au Multiplex Peldis samedi 5 octobre à 16h

Programme complet sur www.cinexatelier.org


« Créer à partir du réel »

Si l’édition 2019 de l’Excentrique Cinéma commencera le jeudi soir dans l’enceinte du cinéma Le Club, elle bifurquera les deux jours suivants vers des espaces de projections plus atypiques : le vendredi, Selfie et Un Solo Amore seront ainsi projetés en plein air, juste en face du bar La Tonnelle, où le deuxième film a été tourné. Le lendemain, toujours dans le quartier de l’Esplanade, c’est cette fois le parking du Peldis (dont on vous avait déjà parlé à l’occasion de sa journée portes ouvertes en 2018), qui se transformera temporairement en multiplexe à ciel ouvert, à partir de 16h, pour accueillir pas moins de dix des quatorze films de la programmation.

Ce choix paraît logique, puisque l’ancienne friche industrielle héberge justement l’association Cinex en charge de l’événement, et que cette dernière a toujours pris soin de relier le sujet des films qu’elle projette au lieu où ils sont projetés. Partagée entre résidences de création, transmission par le biais d’ateliers, et diffusion de films, Cinex a ainsi pour vocation de promouvoir la pratique du « cinéma documentaire de création » comme l’explique Yoann Demoz, coréalisateur d’Un Solo Amore et membre de l’association.

« C’est un cinéma un peu particulier ; pour résumer, on peut dire que ce sont des films d’auteurs qui prennent comme matière le réel. On est très loin du documentaire classique ; on est vraiment dans le regard singulier que peut porter un réalisateur sur le monde. L’idée est de créer à partir du réel, de faire du rôle du réalisateur, de sa propre place et de son propre point de vue quelque chose d’inédit et de raconter ainsi des choses de manière singulière et personnelle. »


Documentaires de création : les prochains rendez-vous

- Du 9 au 18 octobre : la Maison des Habitants du centre-ville accueillera la 4e édition du Monde au coin de la rue, cinéma éphémère de l’association À Bientôt J’espère.

- Les 4, 7 et 8 novembre, la Cinémathèque de Grenoble proposera différentes projections dans le cadre du Mois du documentaire.

- Du 8 au 15 novembre, c’est l’association Ethnologie et Cinéma qui prendra le relais avec la 23e édition de ses fameuses Rencontres autour du film ethnographique.

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