De Lucie Borleteau (Fr., 1h40) avec Karin Viard, Leïla Bekhti, Antoine Reinartz...
Un couple de trentenaires parisiens épanouis cherche la perle rare pour s'occuper de ses deux enfants afin que la mère puisse reprendre son activité professionnelle. Leur choix s'arrête sur Louise, une quinquagénaire en tout point parfaite. Plus que parfaite, même. En apparence...
De l'éternel gouffre séparant un livre de son adaptation cinématographique... Sous la plume de Leïla Slimani, Chanson douce fut un roman d'une épouvantable précision, menant avec une limpidité rigoureuse et clinique vers le dénouement macabre annoncé dès ses premières pages. Ni "objet" littéraire surstylisé (bien que couronné par le Prix Goncourt), ni polar des familles, cette œuvre profonde et captivante rendait compte d'un faisceau de vérités sociologiques contemporaines. Et notamment que la précarité peut conduire de la déréliction à la névrose, l'inconsciente arrogance des privilégiés servant alors de catalyseur à une effroyable tragédie.
Sur le papier, il y avait tout pour construire un thriller et faire vibrer l'écran. La distribution elle-même était prometteuse, mais ne l'était-elle pas trop ? Le rendez-vous s'avère manqué. Parce que Karin Viard est trop prévisible dans le rôle d'une nounou désaxée, que Leïla Bekhti et Antoine Reinartz se révèlent trop conformes à l'idée du couple bobo ; que rien ne dépasse du cliché ni ne surprend. Ou seulement parce que le crescendo dramatique ne tient pas ses promesses, puisque la fin grand-guignolesque n'est pas à la mesure de l'horreur des faits. Chanson douce claudique, n'osant pas aller au bout de la triste cruauté, sa raison d'être, pourtant. En soi, c'est une double trahison : en édulcorant l'horreur, Lucie Borleteau protège ses spectateurs alors que le livre éveille et "dé-ménage" ses lecteurs, les incitant à réfléchir au lieu de les infantiliser. À tous les coups, la cinéaste a-t-elle dû suivre la "recommandation avisée" d'un diffuseur afin que son film ne soit pas trop choquant pour la case 20h30...