Mardi 9 juin 2020 Inscrits dans un contexte historique similaire, deux films d'Amérique latine sont à découvrir prochainement, mais pas sur les mêmes écrans. Nous vous les présentons toutefois en parallèle l'un de l'autre.
"Madre" : vacances aux bords de la mère
Par Vincent Raymond
Publié Mardi 7 juillet 2020 - 1639 lectures
Photo : ©Manolo Pavón
De Rodrigo Sorogoyen (Esp.-Fr., 2h09) avec Marta Nieto, Anne Consigny, Alex Brendemühl
Dix ans après la disparition subite de son fils sur une plage des Landes, Elena a quitté l’Espagne et sa vie ancienne pour travailler dans un restaurant sur cette maudite plage. Un jour, elle aperçoit Jean, ado dont l’âge et le physique lui évoquent son enfant. Elle le suit ; il s’en rend compte…
L’exercice consistant à dilater un court métrage en un long est souvent l’apanage des débutants pour qui le format bref constitue, aux yeux des producteurs, une promesse. Mais les deux disciplines étant ontologiquement différentes, l’entreprise s’avère souvent un redoutable casse-gueule. Pour y échapper, certains optent pour une simple prolongation de leur court à l’instar de Xavier Legrand (avec Avant que de tout perdre, puis Jusqu’à la garde dont on connaît le double succès) ou ici Rodrigo Sorogoyen. Le très expérimenté réalisateur avait signé en 2017, entre Que Dios nos perdone et El Reino, un plan-séquence de 18 minutes aussi stupéfiant que bouleversant (il constitue le prologue de ce film) ayant écumé les festivals et concouru à l’Oscar, Madre. Madre "version longue" raconte une autre histoire : une conséquence possible de la précédente, en explorant plusieurs chemins psychologiques et en suggérant la survenue d’un ou plusieurs drames après la tragédie initiale.
Est-ce l’ambiance balnéaire, le trouble de la liaison potentiellement incestueuse entre Elena et Jean, le thriller qui se dessine entre eux et les parents de Jean (les remarquables Frédéric Pierrot et Anne Consigny, inhabituels dans leurs emplois de petits bourgeois de la côte Ouest) ou la perversité latente de quelques personnages secondaires mais il y a quelque chose d’Ozon dans ce film aussi déchirant que provocateur sur l’impossibilité d’un deuil. Ce qu’il montre de la possession et de la convoitise également, de l’égoïsme et de l’hypocrisie des familles "pull sur les épaules", où l’hideur de l’âme se cache derrière le masque des convenances.
Filmé avec une douceur rasante faisant contrepoint à la douleur profonde de son personnage, Madre confirme, s’il était encore nécessaire, le statut de Sorogoyen comme auteur de premier plan du cinéma hispanophone contemporain. Bénéfice collatéral, la mise en lumière de Marta Nieto dans le rôle-titre : une telle présence ne mérite pas de demeurer loin des écrans.
Sortie le 22 juillet
pour aller plus loin
vous serez sans doute intéressé par...
Vendredi 12 avril 2019 De Rodrigo Sorogoyen (Esp-Fr, 2h11) avec Antonio de la Torre, Monica Lopez, Nacho Fresneda…
Jeudi 3 mai 2018 de Michele Placido (It.-Fr.-Sui., 1h28) avec Ottavia Piccolo, Anne Consigny, Clémence Poésy
Mercredi 19 juillet 2017 Avec "Que Dios Nos Perdone", en salle le 9 août, le jeune et affable Rodrigo Sorogoyen a signé l’un des thrillers les plus enthousiasmants de l’année. Rencontre avec un cinéaste qui compte déjà en Espagne.
Lundi 17 juillet 2017 Polar moite au scénario malsain, à l’interprétation nerveuse et à la réalisation précise, le troisième opus de Rodrigo Sorogoyen a tout pour devenir un classique du genre. En attendant, c’est LE grand film à voir dans les salles cet été 2017.
Mardi 1 décembre 2015 Méditation mélancolique sur l’acceptation de l’inéluctable et réflexion sur la transmission, le nouveau Nanni Moretti est surtout un splendide portrait de femme au bord de la crise de nerfs, ainsi qu’au seuil d’une nouvelle vie. Vincent Raymond
Mardi 10 novembre 2015 Les 9e Rencontres du cinéma italien de Grenoble, dont on parlera plus longuement la semaine prochaine, s’offrent en ouverture et en avant-première le Prix (...)
Lundi 18 mai 2015 Entre déceptions, ratages et réussites inattendues, la compétition du 68e festival de Cannes est, à mi-parcours, encore difficile à cerner, le renouvellement souhaité n’ayant pas toujours porté ses fruits. Mais on peut déjà en dégager deux films...
Vendredi 21 septembre 2012 À presque 90 ans, Alain Resnais est manifestement entré dans le crépuscule de sa carrière. Cela fait quelques films qu’on le dit, et on peut se demander si (...)
Jeudi 22 mai 2008 Avec cette tragi-comédie familiale aux accents mythologiques, Arnaud Desplechin démontre à nouveau qu’il est un immense cinéaste, entièrement tourné vers le plaisir, le romanesque et le spectacle.
Christophe Chabert