Joann Sfar : « Petit Vampire me tient le crayon depuis toujours »

Interview / Cinéma / C’est avec la satisfaction du travail accompli que le dessinateur niçois savoure l’arrivée au cinéma d’un de ses héros emblématiques : Petit Vampire. Il viendra le présenter au Méliès le 10 octobre, à l’occasion d’une séance de dédicaces suivie d’une projection en avant-première.

Petit Vampire est né dans une BD en 1999 et a grandi en série d’animation à la télé en 2004. A-t-il toujours été évident qu’il arrive au cinéma, un jour ?
Joann Sfar :
Pas du tout ! Ce personnage préexiste à ma carrière d’auteur. Quand j’étais gamin, il faisait partie de mes amis imaginaires. Mon grand-père m’offrait des revues de films d’horreur, dont je modifiais le sens : ayant perdu ma mère très petit, la perspective d’un monde où les morts reviennent et peuvent parler relevait pour moi du merveilleux. D’une certaine façon, ce sont les monstres qui m’ont appris à dessiner. Petit Vampire me tient le crayon depuis toujours. La difficulté, c’est qu’il s’était toujours exprimé dans des récits courts. Il a fallu que je change non pas le ton, mais sans doute la profondeur des personnages et de leurs arcs narratifs. Avec Sandrina Jardel, qui m’accompagne depuis le début, on a essayé de revenir aux sources de cet univers, tout en lui donnant l’intensité dramatique que l’on peut trouver chez Ghibli, Pixar ou Disney.

Vous aviez déjà une certaine maîtrise des codes du cinéma…
J’apprends toujours ! Sur Le Chat du rabbin, j’avais souhaité que le résultat final soit le plus proche possible des cases de la BD. Pour Petit Vampire, en revanche, il y avait cette volonté de modifier le design des personnages et la peinture des décors, pour être dans la tradition des longs-métrages animés. Je crois que c’est un projet plus ambitieux encore. Je me suis entouré de gens extrêmement différents et tous plus talentueux que moi, à l’image de mon directeur d’animation, Adrien Gromelle. Puisqu’ils avaient d’autres références que les miennes, ça a été un dialogue extraordinaire. En tant que réalisateur, j’adore stimuler mes équipes en leur montrant des dessins et attendre avec gourmandise qu’elles les détruisent pour proposer autre chose…

On suppose malgré tout que vous avez un vocabulaire commun…
Oui, mais pas forcément avec les mêmes entrées. Quand je parle de films de pirates, par exemple, je vais faire référence aux films d’Errol Flynn ou à Ava Gardner dans Pandora. Adrien, lui, fait de la capoeira : il arrive avec sa science du corps, sa connaissance des arts martiaux. Pour les combats à l’épée de Petit Vampire, on a fait appel à de vrais cascadeurs, Dominique Fouassier et son fils, qui sortaient de Rogue one, l’un des derniers Star Wars. L’idée d’un film, c’est de faire chanter ensemble les passions des uns et des autres. Autre exemple : dans Petit Vampire, il y a un fond éthique qui parle du consentement, avec une histoire de Belle au bois dormant. Le personnage doit se réveiller quand on l’embrasse… mes animateurs m’ont dit que ça n’irait pas. On a donc décidé de raconter l’histoire autrement. La maman de Petit Vampire ressemble à une star des années 50-60 : si je la fais parler de cette façon, je suis dans le fétichisme. Mais si Camille Cottin la transforme en une femme moderne avec une charge mentale, ça devient quelqu’un avec qui on peut sympathiser. Moderniser les contes traditionnels, dans ce monde où les représentations du masculin et du féminin ont beaucoup changé, est une chance : on peut revivifier les vieilles histoires…

Petit Vampire, lui, a dix ans depuis trois siècles. Vous, ça fait à peine une quarantaine d’années…
Oui, mais contrairement à lui, je ne m’ennuie pas. Je suis heureux tout le temps – et surtout quand je dessine. S’il peut sembler représentatif de mon enfance, c’est parce qu’on lui dit que le monde est dangereux. Dans ce récit, on parle d’un enfant qui a décidé de ne plus rester enfermé devant un écran. Le côté imaginaire, c’est que ce sont ses parents qui l’y obligent, là où lui ne rêve que de sortir pour aller à l’école ! On ne mesure pas à quel point les terreurs sociales nous brident. C’est bien aussi de dire à nos enfants que nous sommes tous bizarres. J’ai rencontré plein de gamins, sans filtre, qui m’ont clairement s’ils avaient aimé le film ou pas. Je suis toujours surpris par leurs réactions. Vous aurez beau écrire depuis des années, les enfants transformeront systématiquement vos histoires et verront ce dont ils ont envie. Il n’y a pas deux qui verront la même chose ! C’est une leçon d’humilité passionnante. Petit Vampire est de fait un terrain de jeu pour les enfants : à eux, donc, de se l’approprier.

Ce qui vous donne des idées pour d’autres aventures de Petit Vampire ?
J’en réalise actuellement une toute nouvelle série, sous la forme de romans illustrés. Je vais tenter de faire revivre mes grands-parents en revisitant mon enfance niçoise. Je m’aperçois en fait qu’à 49 ans, elle fait déjà partie des livres d’histoire, parce qu’elle se situe dans une France qui n’existe plus. Par ailleurs, j’ai encore des projets, en animation et en prises de vues réelles, des longs métrages ou des séries. Avec Aton Soumache, qui a produit Petit Vampire, on a créé Magical Society et on a beaucoup d’autres choses sur le feu. On en reparlera au cours des mois qui viennent. Si je travaille autant, c'est simplement parce que ça m’amuse !

Petit Vampire. Séance de dédicaces de Joann Sfar et projection en avant-première au Méliès le 10 octobre, à 16h15. Sortie en salles le 21 octobre.


Repères

1971. Naissance à Nice, le 28 août.

1994. Il publie ses premières planches à L’Illustration et y rejoint plusieurs autres dessinateurs avec lesquels il travaillera ensuite, à l’image de Lewis Trondheim.

1999. Début des aventures de Petit Vampire (Petit Vampire va à l’école). La série de BD comporte aujourd’hui neuf tomes, publiés chez Delcourt et Rue de Sèvres.

2002. Parution de La Bar-mitsva, premier album du Chat du rabbin, chez Dargaud. Pour l'heure, neuf volumes constituent la série : le prochain, Rentrez chez vous !, sort le 16 octobre 2020.

2010. Il fait ses débuts de réalisateur au cinéma, Gainsbourg (vie héroïque), et obtient le César du meilleur premier film. Coup double en 2012 avec une compression pour l’adaptation du Chat du rabbin.

2020. Sorti en février chez Albin Michel, son roman Le dernier juif d’Europe s’ajoute à une longue liste d’ouvrages déjà publiés, comme autant de clins d’œil au monde d’aujourd’hui.

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