En attendant le public...

Le spectacle vivant, c'est leur métier : à défaut de pouvoir se produire en public, les compagnies de théâtre et de danse réfléchissent à leur avenir, continuent parfois de travailler et attendent impatiemment un retour à la normale. Nous sommes allés à la rencontre de quatre d'entre elles, dans l'agglo grenobloise. Témoignages.

Bruno Thircuir – La Fabrique des petites utopies

Dans la région grenobloise, La Fabrique des petites utopies, compagnie qui « tente de raconter le monde d’aujourd’hui de manière politico-poétique », est une institution en place depuis 21 ans. D’où, sans doute, le fait que l’équipe traverse plutôt sereinement cette période compliquée comme nous l’a expliqué son metteur en scène Bruno Thircuir lorsqu’on lui a demandé comment il allait.

« Ça va. On a la chance de travailler, d’être en répétition [dans la région grenobloise comme ailleurs en France – NDLR] puisque, bien avant toute cette crise, on avait monté un joli temps de création pour notre nouveau spectacle jeune public Et si l’océan dont les premières dates de jeu n’auront lieu que début mars. On peut donc continuer notre activité pendant ce temps, avec même un petit papier en poche pour rentrer après le couvre-feu. On n’a donc pas trop le droit de se plaindre. »

Pourtant, la situation sanitaire modifie tout de même leur travail, notamment la diffusion des spectacles en tournée – ils ont eu une grosse vingtaine de dates cet été par exemple, souvent en plein air. « On pense tout maintenant en plan A, B, C. Jusqu’à D comme déprime, si on est obligés de se rabattre sur le "on line", solution pas très satisfaisante ! On reste tout de même des amoureux du spectacle vivant et de la rencontre. » Ils sont d’ailleurs en train d’imaginer des solutions si la première d’Et si l’océan ne pouvait se tenir début mars à Saint-Égrève – comme c’est un jeune public, le présenter dans les écoles, si le gouvernement l’autorise, pourrait être un plan B.

Malgré une situation financière diminuée, la Fabrique tient donc toujours debout. « Par contre, mon moral politique est à terre. Je suis, comme beaucoup de monde, désespéré par l’attitude du gouvernement qui fait fermer les lieux de culture mais pas les grandes surfaces. Et je suis sidéré du peu de réactions du milieu culturel. Il n’y a pas, par exemple, de mouvement de masse de directeurs pour transformer leur théâtre en édifice religieux. Ces bâtiments-là ont le droit d’être ouverts ! Si j’avais un lieu, j’aurais fait ça. Enfin, j’aurais essayé. » / AM


Laurent Poncelet – Ophélia Théâtre

En mai prochain, nous aurions pu découvrir Roda Favela, nouvelle création du metteur en scène Laurent Poncelet interprétée par « des jeunes artistes des favelas de Recife au Brésil ». Un spectacle qui, après des mois de travail tant au Brésil qu’en France, aurait dû tourner pendant un mois dans l’agglomération grenobloise mais également ailleurs en France, en Italie et en Belgique. Sauf qu’en novembre dernier, après plusieurs semaines de réflexion, Laurent Poncelet a dû se résoudre à reporter cette aventure d’un an « notamment au vu de la situation brésilienne, car il était impensable de pouvoir travailler là-bas avec le fou d'extrême droite qu’ils ont au pouvoir qui ne prend pas du tout la mesure de la situation sanitaire ».

La crise du coronavirus, française comme mondiale, a ainsi profondément chamboulé les plans de la compagnie grenobloise Ophélia Théâtre, que ce soit donc le report de sa prochaine création mais aussi l’annulation obligée en novembre dernier du Festival International de Théâtre Action qu’elle organise tous les deux ans dans l’agglo ou encore l’impossibilité de défendre Des gens passent et j’en oublie, dernier film en date réalisé par Laurent Poncelet – « la sortie nationale a eu lieu juste avant le premier confinement, on n’a malheureusement pu le montrer que trois jours avant que tout ne ferme ».

Pourtant, malgré ces embûches, Laurent Poncelet reste optimiste. « Oui, il y a eu des coups d’arrêt, des choses qui n’ont pas pu se faire, mais je relativise ma situation par rapport à d’autres, en France comme au Brésil. Les financeurs publics sont toujours là, et il y a aussi l’intermittence qui limite les dégâts. » La situation imposée lui a même ouvert « de nouveaux espaces » : en plus de continuer à travailler sur ses chantiers en cours, il a profité d’avoir plus de temps libre pour se lancer dans de nouveaux projets. Dont la réalisation d’un documentaire « sur un éleveur bio du coin en Matheysine ». Loin, très loin du Brésil donc. / AM


Emmanuèle Amiell – Les Sept Familles

Les Sept Familles sont à l’arrêt. On vient de confirmer à Emmanuèle Amiell ce qu’elle redoutait : la reprise du spectacle Let’s dance remix, prévue à l’espace Aragon le 5 février, ne pourra pas avoir lieu. Même si rien n’est encore officiel, elle craint que les autres dates annoncées avant l’été soient également annulées. « Je préférerais parfois qu’on nous dise tout net que les salles de spectacle n’ouvriront pas avant septembre, avoue la metteuse en scène. On aurait au moins la possibilité de se projeter. »

La compagnie ne travaille pas avec les écoles et n’avait pas de nouvelle création à répéter et/ou à présenter : elle n’a donc pas pu travailler, même à huis clos, dans un théâtre resté ouvert aux artistes. « Lorsqu’on est en création, une dynamique se met en place. Mais faire des résidences dans ces conditions, à quoi bon ? Notre métier, ce n’est pas seulement de faire joujou entre nous. Nous avons besoin de ce lien avec le public. »

Financièrement, la troupe tient encore le choc grâce aux indemnisations, mais les promesses d’une vraie reprise se font rares : « Avec tous les reports annoncés, il se crée un embouteillage. Je comprends que pour les responsables de programmation, ce soit un vrai casse-tête aujourd’hui. On nous parle de plus en plus de 2022-2023. » Face à ce marasme, Emmanuèle – qui n’est plus montée sur scène depuis le Western de Serge Papagalli – réfléchit à de nouvelles idées pour des spectacles en plein air cet été, non sans difficulté. Elle ajoute, sans accabler quiconque : « Je constate que le public ne nous réclame pas. Il serait bon pour nous, les artistes, de revoir le lien qui nous unit à lui. » / MK


Sébastien Geraci – Théâtre du Risque

La compagnie peut passer quelques jours à la Faïencerie, avec La tour de la Défense, une pièce qu’elle est censée jouer à la Vence Scène début avril. Une bonne opportunité, qui n’était pas prévue initialement. Sébastien Geraci rappelle cependant que, du 19 au 23 janvier, la compagnie devait reprendre La mélancolie des barbares au Théâtre Prémol… et a finalement dû se contenter de travailler à huis clos (avec tout de même deux filages devant des professionnels et des scolaires, dont un a été capté en vidéo).

« La Mélancolie, c’est un spectacle important, avec quatorze comédiens sur scène, de 19 à 70 ans, accompagnés de trois techniciens et moi en coulisses, précise-t-il. Au total, avec notre administratrice et notre coordinatrice, vingt personnes sont concernées. Dans les conditions actuelles, il faut prendre garde à tout, être masqués quand on n'est pas sur scène notamment, et être attentifs au temps de travail que l’on demande aux comédiens. »

Là aussi, la compagnie s’en sort à peu près financièrement, les indemnisations des intermittents courant a priori jusqu’en août. Le metteur en scène note que beaucoup de théâtres restent ouverts et y voient « un point positif ». Sauf changement des règles sanitaires, la compagnie devrait ainsi être accueillie au Déclic et peut-être au Jeu de Paume. Difficile pour la troupe, comme pour tant d’autres, d’avoir une véritable visibilité et des certitudes absolues sur son planning de travail. Il faut donc s’adapter, encore et toujours. Les pensées de Sébastien s’évadent parfois vers le très long terme : en 2023-2024, le Théâtre du Risque fêtera ses vingt ans. / MK

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Vendredi 22 avril 2022 Avec "Roda Favela", le metteur en scène Laurent Poncelet s’attaque à Jair Bolsonaro, ce président d’un Brésil qu’il aime depuis quinze ans. Au plateau, douze artistes multifacettes invitent le spectateur dans leur favela, un condensé d’énergie brute...
Mardi 23 juin 2020 Après une fin de saison largement amputée du fait de l’épidémie de coronavirus qui a contraint le monde culturel à se mettre en pause dès la mi-mars, les salles de spectacles de l’agglomération grenobloise se tournent vers l’avenir. Et ont, pour la...
Lundi 25 septembre 2017 Le metteur en scène grenoblois de la Fabrique des petites utopies revient avec un spectacle interprété par des circassiens et des comédiens dans lequel le jeu d'échecs permet d'aborder des questions plus larges et contemporaines.
Vendredi 5 mai 2017 Le metteur en scène grenoblois Laurent Poncelet (compagnie Ophélia Théâtre) a de nouveau conçu un spectacle bondissant et énergique avec de jeunes interprètes venus des quatre coins du monde, de ses bords. Nous avons assisté à une générale quelques...
Lundi 18 juillet 2016 Entre le 27 et le 31 juillet, c'est à Saint-Antoine-l'Abbaye que ça se passe. Avec notamment la reprise de deux excellents spectacles créés l'an passé à Grenoble (ou aux alentours).
Mardi 22 décembre 2015 Cette année, deux spectacles de théâtre nous ont fait un bien fou. Et un ponte de la danse a dû faire ses cartons.
Mardi 1 décembre 2015 Pendant quinze jours, le fameux camion-théâtre de la compagnie grenobloise La Fabrique des petites utopies de Bruno Thircuir va ouvrir ses portes à diverses compagnies et esthétiques en plein parc Paul-Mistral. Une sorte d'avant-goût d'un projet...
Mardi 17 mars 2015 Avec son adaptation du roman "Rue des voleurs" de Mathias Énard, Bruno Thircuir de la Fabrique des petites utopies livre un spectacle sur un héros « prisonnier de sa condition de jeune arabe de Tanger, de l’Histoire coloniale, de la peur de...
Mercredi 12 novembre 2014 Trois questions à Laurent Poncelet, organisateur du Fita et directeur de la compagnie Ophélia Théâtre. Propos recueillis par Aurélien Martinez
Mardi 20 mai 2014 Après la claque "Magie noire" en 2010, le chorégraphe Laurent Poncelet (compagnie Ophélia Théâtre) a dévoilé la semaine dernière à Crolles "Le soleil juste après" : une nouvelle création bondissante toujours conçue avec des jeunes artistes des...
Mardi 1 avril 2014 Une partie du travail du metteur en scène grenoblois Bruno Thircuir de la Fabrique des petites utopies était volontairement frontal, dans le but de (...)
Jeudi 28 mars 2013 Le Grenoblois Bruno Thircuir et sa Fabrique des petites utopies sont de retour avec "Nous sommes tous des K", repas-spectacle populaire basé sur un texte de Kakfa qui sera joué dans plusieurs lieux de l’agglo les semaines à venir. Rencontre avec le...
Jeudi 1 novembre 2012 - La biennale, centrée sur le théâtre-action, propose de nombreuses formes artistiques : du théâtre donc, mais aussi du clown, des marionnettes, de la poésie, (...)
Jeudi 1 novembre 2012 Le Fita, biennale de théâtre engagée invitant des compagnies du monde entier, fête cette année ses dix ans. On a donc interrogé son directeur Laurent Poncelet, un insatiable promoteur de la rencontre entre art et citoyens. Propos recueillis par...
Lundi 19 mars 2012 Zoom / Un beau jour (ou peut-être une nuit), le metteur en scène Bruno Thircuir de la compagnie de spectacles itinérantes La Fabriques des Petites Utopies (...)
Vendredi 6 mai 2011 THÉÂTRE/ Le metteur en scène Laurent Poncelet (compagnie Ophélia Théâtre, organisatrice du Festival Théâtre Action) a l’habitude de livrer des spectacles hors (...)
Vendredi 18 mars 2011 Avec "Les enfants d’Icare", la Fabrique des Petites Utopies poursuit inlassablement son exploration des cultures lointaines et incite tous les publics à la contemplation onirique. FC
Lundi 22 novembre 2010 Armée d’une volonté à toute épreuve (il fallait bien ça), l’équipe de la Fabrique des Petites Utopies inaugure ce samedi le Caravansérail, pôle d’art nomade situé au cœur du quartier Mistral. Point sur la genèse d’un lieu encore en préfiguration....
Lundi 4 octobre 2010 La Fabrique des petites utopies de Bruno Thircuir, l’une des compagnies locales les plus intéressantes, va poser ses valises au Grand Angle de Voiron (...)
Lundi 29 mars 2010 Si l’on n’avait pas spécialement accroché à Tour Babel, la dernière création un brin facile de La Fabrique des Petites Utopies présentée en octobre dernier, rien (...)
Lundi 1 décembre 2008 Alors que le vingt-et-unième siècle est à peine entamé, Bruno Thircuir, ancien collaborateur de Chantal Morel, décide d’impulser à sa jeune compagnie, La Fabrique (...)

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X