« Comprendre les sciences, c'est comprendre le monde dans lequel on vit »

Sciences / L’association La Casemate, centre de culture scientifique fondé en 1979, s’est transformée en établissement public de coopération culturelle (EPCC). Elle intégrera le nouveau Centre de sciences de Pont-de-Claix l’année prochaine. Nous sommes allés interroger sa nouvelle présidente et sa directrice pour savoir ce qui allait changer et si l’indépendance serait toujours de mise sous une gouvernance très politique.

Après cinq ans de gestation, l’établissement public de coopération culturelle La Casemate est officiellement né le 1er janvier dernier. Avec la MC2 Grenoble, c’est le deuxième EPCC sur le territoire et l’un des tous premiers en France à vocation scientifique. Le premier conseil d’administration de la nouvelle structure s’est tenu le 13 janvier, avec un duo féminin à sa tête. Sa présidente, Corine Lemariey, est adjointe au maire de Varces et conseillère métropolitaine déléguée à l’égalité entre les femmes et les hommes et à la lutte contre les discriminations. Jeany Jean-Baptiste, en poste depuis trois ans, reste directrice de l’établissement, auquel sera rattaché le centre de sciences de Pont-de-Claix dont l’ouverture est prévue fin 2022. Qu’est-ce qui va changer pour la Casemate ? Quels sont les enjeux de cette nouvelle structure ? Comment va-t-elle fonctionner ? Réponses de la directrice et de la présidente.

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Corine Lemariey, qu’est-ce qui vous a amené à ces nouvelles fonctions ?
C. L. :
Je suis élue et adjointe au maire de Varces-Allières-et-Risset depuis un certain nombre d’années et je suis conseillère métropolitaine. Or il existe des structures satellites dans l’agglomération dans lesquels les élus sont administrateurs. J’ai été pressentie par Christophe Ferrari pour prendre la présidence de l’EPCC. Pour mon goût pour la culture scientifique, parce que je suis une femme et en raison de la proximité géographique de Varces avec Pont-de-Claix, où se trouvera le futur Centre de sciences. Le conseil d’administration de la Casemate m’a ensuite élue à l’unanimité à mon poste.

Pourquoi avoir transformé l’association Casemate en EPCC ?
C. L. :
L’EPCC est en projet depuis 2015. Une délibération cadre a été votée par le conseil métropolitain pour fixer les enjeux et les objectifs de la métropole au regard de la culture scientifique, technique et industrielle. L’idée est d’avoir une politique globale sur le territoire menée par un seul organisme qui va gérer les deux structures : la Casemate d’un côté, et, de l’autre, ce que certains ont réduit à un Planétarium mais qui sera beaucoup plus que cela : un Centre de sciences qui s’intéressera aussi au climat, à l’environnement et aux sciences du vivant. L’intérêt est que tout le monde travaille ensemble, sans concurrence.

J. J.-B. : L’EPCC représente une forme d’engagement de l’université et de l’académie, qui sont les membres fondateurs, et des collectivités - Département, Région et Métropole - pour apporter un soutien financier et coconstruire cette politique de culture scientifique pour les métropolitains et au-delà. Il répond également à une politique d’aménagement du territoire, avec la Casemate qui est plutôt au nord et le Centre de sciences situé au sud de la métropole. La Casemate sera davantage tournée vers l’expérimentation, la fabrication, le DIY. Le Centre de sciences, lui, sera orienté sur la terre, l’univers et l’environnement avec deux propositions complémentaires : un planétarium et une salle immersive 3D. Il s’adressera davantage au grand public, avec une capacité plus importante.

Quels sont les changements notables apportés par l’EPCC ?
C. L. :
Une association vit avec des subventions versées annuellement. Avec un EPCC, le montant des financements est édicté dans les statuts. L’idée est d’assurer une pérennité. Avec l’EPCC, la Casemate devient beaucoup plus solide et acquiert une visibilité nationale et européenne, plus difficile à obtenir avec une structure associative classique. Il a fallu trouver des organismes qui acceptent de le financer : le Département, la Région et Grenoble Alpes Métropole. L’EPCC est constitué d’un conseil scientifique et d’un comité d’orientation stratégique. Ses membres vont aiguiller le conseil d’administration qui sera décisionnaire sur la politique à mener à la Casemate. Nous passons ainsi d’une gouvernance associative à une gouvernance politique.

Avec une telle gouvernance, comment la Casemate peut-elle rester indépendante ?
J. J.-B. :
S’il y a une gouvernance politique c’est pour porter une dynamique de politique publique sur un principe de coopération. C’est normal que les politiques soient parties prenantes du conseil d’administration. Chaque collectivité donne mandat à cet EPCC pour promouvoir cette politique de centre de culture scientifique, technique et industrielle (CCSTI) sur le territoire métropolitain. C’est cohérent.

C. L. : Le directeur ou la directrice d’un EPPC est choisi en fonction de son projet culturel et scientifique, avec un mandat et un terme à ce mandat. Quand le projet est validé, le conseil d’administration, composé de personnes variées, met tout en œuvre pour que le projet se développe. On est toujours dans la démocratie, où chacun a le droit de s’exprimer, de présenter son argumentaire. L’objectif est d’être représentatif de la société civile avec ses contradictions, ses controverses. En tant que présidente, je ne vais pas moi-même donner des orientations.

Quels sont vos intentions et vos souhaits avec cet EPCC ?
C. L. :
Que la diffusion de la culture scientifique soit aussi large que possible au sein de la métropole. Que les enfants de Proveysieux, par exemple, puissent accéder à la Casemate et au Centre de sciences de la même manière que les enfants de Grenoble. Qu’ils soient formés de la même façon et qu’il n’y ait pas une culture des champs et une culture de la ville. Nous ferons en sorte d’aller vers eux et qu’ils viennent à nous.

J. J.-B. : Cette nécessité d’aller sur les territoires est réelle mais nos moyens ne sont pas extensibles. Il faut donc parvenir à dynamiser ces territoires en s’appuyant sur les acteurs en place comme les bibliothèques et les écoles pour que cette infusion du savoir sa fasse à tous les niveaux.

C. L. : L’autre aspect important est celui des femmes et des sciences. Nous voulons promouvoir la science auprès des femmes en termes professionnels. On constate que les filles, qui réussissent aussi bien que les garçons à l’école, se tournent plutôt vers les sciences de l’humain et très peu vers le numérique. Il y a une forme de conditionnement, relayé par la cellule familiale et les différentes structures, qui freine les orientations des filles vers ce secteur. Il y a aussi des problèmes d’identification des filles à ces métiers. Il faudrait de la discrimination positive : c’est ce qui va leur donner confiance.

J. J.-B. : L’une des missions des Centres de sciences est de permettre à des jeunes de rencontrer des professionnels de ces métiers. Pas forcément des docteurs et des ingénieurs, mais aussi des techniciens. Ils peuvent ainsi se rendre compte de la réalité de ce que va être ce métier, de vérifier s’il est conforme à leurs attentes et de valider leur orientation professionnelle. L’EPCC doit aussi agir comme une interface entre les universités et les organismes de recherche d’un côté, et la société de l’autre, avec ses questionnements qui émergent. Cette démarche de comprendre la science est assez nouvelle, alors que c’est de plus en plus complexe. Un Centre de sciences doit faire la mise en lien entre ces mondes qui parfois ne se rencontrent pas, en adoptant un discours et des modes opératoires accessibles à tous.

On le voit dans l’actualité : la société doute et se méfie de plus en plus des sciences. Quel rôle peut jouer la Casemate face à cette défiance ?
C. L. :
Un rôle essentiel. Tout le monde n’est pas obligé d’avoir une curiosité pour la science. En revanche, lorsqu’on a cette curiosité-là, il faut pouvoir accéder à des données fiables, valables, vérifiées et apporter cette culture à ceux qui le souhaitent et notamment aux plus jeunes. C’est un devoir aujourd’hui, d’autant plus que cette société numérique est de moins en moins comprise. Prenons l’exemple de la 5G. Il existe de nombreuses informations contradictoires qui ont toutes parfois une part de vérité. Il existe des discours militants, politiques, technicistes. Il faut permettre à ses différents discours élaborés de s’exprimer et de se confronter pour que les gens puissent se faire leur avis. On n’est pas ici pour infliger des vérités sur la manière de penser. Comprendre les sciences, c’est comprendre le monde dans lequel on vit.

J. J.-B. : La Casemate a comme ambition de donner à voir la complexité des enjeux scientifiques et techniques. Je rebondis sur la 5G. Il y a des enjeux en termes d’usage, des enjeux techniques, de développement scientifique, etc. Une approche culturelle va permettre d’aborder ce sujet dans sa globalité, en abordant la question des usages et ses dimensions sociologiques. Les sciences humaines et sociales sont vraiment au cœur de nos démarches. Ce qui nous importe, c’est de savoir comment ces développements scientifiques et techniques vont impacter nos vies. Il ne s’agit pas de glorifier les sciences et les techniques mais justement de les questionner en termes d‘usages, d’apport dans nos vies, et de voir comment elles les bouleversent. Ce qui est primordial, c’est d’avoir une diversité de points de vue et d’analyser pourquoi il y a des craintes. L’objectif de la Casemate, ce n’est pas de dire c’est bien ou si ce n’est pas bien, mais de donner des clés pour trier et comprendre, alors qu’on est submergé par des informations virales.

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