Morandi, intime et éternel

Figure discrète de la peinture italienne, Morandi n’en a pas moins produit une œuvre qui s’impose comme une sorte d’évidence captivante dont l’exposition du musée de Grenoble rend compte avec élégance.

« Ermite bolonais », « pèlerin », « cénobite » : Morandi a toujours fasciné les critiques d’art par son mode de vie ascétique. Il faut bien reconnaître que dans le genre, il est assez exemplaire ! Installé dès 1910 dans l’appartement où il trouvera la mort en 1964, il avait fait de sa chambre son atelier de peintre. Ses rares escapades sont celles qu’on lui connaît dans la maison de campagne familiale située dans les Appenins – seul autre lieu où il se consacrait à son art.

Né à la fin du XIXème siècle, fils de commerçant de la petite bourgeoisie, rien ne prédispose Morandi à devenir peintre. Formé à l’Académie des Beaux-Art de Bologne, où lui même enseignera plus tard, la fascination qu’il nourrit pour la création picturale l’amène autant à se tourner vers les maîtres anciens, les peintres modernes (Cézanne ou Renoir qu’il découvre à la biennale de Venise en 1910) ou encore ses contemporains comme Chirico dont on trouve l’influence dans la Nature morte métaphysique daté de 1918 exposée au début du parcours proposé par le Musée de Grenoble.

Metteur en scène obsessionnel

Si les influences revendiquées par Morandi apparaissent de manière relativement prégnantes dans ses premières réalisations présentées en début d’exposition, elles s’estompent rapidement au profit de l’affirmation d’une sensibilité qui lui est singulière et que le parcours nous invite à explorer. Reclus dans sa chambre-atelier, il agence inlassablement carafes, pots et bibelots comme autant de pièces d’un jeu d’échecs dont il évalue les possibles combinaisons grâce à des compositions graphiques et picturales d’une grande sobriété. Metteur en scène obsessionnel, il nous plonge ainsi dans un univers spectral et poétique fascinant. Jamais regarder des versoirs en zinc et des bidons en métal n’aura donné autant l’impression de contempler l’infini !

Paysages intimes

Essentiellement connu pour ses natures mortes, Morandi a également réalisé de nombreux paysages que l’exposition a le mérite de mettre en avant. Là encore, sa sensibilité picturale s’impose. Même sous un soleil estival, la nature y apparaît très "morandienne", dominée par des teintes ocres-bruns et paradoxalement, assez intimiste. Le parcours de l’exposition met ainsi en avant les subtiles variations de cette sensibilité singulière jusqu’aux ultimes aquarelles réalisées dans ses dernières années et dont l’économie de moyens est fascinante. Souvent travaillées en réserve, les objets représentés sont à peine suggérés. Évanescents et dissolus ils apparaissent comme absorbés par la surface du papier.

Retour à l’atelier

Comme par un retournement malicieux, le clou de l’exposition se trouve en ouverture de parcours avec la série de photographies que son compatriote Luigi Ghirri a consacré à son atelier. Outre leur beauté saisissante, ces photographies permettent de découvrir le (mythique) environnement de travail de Morandi. On y retrouve ses objets fétiches (carafes, bols, et vaisselle diverse) que le peintre préparait préalablement en les plongeant dans la peinture. Sous l’objectif de Luigi Ghirri, l’atelier de Morandi devient une œuvre d’art à part entière, une sorte d’installation picturale sobre et lumineuse imprégnée de la sensibilité de l’artiste. Et étrangement, à la découverte des vues de cet atelier, on prend conscience que ces toiles, dont il émane une temporalité qui semble éternellement suspendue, ont été peintes dans un espace dont le charme est au contraire de porter en lui les traces du passage du temps : la poussière s’y accumule dans les coins et sur les murs décrépis de nombreuses taches et coulures de peintures attestent du temps considérable que Morandi consacra à son œuvre.

Giorgio Morandi, la collection Magnani-Rocca, au musée de Grenoble jusqu’au 4 juillet 2021.

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