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Fabrice Montoya : « C'est schizophrénique, j'ai le sentiment de devenir Alain Bar »
Par Valentine Autruffe
Publié Mardi 2 novembre 2021 - 3632 lectures
Photo : DRAlain Bar
Marchand d’art, Fabrice Montoya tisse depuis des années des liens avec l’un de ses artistes, le graveur savoyard Alain Bar. A tel point que ce dernier lui a vendu, de son vivant, l’intégralité de son œuvre, et surtout son nom. Une histoire peu commune, autant que le parcours de ce Grenoblois qui a exercé pendant une quinzaine d’années, avant de se reconvertir dans l’art, le métier de détective privé.
Depuis 2018, vous êtes propriétaire de l’œuvre et du nom du graveur Alain Bar, qui vit toujours en Tarentaise. Qui est-il pour vous ?
Alain Bar est un graveur, né en 1947. En tant que marchand d’art, je m’occupais d’une dizaine d’artistes dont lui. Une confiance, une amitié peut-être – je l’espère – s’est installée entre nous. Parmi les dix artistes que j’avais, c’est du côté d’Alain Bar que j’avais le plus de sensibilité, car je suis un ancien sportif, or, toute son œuvre repose sur le mouvement.
J’ai donc repris à sa demande, en 2018, la société qui s’occupe du fonds Alain Bar. J’ai la propriété physique et intellectuelle de l’œuvre.
On se voit régulièrement, toujours chez lui. Il m’apprend à graver, et on parle de lui. Il existe très peu de photos, de souvenirs, alors j’essaie de remonter le fil de sa vie - sa vie professionnelle.
Quel était l’intérêt pour lui de vous céder son travail et son nom ?
Son intérêt, c’était que son œuvre perdure après lui. Il ne grave plus, ou seulement pour son plaisir. C’est une volonté de transmission de son œuvre. La transmission est une chose très importante entre nous deux. Il a pris le rôle du maître, et moi celui de l’apprenti.
Etes-vous vous-même artiste ?
Pas du tout, je n’ai aucun talent. Mais j’ai une sensibilité.
Vous possédez, en quelque sorte, le nom d’Alain Bar. Qu’est-ce que cela signifie ?
Je suis propriétaire de centaines de pièces mais surtout de son nom. C’est ça qui est original, je ne connais pas d’autre artiste qui ait transmis son nom, de son vivant. Ça signifie qu’Alain Bar est allé au bout de son œuvre, il a fini son temps d’artiste. Il y a un début, un milieu et une fin à son œuvre, et ça aussi, c’est très rare. Parce qu’un artiste, c’est quelqu’un qui se fait manger par son œuvre. Lui a décidé de vivre au-delà d’elle.
Concrètement, si une gravure n’est pas signée, j’ai la possibilité de la signer au nom d’Alain Bar. S’il y a un faux - et c’est arrivé -, j’interviens au nom d’Alain Bar, et dans les salles d’enchères, je le représente. C’est assez schizophrénique, car j’ai le sentiment de devenir peu à peu Alain Bar…
En parlant de schizophrénie, je me suis laissé dire que vous n’en étiez pas à votre premier trouble de l’identité. Votre première carrière de détective privé implique d’avoir endossé toutes sortes de rôles… D’abord, comment devient-on détective ?
Par chance et par hasard. Mes deux parents étaient avocats à Grenoble et ils travaillaient sur certains dossiers avec un détective privé, Jacques Lecomte, aujourd’hui décédé. Ils me l’ont présenté, je sortais de mes études de droit. J’étais employé dans une compagnie d’assurance, mais je ne voulais pas être salarié. Il m’a pris en stage pendant deux mois, puis m’a proposé de reprendre son cabinet, rue Ampère. Un vrai cabinet, avec écrit détective privé à l’entrée, des clients qui sonnent…
C’est une vocation insolite…
C’est bien pour ça que ça m’a attiré ! Le deal, c’était que je prendrais sa suite au terme de deux ans de formation. Toujours ce rapport de l’apprenti au maître…
Quelle a été votre première affaire ?
C’était les parents d’une jeune femme qui allait se marier, ils voulaient s’assurer que le futur marié était sérieux. Effectivement, il avait quelqu’un d’autre, et qui plus est, un homme. Je l’ai découvert très facilement, en faisant des filatures… Le mariage a été annulé. Du coup, je n’ai plus jamais refait ce genre d'affaires !
Comment on se sent lorsqu’on annonce ce genre de nouvelle à une fiancée ?
Mal. C’est pour ça que j’ai arrêté. C’était entrer dans trop d’intimité. Et puis chacun fait ce qu’il veut. À la suite de ça, j’ai décidé de me spécialiser dans deux domaines où la demande était forte : la recherche de personnes dans les sectes ou les communautés, et les entreprises.
Quand une entreprise s’apprête à déposer un brevet, il est fréquent que le salarié parte voir ailleurs avec ses recherches - qui ont été financées par son employeur -, fasse monter les enchères auprès des concurrents… Ces missions m’ont amené à bouger un peu dans toute l’Europe. À chaque fois, j’étais embauché par la société comme homme de ménage, car c’est celui qui dispose de tous les badges d’accès. Je farfouillais, je trouvais des notes, des billets d’avion… C’était le début d’internet, donc ce n’était pas très compliqué. Mais je faisais quand même le ménage !
Avez-vous déjà échoué ?
Non, ils font toujours des erreurs.
Parlez-nous du volet sur les sectes…
C’était surtout des familles qui cherchaient un parent disparu, beaucoup de couples divorcés, dont l’un s’était évaporé avec l’enfant. Ces clients venaient avec des éléments, des noms, ils avaient vu la personne dériver, changer de comportement. Une fois la structure identifiée, souvent des communautés dans la Drôme et l’Ardèche, je m’y intégrais sous un faux nom, je m’inventais une vie entière, de façon très organisée et très détaillée. Je faisais des fiches, pour qu’il y ait le moins de failles possible. Le mensonge, l’imposture ne suffit pas, il faut que ce soit très organisé. Je suis aidé par mon physique très banal, passe-partout, les gens ne me reconnaissent pas. Mais il est arrivé, dans le domaine des sectes, que je ne retrouve pas la personne recherchée.
Vous avez dû voir et vivre des choses difficiles.
Horribles. Des emprises psychologiques qui permettaient au gourou, au leader, au chef… je ne sais plus comment l’appeler… de prendre l’argent, le corps et l’esprit des personnes. Donc tout.
Ça peut concerner n’importe qui, car nous avons tous des moments de fragilité. Il y avait beaucoup de danses, de formes de méditations… ça part toujours d’une recherche spirituelle, ce qui est tout à fait honorable. Mais cette recherche n’est pas ouverte, elle est fermée. Au lieu d’ouvrir l’esprit sur plein de mondes, elle le ferme sur un seul.
Comment arrive-t-on à assister à tout ça, y participer, sans se laisser entraîner ni se dévoiler ?
Ça demande une concentration extrême. Il faut être impliqué, mais ne pas prendre parti. Tu regardes la personne dans les yeux, mais une partie de toi reste en dehors. Le vortex de la secte te prend physiquement, mais pas psychologiquement.
Une fois la personne retrouvée, j’en informe la famille, je leur fournis le dossier. C’est à elle ensuite, si un avis de recherche a été lancé ou qu’il y a une situation de maltraitance, de déposer plainte auprès des forces de l’ordre.
Pourquoi avoir mis un terme à votre carrière de détective ?
Parce que c’est schizophrénique. Les sectes, c’est H24. J’avais perdu ma vraie identité, je ne savais plus quelle était ma vie, je n’avais plus de repères. Et j’étais trop vieux aussi !
Comment passe-t-on de l’enquête au milieu artistique ?
Mon grand-père était mécène, mes parents le sont également, j’ai toujours baigné là-dedans. Le point commun entre le métier de détective et l’art, c’est que ce sont des milieux discrets, avec une part de secrets, des confidences. Et je vis aussi plein d’aventures en étant marchand d’art…
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