En choisissant d'aborder Bonnard par le prisme de la lumière, le musée de Grenoble propose tout à la fois un retour sur l'ensemble de son œuvre et une réflexion sur la singularité de son approche. Nous en avons discuté avec Guy Tosatto, directeur du Musée de Grenoble et Sophie Bernard, co-commissaire de l'exposition.
Depuis plusieurs années, le musée de Grenoble consacre régulièrement des expositions à des périodes méconnues ou peu étudiées de grandes figures de l’histoire de l’art. Pour Bonnard, vous avez plutôt fait le choix d’une entrée thématique : la lumière. Pouvez-vous nous expliquer ce parti pris ?
Guy Tosatto : Pour Bonnard, l’aborder par un point particulier me semblait restrictif. L’idée était de couvrir l’ensemble de l’œuvre, de présenter toutes ses facettes, avec une parenthèse sur les arts graphiques car, dans les dernières expositions qui lui ont été consacrées, c’est un corpus qui n’avait pas été abordé et qui me semblait intéressant. Finalement, c’est Isabelle Cahn, la conservatrice du musée d’Orsay, qui a eu cette proposition d’aborder Bonnard par le biais de la couleur, avec comme fil rouge la lumière. Il y a en effet chez lui cette quête de transcrire la lumière à travers la gamme colorée. Avec Sophie, on s’est aussitôt emparés du sujet, qu’on a enrichi avec un grand nombre de prêts complémentaires.
Vous aviez récemment consacré une exposition à l’œuvre de Picasso pendant la guerre. On sentait alors la peinture imprégnée de ce moment tragique de l’histoire. Celle de Bonnard, au contraire, semble ne jamais avoir été effleurée par les réalités sociales et historiques de son époque...
Sophie Bernard : En effet, la critique a parfois considéré que c’était une peinture un peu bourgeoise, décalée par rapport à son époque. Toute une historiographie a même enfermé Bonnard dans une forme de peinture naïve du bonheur. Mais c’est une vision un peu simpliste. Il y a récemment une autre histoire de l’art qui est venue dire toute la complexité et tout l’intérêt de Bonnard. C’est l’originalité de son regard, la modernité de sa vision que nous avons souhaité souligner.
GT : Ce qu’on peut voir dans le mouvement de l’œuvre de Bonnard, c’est qu’il passe d’un intérêt pour le monde extérieur : la vie parisienne, les musiciens, les danseurs, les scènes de théâtres ; à un intérêt pour son monde intérieur. À partir des années 1900, il va finalement se resserrer sur ce qui l’entoure au plus près.
SB : Il y a chez Bonnard une recherche d’harmonie. À la fin de l’exposition, L’Atelier au mimosa est à la fois une ode à la lumière et un antidote à la guerre. Mais Bonnard est avant toute chose un peintre pour qui la “passion périmée de la peinture”, comme il le dit lui-même, est un absolu. Et à travers elle, la quête de la lumière, fil de l’exposition.
Vous consacrez une section de l’exposition à sa pratique de la photographie. Dans quelle mesure a-t-elle pu influencer sa peinture ?
SB : Pierre Bonnard se dote d’un pocket Kodak à la fin des années 1890. Il s’agit d’un petit appareil qui ne permet pas de faire des photographies de grande qualité mais qui lui permet de travailler des effets liés à la lumière : le poudroiement, la phosphorescence et bien sûr la manière dont la lumière agit sur les corps. Et, au-delà de la lumière, il y a aussi des motifs qui naissent. Les photographies sont aussi pour lui un répertoire de formes, des notes visuelles pour la peinture. En témoignent les nus mais aussi les scènes d’enfants au Grand-Lemps.
Cela fait plusieurs mois que vous travaillez à cette exposition. En vous confrontant de si près à son œuvre, y-a-t-il des choses que vous avez redécouvertes ou qui vous ont marqué ?
GT : Ce qui m’a frappé finalement, c’est la complexité de ce travail. Sous son apparence évidente, limpide, on trouve un artiste d’une très grande ambition artistique. C’est un artiste qui aborde des thèmes essentiels à la peinture, d’une manière presque "dilettante", sensible et intuitive. Il n’est jamais démonstratif ou péremptoire et pourtant il mène une réflexion profonde sur la nature même de la peinture. C’est quelque chose qui nous est apparu de manière évidente en travaillant sur l’exposition mais également lorsque nous avons réceptionné les œuvres. Comme chez tous les grands peintres, il n’y a jamais d’œuvre insignifiante. Il y a toujours quelque chose à prendre et à apprendre.