"Les Éternels" : combat land

Les éternels
De Chloé Zhao (Chi, 2h37) avec Gemma Chan, Richard Madden, Salma Hayek

MARVEL / Après Thanos, une nouvelle menace s’abat sur la Terre. Mais pas de panique, un autre groupe de super-héros va faire le job. Ni Dune, ni dieux, Chloé Zhao adapte le premier volet de la série signée par l’alter ego de Stan Lee, le dessinateur Jack Kirby. Et ça fonctionne plutôt bien si l’on excepte quelques concessions à l’air du temps…

En “sommeil” depuis des siècles, les Éternels — un groupe d’êtres surnaturels envoyés par une entité cosmique sur Terre pour la protéger des Déviants, de féroces prédateurs — se réactive et se reforme lorsqu'une escouade de monstres qu’ils croyaient exterminés, se met à les attaquer, prenant la vie de leur cheffe, Ajak. Commence une implacable traque autour du monde, ainsi qu’un compte à rebours dont le déclenchement s’est lancé à leur insu des millénaires plus tôt…

Nouvel aiguillage dans le MCU : après Avengers : Endgame (2019) se soldant par la défaite de Thanos, les Éternels relèvent le gant — expliquant au passage pourquoi ils n’ont jamais interféré dans les affaires du réducteur de populations de l’univers : bons petits soldats, il devaient s’en tenir à la mission assignée par leurs boss, Arishem. Comme dans chacune des branches marvelliennes, il s’agit donc pour une poignée de super-veilleurs de sauver notre planète d’une entité résolue à l’asservir ou la détruire ; les humains “ordinaires” (c’est-à-dire non mutants) étant à nouveau des sous-produits narratifs : tout le monde se bat pour eux, mais ils ne constituent qu’un magma bon à être manipulé en masse, à faire de la figuration en meublant les décors, à essuyer collectivement les dommages collatéraux des bagarres… Bref, c’est davantage un élément indivis qu’une somme d’individus ; ce qu’est le groupe des Éternels. D’ailleurs, un humain disposera rarement de plus de dix lignes de dialogue — si c’est le cas, méfiance, il n’est peut-être pas si banal que ça…

Des lieux pas si communs

Sinon, qu’est-ce que ça change, un Marvel signé par une cinéaste réputée pour son cinéma d’auteur et lauréate d’un Oscar ? Comme lorsque Sam Mendes est arrivé chez Eon Production pour le James Bond Skyfall : rien et tout à la fois.

L’immuable, c’est l’identité supérieure de la marque, le cahier des charges et le moule dans lequel le réalisateur, en bon technicien, est censé se conformer. Ici, des ambiguïtés, doutes et trahisons internes faisant vaciller la cohésion globale autour de la notion d’obéissance et d’appréciation du bien et du mal ; qui trouvent leur résolution non pas à travers une copie du bac de philo mais dans des combats épiques au milieu de paysages d’apocalypse.

La variable d’ajustement, la “singularité Zhao”, c’est d’abord des incarnations féminines de premier plan pour diriger le groupe (Black Widow et Captain Marvel vont se sentir un peu moins seules dans le MCU) et une aspiration à de nouvelles géographies. Exit, les sempiternels gratte-ciel des mégalopoles ravagées par des monstres ! Si les Éternels voyagent dans le temps en parcourant les civilisations (mésopotamienne, amérindienne…), ils sillonnent le globe à l’époque contemporaine, préférant à la triade Chicago-New York-Los Angeles (au hasard), pour toute cité, Londres. Et puis l’Amazonie dans des séquences évoquant la traque de Predator, l’Alaska, l’Australie, l’Irak, les horizons du Dakota du Sud dans des plans évoquant les toiles de Andrew Wyeth ou les plages de sable noir de l’Océan Indien… La mise en valeur d’une planète plus que de ses habitants, clairement ; en sous-texte : c’est elle qui est en danger.

Et puis, une autrice chevronné au scénario comme à la réalisation de ce film traversé par la question de la métempsychose (et du souvenir des âmes précédentes), donne lieu à d’intéressants moments de mise en abyme ou “meta”, de surcroît portés par Kingo l’“Éternel indien“. Immortalité oblige, son personnage, qui incarne à lui seul une dynastie d’acteurs bollywoodiens, entreprend de documenter façon “film dans le film“ l’équipée contre les Déviants. Il se livre également à une analyse freudienne des caractères du groupe à mi-chemin, donnant une clef de compréhension (quasiment celle du dénouement) du mal-être des héros en les rapprochant des protagonistes de Peter Pan ! Un peu plus de matière grise et un peu moins de fond vert n’est jamais pour déplaire.

All inclusive ?

Pour sa BD, Jack Kirby avait transposé l’idée selon laquelle les dieux inventés par les Hommes dans toutes les civilisations étaient en réalité des extra-terrestres ; cette adaptation la refaçonne au goût du jour. Le mieux étant l’ennemi du bien, le soin extrême pris à composer une galerie façon catalogue de personnages “mosaïque” — c’est-à-dire souhaitant offrir de l’humanité la représentation la plus généreuse possible, où toutes les singularités sont représentées et donc offrant au moindre spectateur la possibilité de s’identifier sans trop d’efforts — vire à la caricature bien pensante.

En s’engageant dans cette segmentarisation systématique (pour des raisons d’inclusion ou par volonté, plus cynique, de s’octroyer des parts de marché supplémentaires), les studios mettent le doigt dans un engrenage sans fin et s’exposent à un reproche : celui d’avoir sciemment voulu invisibiliser les minorités/genres/groupes/peuples etc. qu’ils n’auraient pas explicitement désinvisibilisés à l’écran. Donc d’avoir causé du tort par omission. Si le temps du héros l’occidental blanc est (à raison) révolu, basculer dans celui d’un panel permanent ou d’un cahier des charges validé par huissier serait en définitive pour les films tout aussi… “problématique“.

Les Éternels de Chloé Zhao (É.-U., 2h37) avec Gemma Chan, Richard Madden, Salma Hayek, Angelina Jolie…

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