Jeudi 8 juin 2023 Sa toute première programmation en tant que directeur de l’Hexagone, l’année dernière, aurait pu dérouter le public. Il n’en est rien, Jérôme Villeneuve annonce (...)
Jérôme Villeneuve : « L'art permet vraiment de questionner la science »
Par Hugo Verit
Publié Lundi 29 novembre 2021
Photo : (c) Pierre Jayet
Le trentenaire a pris la tête de l’Hexagone le 15 novembre dernier, succédant à Antoine Conjard. De formation scientifique, Jérôme Villeneuve a su également concilier sa passion pour les arts dans un parcours atypique mêlant les deux disciplines. Un profil idéal pour le théâtre meylanais qui a fait des rapprochements entre l’art et la science sa marque de fabrique.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours, pour le moins atypique, qui vous a conduit aujourd’hui à la tête d’une scène nationale arts sciences ?
Je fais partie de ceux qui ont eu la chance d’être très tôt plongés dans la musique et dans l’art en général, grâce à des parents qui m’ont gentiment inscrit au conservatoire (en batterie, puis piano et trompette) et qui m’amenaient souvent voir des spectacles. Mais, tout en gardant en tête cette passion, j’ai suivi un cursus scientifique car j’étais notamment très attiré par la recherche en cosmologie et en astrophysique.
De Montélimar, je suis venu à Grenoble, réputée dans ce domaine-là, et lorsqu’il a été question de choisir un master, j’ai découvert qu’il existait, dans cette ville, un diplôme "Arts sciences et technologies", ce qui était presque unique en France à l’époque. J’étais extrêmement satisfait de ce que j’avais pu apprendre en physique et en sciences dures mais l’idée de renouer avec des choses qui m’excitaient immensément encore à ce moment-là – c’est-à-dire la musique, la création, l’expérimentation – a pris complètement le pas sur le projet que j’avais à la base. Puis tout a été très rapide, brutal même.
J’ai fait une thèse, je suis devenu responsable de ce master et j’ai de suite embarqué sur des projets européens de coordination avec le European art-science-technology network (EASTN) qui m’ont amené à collaborer avec une école d’art et de design à Cardiff, une école d’architecture à Barcelone, ou encore de petites structures au Portugal ou en Grèce. Très vite, je suis passé de mon petit stylo de chercheur sur une thématique très spécifique à des univers qui se désintéressaient presque de la recherche pour elle-même et préféraient trouver, avec les outils numériques, des nouvelles formes de pratiques artistiques. Après cela, j’ai contribué à lancer un premier événement arts-sciences à Grenoble en 2015 avant de créer, avec James Léonard en 2017, une cellule de recherche "Arts Numériques et Immersions Sensorielles" à l’Université Grenoble Alpes et l’association Arcan qui porte notamment le festival d’art numérique DNA depuis 2018. J’ai eu beaucoup de chance et il y a eu pour moi, à Grenoble, un alignement de planètes terrible.
Dans ce contexte, votre nomination à l’Hexagone semble très naturelle…
L’Hexagone, je l’observe depuis 10 ans. Avec l’association Arcan, on a regardé ce qu’il s’y faisait et ce qu’il ne s’y faisait pas et on s’est construit en contrepoint. Et très vite – car je ne fais jamais rien tout seul – on s’est rapprochés d’Antoine Conjard [l’ancien directeur, qui a quitté ses fonctions après 20 ans à la tête de l’Hexagone, ndlr], on a pris le temps de discuter et de former des projets qui devaient prendre vie en 2020. Mais le Covid et le départ d’Antoine n’ont pas permis de les concrétiser. Il a fait un travail de dingue sur ces thématiques arts sciences, c’était un pari dément, il y a 15 ou 20 ans, de prendre cette orientation. Lorsque son départ a été acté, plusieurs personnes m’ont encouragé à candidater et je n’ai pas été difficile à convaincre. Pour moi, l’Hexagone est un écrin arts sciences à l’échelle territoriale et nationale, un terrain d’invention de projets. J’y ai vu l’occasion de mieux comprendre cet outil, son équipe, sa généalogie, son articulation avec le CEA.
Tout au long de mon parcours, j’ai toujours fonctionné comme un physicien : je fais l’état de l’art, je dresse des hypothèses, j’expérimente et je tire les conclusions. Je continuerai à appliquer cela ici et je ne compte pas faire de l’Hexagone un objet à moi, ce n’est pas dans l’air du temps de toute façon. D’ailleurs, je travaille déjà avec des artistes associés, notamment sur la programmation.
Votre arrivée à l’Hexagone va-t-elle constituer une forme de rupture par rapport à l’ancienne direction ?
Il y a une filiation naturelle avec mon prédécesseur. Et certaines choses vont perdurer. Le partenariat fort avec le CEA d’abord qui est très important, mais aussi la Biennale Experimenta qui aura lieu en octobre 2022. Je suis cependant dans une démarche d’évolution et d’ouverture. Il est question de s’intéresser à toute l’étendue des disciplines scientifiques et donc également aux sciences humaines. Si j’ai un vœu pieu, ce serait d’être un point de connexion, d’échange et de reconsidération entre les sciences dures et les sciences humaines qui avancent un peu en parallèle.
Je souhaite par ailleurs ouvrir très largement le projet à l’Université Grenoble Alpes et à d’autres structures de recherche du territoire afin de créer un équilibre avec le CEA. Maintenant que ce diptyque arts sciences a prouvé qu’il avait quelque chose d’intéressant à produire (il y a plein de festivals partout en France désormais et une multitude de scènes de recherche/création dans quantité de campus), je souhaite qu’on s’intéresse à ce à quoi il peut servir concrètement, à son sens.
Dans les événements que vous avez organisés avec l’association Arcan, on percevait une dimension critique à l’égard de la science et notamment des technologies numériques. Est-ce à cela que doivent servir ces rapprochements entre art et science ?
Les questions que posent mon projet sont : où va la recherche ? Sait-elle où elle va ? Sait-elle pourquoi les citoyens ont tendance à la suivre ou pas ? Aujourd’hui, la science a du mal à expliquer pourquoi elle sait, ou pourquoi elle sait mieux que nous. Il existe en France des politiques fortes de médiation culturelle et scientifique qui peinent à présent à créer du lien entre les gens et quelque chose qui est devenu hyper-spécialisée – la science dure, la recherche technologique – dont les émanations s’imposent comme des usages que l’on n’a pas le temps de questionner sur le coup. L’art permet vraiment de questionner ça.
Je crois profondément que les méthodologies artistiques sont des clés de réinterrogation et d’évolution des sciences. Par ailleurs, les rencontres arts sciences, c’est super intéressant, ça nourrit les artistes, ça nourrit les scientifiques, ça restera une vertu, mais cela doit se faire dans une idée de non-ascendance où l’artiste ne soit pas outil de la science et inversement.
L’un des axes forts de votre projet s’intitule "nature et société". Pourriez-vous nous en dire plus sur ce point ?
Les rapports du Giec tombant les uns après les autres, s’il y a un objet à prendre à bras-le-corps aujourd’hui en position de direction d'une scène nationale, avec une équipe et un réseau, c’est fondamentalement cette question de l’environnement. L’art numérique et l’art-science peuvent être des outils pour penser le schisme entre nature et société.
Cette thématique doit aussi requestionner l’Hexagone en tant que lieu dans ses pratiques. Il est question de repenser ses murs.L’Hexagone n’est a priori pas au niveau d’une scène nationale : on n'a qu’un plateau, on a des contraintes fortes, on a 18 personnes qui rentrent dans neuf bureaux… Le bâtiment va donc subir des travaux et il est hors de question pour moi de ne pas penser ces travaux à travers ce prisme "nature et société". Je veux être sûr que cet outil ne soit pas un énième projet d’urbanisme qui va, sous prétexte d’être plus intelligent, plus vert, contribuer au problème. Cette question va aussi teinter la programmation dans laquelle on évitera de présenter des spectacles avec une empreinte carbone excessive.
pour aller plus loin
vous serez sans doute intéressé par...
Lundi 24 avril 2023 Le secteur culturel grenoblois s’empare, depuis peu mais à bras-le-corps, du sujet épineux de la transition écologique. Mobilité des publics, avion ou pas avion pour les tournées des artistes, viande ou pas viande au catering, bières locales ou pas...
Mardi 7 décembre 2021 Fièvre des mots et des couleurs, décors surréalistes et changeants au gré de l’inspiration d’une artiste maintes fois récompensée au Canada et en France, Klô Pelgag baigne dans un univers pop orchestral qui déraille en tous sens. Interview au...
Mardi 19 octobre 2021 On vous en parle tout le temps, c’est vrai. Mais Arcan (Association ressource pour la création artistique numérique) a le mérite de proposer des événements (...)
Lundi 11 octobre 2021 La scène nationale de Meylan connaît officiellement le nom de son nouveau directeur : il s'agit de Jérôme Villeneuve, 34 ans (...)
Mardi 5 octobre 2021 Afin de permettre aux plus démunis de se rendre au spectacle, l’Hexagone fait appel à l’association Cultures du cœur pour distribuer gratuitement des billets solidaires au sein de différentes structures sociales.
Mardi 24 août 2021 Après une première édition réussie en 2020, la soirée "Negotium", consacrée à l’art numérique dans le spectacle vivant, investit à nouveau le Marché d’intérêt national ce samedi 28 août avec, notamment, une tête d’affiche européenne de la...
Mercredi 19 mai 2021 Après l’annulation de la dernière édition pour cause de Covid, le festival d’art numérique DN[A] revient fin mai et s’installe dans le quartier Saint-Laurent pendant deux jours.
Mercredi 31 mars 2021 Changement de programme. À défaut de pouvoir jouer son spectacle immersif tiré de la BD éponyme de Mathieu Bablet, Christelle Derré, directrice artistique du collectif poitevin Or Normes, est venue à l’Hexagone de Meylan lundi 29 et mardi 30 mars, à...
Mardi 26 janvier 2021 Pas de public en salle, mais toujours des idées : cette fois, c’est avec l’Hexagone de Meylan que le Centre national des musiques nomades (CIMN) s’est associé pour proposer, mardi 26 janvier, une création de Fidel Fourneyron inspirée du "Roman...
Vendredi 15 janvier 2021 Lors de la conférence de presse du jeudi 14 janvier, le gouvernement, à travers la voix de la ministre de la culture Roselyne Bachelot, a expliqué que « la situation était trop instable pour évoquer une date de réouverture » des établissements...
Mardi 20 octobre 2020 Déjà à l’origine de plusieurs évènements de grande ampleur dédiés à la découverte des arts numériques dans des cadres insolites, la jeune association ARCAN remet le couvert samedi 31 octobre et dimanche 1er novembre avec l’intrigante...
Mardi 8 septembre 2020 Spectacle /
Les quelques images que nous avons pu apercevoir nous rendent curieux de découvrir Oniri 2070 ! « Un voyage poétique, sonore et (...)
Jeudi 2 avril 2020 « Suite aux consignes nationales liées à la pandémie du Covid-19, nous sommes contraints d’annuler au minimum tous les spectacles prévus au mois de mars et avril 2020 » : c'est ce qu'a écrit l’équipe de l’Hexagone sur son site web, dès les...
Mardi 3 décembre 2019 La salle de spectacles propose un jumelage à plusieurs établissements scolaires de l'agglomération. L'occasion de sensibiliser collégiens et lycéens à la pratique artistique.
Mercredi 27 novembre 2019 Portrait par Robert Guédiguian d’une famille de la classe moyenne soumise au déclassement moyen dans la France contemporaine, où certains n’hésitent pas à se faire charognards pour ramasser les miettes du festin. Un drame noir et lucide. Coupe Volpi...
Mercredi 27 novembre 2019 Une famille déchirée par l’argent, fléau social gangrenant âmes, cœurs et corps… Dans Gloria Mundi, Robert Guédiguian tend un miroir sans complaisance à sa génération, épuisée d’avoir combattu, et à la suivante, aveuglée par les mirages. Mais ne...
Mardi 30 avril 2019 Jeudi 2 et vendredi 3 mai, la Cinémathèque de Grenoble diffuse les deux films cultes du réalisateur québécois : "Le Déclin de l’Empire américain" et "Les Invasions barbares".
Jeudi 21 février 2019 Conteur jovial à la vue perçante, Denys Arcand analyse la société avec une précision clinique et livre des constats doux-amers sur son évolution. Entre polar et comédie, "La Chute de l'Empire américain", nouvel opus de sa trilogie (après "Le Déclin...
Lundi 18 février 2019 de Denys Arcand (Qué, 2h09) avec Alexandre Landry, Maripier Morin, Rémy Girard…
Vendredi 18 mai 2018 Du jeudi 24 au samedi 26 mai, on a rendez-vous dans plusieurs lieux grenoblois pour découvrir la première édition de ce festival consacré aux arts numériques qui « vise à promouvoir les jeunes créateurs auprès des publics de la...
Lundi 15 janvier 2018 Son ascendance même (elle est la fille d'Elli et Jacno et la filleule d'Etienne Daho) a suffi à nourrir la hype autour de Calypso Valois, apprentie (...)
Mardi 28 novembre 2017 Page arrachée à son journal intime collectif, le nouveau film de Robert Guédiguian capte les ultimes soubresauts de jeunesse de ses alter ego, chronique le monde tel qu’il est et croit encore à la poésie et à la fraternité, le tout du haut d’un...
Jeudi 20 juillet 2017 S’il existe des salles de spectacle privées qui vivent (plus ou moins) bien, les salles publiques, elles, comptent sur la contribution des différents acteurs publics (ville, département, région, État…) lorsqu’elles bouclent leur budget...
Mardi 28 mars 2017 On l’a appris au détour d’une conversation, l’Hexagone de Meylan n’ayant encore rien officialisé publiquement : la biennale arts-sciences Les Rencontres-i va changer de nom (ce sera Experimenta) et de dates (en février plutôt qu’en octobre). On...
Mardi 31 janvier 2017 À Grenoble, l’Atelier Arts Sciences, financé conjointement par la scène nationale l’Hexagone de Meylan et le CEA, rassemble des artistes et des chercheurs afin qu’ils échangent sur leurs pratiques et, surtout, travaillent ensemble. Pour fêter les...
Mardi 6 décembre 2016 Comme chaque année en décembre, tout le monde se demande quoi mettre à qui sous le sapin. Laissons à nos confrères les suppléments en papier glacé vantant les mérites de produits high-tech capables de vider un porte-monnaie en deux secondes et...
Mardi 15 novembre 2016 Le 3 novembre, Grenoble Alpes Métropole s’est dotée de la compétence culturelle réclamée depuis longtemps par les acteurs culturels. Mais dans les faits, la collectivité semble très prudente puisqu’elle ne s’engage que sur une chose : le...
Mardi 18 octobre 2016 Quand plusieurs salles de spectacle de l'agglo décident d'ouvrir leurs portes aux plus jeunes pendant les vacances scolaires, on ne peut qu'applaudir.
Mardi 30 août 2016 Apaisé et souriant, le réalisateur aborde avec confiance la sortie de son film franco-québécois "Le Fils de Jean".