On ne plaisante pas avec l'humour

Boulevard / Les titres des comédies de boulevard flattent rarement notre sensibilité poétique… Excepté "Mars & Vénus" peut-être. D'une volonté de finir l'année moins bêtes, nous avons assisté à des pièces comme "Sexe, Arnaque et Tartiflette" ou "60 minutes pour sauver mon couple". Et sommes allés à la rencontre de celles et ceux qui partagent leurs éclats de rire avec qui le veut bien à Grenoble.

Trois fois cette semaine, nous nous sommes surpris à marcher entre le quartier de l’Aigle et les grands boulevards, direction la rue Pierre-Dupont, à la recherche d’un fauteuil rouge où réveiller notre explosif sens de l’humour. D’un pas léger, esquivant les immenses flaques sur l’asphalte, le variant on ne sait où, la fête de Noël flouée encore une fois à la rédac', nous étions d’humeur à faire ce que nous ne faisions pas d’ordinaire. Commander du blanc au lieu d’une pinte de rousse ou encore tester une comédie pour la finesse de son nom et l’intrigue qu’elle laisse présager.

Nous n’allons que très rarement à la Comédie de Grenoble malgré sa programmation à ras bord, les spectacles 7j/7 et les nouveautés quinzomadaires. « C’est comme un cinéma ici », ça mouline, ça mouline, nous fait comprendre Julien Sigalas, directeur du théâtre depuis 2014. Et en décembre, quand tout va bien, la machine s’emballe, ça afflue, « entre 60 et 80 personnes par représentation sur le mois entier, enfants ou adultes », indique Célia, une salariée polyvalente.

« Nous sommes à l’écoute du public, de son rire »

Nous avons donc goûté à 60 minutes pour sauver mon couple, ainsi qu’à Sexe, arnaque et tartiflette. À la sortie du premier spectacle, inspirés par des saillies fort peu légères, du genre « mieux vaut queutard que jamais ! », nous agissons nous aussi en commando jeu de mots. C’est ça, d’avoir été travaillé au corps pendant toute une heure, avec un enchaînement de séquences et effets comiques qui ne laissent guère reprendre son souffle.

Du côté de la scène, Cécile Batailler, la comédienne et co-autrice des comédies susmentionnées, nous éclaire à ce propos : « Il y a un rythme qu'il faut tenir pour la comédie. Il faut tenir les gens en haleine tout le temps. On est sur des techniques de rire mais il n’y a pas que ça. Il faut de la sincérité pour que ça marche. Si on mécanise, ça ne marche plus. Contrairement à d’autres choses qui ne sont pas de la comédie, nous sommes à l’écoute du public, de son rire. » Son confrère Philippe Gruz, comédien lui aussi, renchérit : « On peut les perdre très vite ! » Et d'énumérer les petits effets loupés, les bafouilles, les bruits parasites, les moments de creux, comme autant de raisons suffisantes pour "perdre" un public on ne peut plus proche de la scène. En ce qui nous concerne, le recul n’est pas vraiment suffisant pour dire si nous avons ri des gags ou de notre propre état de malaise. Mais sommes d’accord sans hésiter pour dire avec Cécile Batailler : « Le plaisir du café-théâtre, c’est d’être un théâtre de proximité ».

Si sa pièce Sexe, arnaque et tartiflette tourne depuis onze ans, la comédienne n’a pas toujours interprété la cadre parisienne prête à « flinguer une paire de pompes à 500 euros dans une bouse de vache » et à se taper (premier degré) « la France d’en bas » pour faire signer un contrat véreux à un pauvre type au fin fond des Alpes. Cécile commence le café-théâtre dans les années 2000 avec Mon colocataire est une garce, de Fabrice Blind. Moment épiphanique où lui est révélée sa capacité à faire rire les gens. Mais voilà qu’elle doit désapprendre tout ce que le théâtre classique et surtout contemporain lui ont appris. « Souvent dans le contemporain, dans le classique, ce sont les gens qui vont vers la pièce. Dans la comédie c’est nous qui allons vers les gens. C’est exactement le trajet inverse. »

Le ring du café-théâtre

Derrière cette ambiance chaleureuse et décontractée, l’énergie déployée par les employés, artistes et bénévoles pour attirer à eux tous les publics force le respect. Comme dit plus haut, aussi bien la Comédie de Grenoble que la Basse Cour, café-théâtre associatif près du quartier de l’Estacade, ouvrent du lundi au dimanche pour proposer spectacles et divers ateliers (théâtre, éveil musical, danse, écriture, etc).

Retraité, Christian Leurot, bénévole à la Basse Cour, a vu éclore le café-théâtre en 2012 à l’initiative d’Éric Ghenassia (ancien directeur de la Bobine) et a participé à l’écriture de la Charte. Aujourd’hui, il est chargé de programmation entre ces murs pouvant accueillir jusqu’à 90 spectateurs assis et appartient à l’« armée de bénévoles », comme il dit. Forte d’une implantation stratégique dans un paysage grenoblois où les cafés-théâtres n’ont jamais été légions, la Basse Cour prône « un humour très éclectique » avec une orientation seul en scène et improvisation assumée.

Dans le sillage de l’émission télévisée On n’demande qu’à en rire de Laurent Ruquier, le café-théâtre grenoblois a su tirer parti des humoristes français et belges en quête de popularité. Parmi les pas si petits noms programmés à la Basse Cour, Christian Leurot cite pêle-mêle Guillermo Guiz, Manon Lepomme, Fred Testot, Guillaume Meurice. Sinon, l’essentiel de leur repérage se fait lors du festival d’Avignon. Humour noir, déjanté, sociétal, musical… tout est possible, à condition que les petits ou grands artistes fassent leurs preuves, les mercredis soirs "découverte" notamment. Si le café-théâtre est un lieu résolument formateur, le bénévole met en garde : « On arrive à une saturation avec 4 à 5 demandes par jour d’humoristes qui se disent : tiens, je vais raconter ma vie ! ».

La crise sanitaire fait mal

Ces temps-ci, difficile de s'abstenir d'évoquer l’impact de la crise sanitaire. La semaine dernière, le spectacle Blanc & hétéro de l’humoriste Arnaud Demanche affichait complet à la Basse Cour. Loin d’être un indicateur de bonne santé, le chargé de programmation en souligne le caractère exceptionnel : « Autrement, on a rarement fait notre amortissement sur les spectacles depuis le mois de septembre. On va dire qu’on est à 40% de moins, je dirais même parfois 50%. » De même, Célia, la fameuse employée polyvalente de la Comédie, - chargée de la billetterie, présentation, régie, accueil des comédiens, femme de ménage, atelier théâtre, cours de danse – évoque trois annulations de dates en une semaine, « alors qu’en temps normal ici, on maintient les spectacles dès 5 personnes ».

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