Cécile Ducrocq - Laure Calamy : « La prostitution sans misérabilisme ni glamour »

Une femme du monde
De Cécile Ducrocq (Fr, 1h35) avec Laure Calamy, Nissim Renard, Béatrice Facquer...

Une femme du monde / Prolongeant leur aventure commune débutée en court-métrage (La Contre-allée, présenté à la Semaine de la Critique en 2014 et couronné d’un César en 2016), Cécile Ducrocq et Laure Calamy donnent vie à un personnage de prostituée se démenant pour trouver de quoi payer l’école de son fils. Rencontre.

Avant Une femme du monde, il y a eu le court La Contre-allée où l’on retrouve quasiment le même personnage de prostituée. Comment avez-vous glissé de ce court à ce premier long ?

à lire aussi : Droits aux putes ! “Une femme du monde” de Cécile Ducrocq & ”Au cœur du bois” de Claus Drexel

Cécile Ducrocq : À l’origine des films, il y toujours des rencontres ou des images. La Contre-allée est partie d’une image, de prostituées noires que j’avais vues dans des camionnettes près du Stade de Gerland, à Lyon. Et c’était une image bouleversante, qui m’a hantée assez longtemps parce qu’elle était à la fois tragique — parce qu’on imagine tout ce qu’il y a derrière ce filles qui sont jetées sur le trottoir —, et en même temps très belle, parce que ces femmes étaient très belles, très maquillées, éclairées à la bougies. Il y avait une image cinématographique très forte.

Donc ça a donné lieu au court métrage, et quand on l'a fait avec Laure, on a rencontré des prostituées, dont une — Marie-France — qui exerce rue Saint-Denis à Paris avec la photo de son fils au-dessus de son lit. L’image m’a aussi marquée. Je lui demandé comment elle faisait pour élever ses enfants : « Comme tout le monde : je suis une mère, je l’élève comme n’importe quelle mère ». De cette rencontre et du désir de retravailler avec Laure, et de porter le personnage plus loin, l’imaginaire a pris le relais et j’ai écrit cette histoire d’une femme normale, qui élève son fils normalement, dans des situations de la vie quotidienne, et qui a cette petite particularité d’être prostituée. Un métier pas comme les autres, et qu’en tout cas elle revendique, elle le choisit.

Laure Calamy : Il y a quelque chose du soin dans ce métier. Je suis une grande admiratrice de Grisélidis Réal — ce n’est pas la seule à en parler de cette façon-là. Elles ont beaucoup de respect pour les clients — parce qu’il y a une une solitude, une misère sexuelle. Il arrive qu’un lien se construise sur la durée, et qu’il y ait des confidences, des sourires, de la tendresse — de la douceur, quoi. Ça renvoie à quoi on est soumis dans nos sexualités, pour les hommes comme pour les femmes, d’ailleurs.

L’image de la prostituée au cinéma vous intéressait-elle ?

LC : Oui oui ! Mama Roma est vraiment un film que j’ai vu adolescente qui m’a beaucoup impressionné. Bon j’adore Anna Magnani et Pasolini. Et après, j’avais découvert Les Nuits de Cabiria, qui m’a aussi beaucoup marquée et puis Maîtresse de Barbet Schroeder, que j’adore aussi. La figure de la prostituée me fascine aussi pour cette espèce d’apparat dans laquelle elle se présente, un peu comme une armure ; un endroit de fragilité qui en fait va être un endroit de force et de maîtrise, en fait, à la fois de la représentation sur le féminin et le masculin.

Et ça rejoint en fait une problématique générale des femmes : je fais ce que je veux de mon corps. Et si j’ai envie de gagner de l’argent avec en me prostituant, c’est mon droit élémentaire.

CD : Bien sûr il faut tracer une ligne bien franche entre les prostituées libres et celles qui sont dans les réseaux, ça n’a évidemment rien à voir. Mais pour celles qui sont militantes au sein du STRASS [syndicat du travail sexuel], on a du mal à imaginer tellement elles sont libres, mais louer — et non pas vendre — leur corps, c’est totalement possible. Et c’est ce que je voulais montrer dans la première scène du film. On s’imagine que la prostituée est soumise ; la plupart du temps, non : les mecs sont intimidés et c’est elle qui mène la danse.

LC : C’est elles qui ont qui ont les cartes en main et qui sont les maîtres du jeu. Et justement quand les arguments de certains abolitionnistes sont de dire : « Elles ne sont pas libres totalement, puisque beaucoup ont eu des abus dans leur vie qui font que ce n’est pas un choix ». D’abord, tous les gens qui ont été victime d’abus ne se prostituent pas ; ensuite, ne pas reconnaître que ça puisse être un choix de vie, c’est leur faire subir une deuxième fois une humiliation s’il y a eu des choses très dures avant, c’est les infantiliser et c’est insupportable. Est-ce qu’on demande au médecin-légiste pourquoi il va disséquer des morts ? On peut chercher des raisons a des tas de métiers. Gynécologue, thanatopracteur, militaire… Quand on va tuer des gens ou être risquer d’être tué…

La mise en scène compose avec l’esthétique de la nuit, qui renvoie autant au genre polar qu’à la sensualité. Comment l’avez-vous préparée ?

CD : Ce qui était important dans l’esthétique, c’était de ne pas tomber dans le misérabilisme super glauque, ni de glamouriser à la Verhoeven — du style « c’est super chouette d’être pute », mais bien être à un juste milieu. Pour le bordel, il fallait que ça claque. Celui que j’avais visité en Allemagne (et encore, il était soft), avait un côté carton-pâte EuroDisney. Les filles s’y mettent en scène, jouent un rôle. Mais dans la salle où elles attendent en peignoir en buvant leur Red Bull, la lumière est plus crue. J’avais aussi envie de reprendre un peu les codes du polar, de la nuit, de la voiture, des trottoirs mouillés, parce que c’est quand même une femme qui recherche de l’argent et qui va en voler. D’où son imperméable doré, qu’elle ne retire jamais et qui — outre le fait que c’est très pratique pour les questions de raccords — lui confère aussi un côté un peu super héroïque.

Est-ce aussi facile d’essayer des costumes plus dévêtus ou impudiques ?

LC : Ma pudeur n’est pas à cet endroit-là, comme vous avez pu le comprendre (rires) Je le dis en rigolant, mais c’est vrai. J’ai moins de pudeur à montrer mon cul qu’à, je sais pas, dire « je t’aime » (rires). Même au cinéma. Parce que pour nous, par principe, c’est faux puisque c’est écrit, c’est une fiction etc. Mais nous, on est vrai quand on joue. Donc pour moi, c’est de la vie.

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Lundi 14 mars 2022 La course à perdre haleine d’une mère célibataire jonglant entre découvert chronique, problèmes domestiques, boulot à Paris et espoir d’un meilleur job. Ou comment derrière une vie quotidienne se dissimule le plus impitoyable des thrillers...
Mardi 8 septembre 2020 Si le festival de Cannes avait eu lieu en mai comme il se doit, on aurait vu Patrick, l’un des protagonistes du nouveau film de Caroline Vignal (...)
Mardi 20 juin 2017 Dernier été pour les yeux d’Ava, ado condamnée à la cécité s’affranchissant des interdits ; et premiers regards sur le cinéma de Léa Mysius (coscénariste des "Fantômes d’Ismaël" d'Arnaud Desplechin) avec ce film troublant et troublé, ivre de la...
Jeudi 16 août 2012 Véritable rock-star du théâtre de ces dernières années, le metteur en scène Vincent Macaigne retrouve le cinéma en tant que simple comédien avec "Un monde sans femmes", de Guillaume Brac. Un premier film réussi, notamment grâce à ses acteurs,...

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X