Grégory Montel - Jérôme Bonnell : « Ce qui a l'air essentiel est caché »

Interview / Jonas n’arrive pas accepter une rupture d’avec Léa, alors il se réfugie dans le café en face de chez elle pour lui écrire une longue missive, sous l’œil bienveillant du bistrotier. Orfèvre en délicatesse, Jérôme Bonnell signe un nouveau bijou avec deux Grégory, Montel et Gadebois. Quand un bar parisien devient le centre d’un monde en une journée. Rencontre dans le bar en question…

Grégory, connaissiez-vous le cinéma de Jérôme Bonnell ?

Grégory Montel : Certains de ses films m’avaient bouleversé, notamment J’attends quelqu’un avec Florence Loiret-Caille, que j’avais découvert au ciné-club de Dignes-les-Bains, quand j’étais au Cours Florent.

Pourquoi vous a-t-il choisi ?

GM : En fait, Jérôme avait eu un gros coup de cœur pour un truc que j’avais fait, il y a une dizaine d’années, L’Air de rien, mon premier “gros” film, avec un réalisateur qui est devenu mon frère d’armes, Grégory Magne. Ça avait eu une jolie vie, une existence, ça m’avait permis aussi de découvrir les César par les “révélations“. Après, 10 pour cents est venu confirmer et un film comme celui-ci, c’est devenu faisable de le monter avec Grégory Montel en tête d’affiche. Mais je suis réaliste : autour de moi, il y a Anaïs Demoustier et Grégory Gadebois — moi qui ai joué avec lui, je peux vous confirmer que c’est une machine guerre. Je le vois encore : il était tellement imposant et merveilleux. Au début, j’ai eu peur, parce qu’il est à peu près mon inverse d’acteur : il est posé. Il place une phrase, bam ! Elle résonne direct, alors que moi j’ai un côté plus lent dans la comédie, plus angoissé. C’est difficile pour un acteur de trouver sa place, d’arriver à trouver sa singularité, surtout quand elle est faite de truculence. Mais ça marche parce qu’on forme un clown blanc et un auguste, avec deux façons de communiquer la comédie différentes.

Pour vous, c’est donc une comédie ?

GM : Oui. Une comédie dramatique. Ça ne peut pas être un drame — un drame comme celui qui vit Jonas, tout le monde l’a vécu. Je ne sais pas comment vous avez vécu vos passions amoureuses, mais moi je m’amusais à en rajouter : j’étais triste et je trouvais belle cette tristesse, avec une forme de complaisance. Donc ce personnage n’a rien de tragique et ne mourra pas d’amour.

Quand le film commence, Jonas se réveille au milieu de nulle part. Métaphoriquement, tout le film est une sorte d’éveil, de découverte pour lui (et sur lui). Notamment qu’il a un talent d’écriture insoupçonné, qu’il aime son fils plus qu’il l’imaginait etc. En l’espace d’une journée, Chère Léa est l’équivalent un roman d’apprentissage…

GM : C’est ça. Et d’un point point vue scénaristique — ça va vous faire marrer — c’est un vrai film américain, qui tient du western, avec un homme qui apprend beaucoup sur un parcours semé d’embûches avec des larmes, des bagarres… Et surtout qui va “apprendre à finir”, pour reprendre le titre d’un roman de Laurent Mauvignier que j’adore. Du coup, forcément, il va changer en prenant l’autre en compte. Ce qu’il n’arrivait pas à faire parce qu’il était noyé sous ses amours et ses activités. Il fait un choix très clair dans le film de privilégier sa passion amoureuse et de repartir. Je ne peux que me reconnaître là-dedans !

Jérôme, la référence au western semble vous parler…

Jérôme Bonnell : C’est un peu par surprise qu’en préparant ce film — qui est une comédie sentimentale, une histoire d’amour — et aurait pu me conduire à revoir tous les films de Lubitsch, Truffaut, Capra — que je me suis mis à revoir des westerns, qui sont construits dans un temps rétréci dans une économie de décors (autour d’une seule rue, d’un saloon…), parfois tendus par le départ ou l’arrivée d’un train. Chaque fois, cela pose la question de l’Homme et de l’espace.

Sur cette dimension de l’espace contraint, on pense aussi à Buñuel, pour L’Ange exterminateur bien sûr, mais aussi au Charme discret de la bourgeoisie pour l’idée de l’impossibilité d’accomplir un acte…

JB : J’y ai pensé tardivement. L’Ange… m’avait énormément marqué, je l’ai revu juste après le confinement, parce que le confinement résonnait avec mon film. Je n’y ai pas pensé en préparant le film, même si j’adore Buñuel.

Sans être indiscret, y a-t-il du Jérôme dans Jonas ?

JB : Comment vous dire… Je n’ai jamais fait un seul film autobiographique, j’ai toujours un sentiment de fiction quand j’écris. Mais vous savez combien l’inconscient est roublard, combien on est toujours rattrapé par l’autoportrait qu’on refuse mais tout nous échappe quand même. Les acteurs ne sont pas des pages blanches ; ils arrivent chargés d’une histoire qui est la leur. Le film est la rencontre entre nous. Et c’est vrai pour tous les films, même ceux qui ont l’air très loin, les témoignages historiques, ou le Van Gogh de Pialat…

Votre film laisse une grande place au silence — notamment à la fin —, ce qui permet d’autant mieux apprécier l’importance de la voix. Le personnage de Grégory Gadebois par exemple, apparaît au début par la voix avant d’être visible……

JB : C’est vraiment un film sur le hors-champ, globalement : tout est caché. Ce qui a l’air d’être essentiel est caché, pour lui rendre grâce. Le personnage de Grégory Gadebois, je ne voulais surtout pas amoindrir son importance : d’abord on entend sa voix, il est hors-champ, après il apparaît vaguement, la caméra elle-même est surprise de ce qui se passe. De même qu’elle sort beaucoup trop tôt de l’appartement du personnage d’Anaïs Demoustier, elle ne rentre pas tout de suite dans le café. Elle attend que Grégory Montel en sorte pour rerentrer avec lui. Tout cela a l’air simple, mais mine de rien, c’est très compliqué.

Grégory, quand vous incarnez un personnage, vous projetez-vous dans ce ses affects ou bien vous le ramenez à des émotions que vous avez vécues ?

GM : Je vais toujours puiser dans les émotions que je connais. À partir du moment où l’on accepte qu’on joue dans la convention du naturalisme, on a envie de chercher des éléments dans lesquels on s’est mus et émus. Il y a un moment de bascule du personnage, très important pour moi, quand il revient en taxi. Pour le coup, je ne voulais pas faire semblant de pleurer — pourtant, c’est facile et ça marche au cinéma. J’ai voulu pleurer vraiment, par respect pour le film, pour le personnage et pour Jérôme, et donc on va convoquer des émotion puissantes, phénoménales, à l’intérieur de soi. Mais c’est mal. J’avais je n’avais voulu le faire auparavant.

Pourquoi dites-vous que c’est “mal”, dans la mesure où le vous faites avec de bonnes intentions ?

GM : Vous ne pouvez pas imaginer ce qui passe dans la tête d’un acteur : j’imaginais mon enfant mort, c’était horrible ! Mais j’espère que ça passe l’écran parce que j’ai vraiment torturé le passé, mes émotions. Jusqu’à présent, je me refusais à ça. J’ai beaucoup lu ce texte de Louis Jouvet destiné aux acteurs, Ecoute, mon ami qui explique à quel point tricher est le fonds de commerce de l’acteur. Jamais Jouvet ne s’est posé la question de convoquer le vrai. Stanislavski nous dit le contraire : torturez-vous, faites-vous mal, mettez des cailloux dans votre chaussure pour boiter. Et donc je ne m’étais jamais posé la question du respect dû au personnage qui fait qu’on se dit « j’y vais à fond ». Mais là, j’en avais besoin : c’était la fin du tournage et je voulais dire à Jérôme quel point je l’aimais.

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