Tania de Montaigne : « Peut-être qu'enfin, Claudette Colvin va faire partie de l'Histoire »

Noire

Espace Aragon

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Théâtre / C’est l’histoire de Claudette Colvin, jeune fille afro-américaine qui, en 1955 dans l’Amérique ségrégationniste, quelques mois avant la fameuse Rosa Parks, refuse de céder son siège à une passagère blanche. En portant sur le plateau son essai "Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin", l’autrice Tania de Montaigne livre un seule-en-scène passionnant sur une héroïne oubliée du mouvement des droits civiques. Ça valait bien une interview avant le passage du spectacle par l’Espace Aragon de Villard-Bonnot, vendredi 7 janvier.

Avant d’être un spectacle, Noire a d’abord été un livre, que vous avez sorti en 2015…

Tania de Montaigne : Oui. Il appartient à une collection chez Grasset, créée par Caroline Fourest et Fiammetta Venner, qui s’appelle "Nos héroïnes". L’idée de Caroline et Fiammetta était de demander à des autrices d’écrire sur une femme qui aurait fait l’histoire mais qui, pour une raison ou une autre, n’aurait pas été retenue par cette histoire. Pour en être, il fallait donc que je trouve une femme pas connue qui gagnerait à l’être !

Après une errance de quelques semaines, je me suis souvenue qu’à un moment, je voulais écrire une nouvelle sur la symbolique du bus, différente selon les moments, les pays, les cultures… Et le bus le plus connu pour moi, à l’époque, était celui de Rosa Parks. Au fil de mes lectures, j’avais griffonné deux lignes sur une adolescente qui aurait pu être Rosa Parks mais qui ne l’avait pas été pour diverses raisons. J’ai proposé ce point de départ à Caroline et Fiammeta, en leur disant que je voulais bien creuser mais qu’il n’y aurait peut-être finalement rien. Elles m’ont dit de foncer !

Finalement, il y a bien une histoire, peu connue : celle de Claudette Colvin. Une histoire que vous découvrez – presque ! – avec les lecteurs…

Il y a deux obligations dans la collection. D’abord la taille – on ne peut pas faire une énorme biographie. Et, ensuite, il faut que la personne qui écrive ne soit pas extérieure à son sujet, qu’elle se retrouve dans le livre d’une façon ou d’une autre. J’ai alors essayé de trouver une forme qui permette au lecteur d’être comme moi ; qu’il puisse se dire au fil du livre : ah bon je ne savais pas, mais c’est dingue… Que l’on découvre ensemble qui est cette adolescente, ce que c’est que d’être noire dans cette partie des États-Unis dans les années 1950, ce que c’est que de faire ce geste-là… Et finalement, qu’est-ce qu’un héros, une héroïne ; qu’est-ce qu’une lutte, un moment politique ? Des questions qui résonnent toujours aujourd’hui…

En mettant en avant la figure de Claudette Colvin, espérez-vous que l’histoire lui accorde la place qu’elle mérite, au même titre que Rosa Parks ?

Oui, même s’il y a des similitudes avec Rosa Parks. Aujourd’hui, Rosa Parks est partout, jusqu’en France : des écoles, des bibliothèques, des stations de RER portent son nom. Mais c’est très récent. Car Rosa Parks, toute Rosa Parks qu’elle soit, a également été oubliée de l’histoire pendant un long moment. C’est parce que Martin Luther King meurt en 1968, et qu’en 1970 des gens se disent qu’il faudrait célébrer les quinze ans du boycott, que soudain certains se souviennent de Rosa Parks. À partir de ce moment, Rosa Parks devient Rosa Parks, et est alors réinventée au fil des ans en figure incontournable du mouvement, jusqu’à l’hommage public au Capitole à sa mort.

Aujourd’hui, je commence à voir un petit peu, même si c’est plus timide, la même chose arriver avec Claudette Colvin, depuis notamment qu’elle a demandé l’an passé à ce que son casier soit enfin vierge. Peut-être qu’après tout ce temps, elle va faire intégralement partie de cette histoire.

Votre livre est paru en 2015, puis est devenu un spectacle en 2019. Ce passage à la scène a-t-il été une évidence ?

Oh que non ! C’est parti de Stéphane Foenkinos [scénariste, réalisateur et frère de l'écrivain David Foenkinos – NDLR] : il a lu mon texte, et a tout de suite voulu en faire un spectacle dans l’esprit du livre, avec moi sur scène pour amener les spectateurs vers Claudette Colvin. Quand il me l’a proposé, j’ai bien sûr répondu non, parce que ce n’est pas mon métier ! Tout en lui disant que c’était une super idée, que j’acceptais volontiers qu’il le fasse avec une comédienne.

Il a visiblement eu gain de cause…

Oui ! Un jour, il m’a appelée en me disant qu’un théâtre nous proposait une date ; juste une lecture. Je devais simplement lire l’adaptation qu’il avait réalisée pendant que lui faisait des projections très simples en fond – les mêmes que dans la pièce aujourd’hui ! J’ai fini par accepter. On a alors travaillé ensemble la question de la lecture, du rythme, du silence… Au fur et à mesure, j’ai compris comment il voulait attraper ce texte, cette histoire…

Lors de cette première et unique lecture, il y avait dans la salle des habitués du théâtre, mais aussi deux classes de lycée professionnel – avec des élèves qui, pour la plupart, n’étaient jamais allés au théâtre de leur vie – et une association qui s’occupe de mineurs isolés. Après la lecture, j’ai parlé avec tous ces jeunes : ils avaient été captivés par l’histoire de Claudette Colvin. Il y en a même un qui m’a annoncé vouloir écrire après m’avoir entendue. Alors là, je me suis dit que si le théâtre c’est ça, je voulais finalement bien en faire ! De fil en aiguille, on a créé la pièce en une semaine, et on s’est lancés en 2019.

Vous voilà devenue comédienne ; mais vous restez vous-même sur scène…

Si j’ai finalement accepté, c’est parce que Stéphane ne m’a pas demandé de jouer Claudette Colvin, mais de garder la place que j’ai dans le livre, celle d’autrice. Je raconte donc simplement une histoire sur scène, celle de Claudette Colvin.

Le spectacle tourne depuis 2019, avec de nombreux arrêts du fait de la situation sanitaire. Et il a connu une nouvelle vie en 2021 avec une captation diffusée par France Télévisions…

Oui ! Elle a été diffusée pendant le confinement, donc un nombre incroyable de gens l’a vue – même si je joue toute une vie entière, jamais je n’arriverais à égaler ce nombre de spectateurs ! Et ce qui est encore plus incroyable, c’est que souvent, les captations marquent la fin de l’exploitation d’une pièce. Là, c’est l’inverse : on a des dates qui se sont rajoutées suite à la captation. Il y a donc une super tournée de prévue. Reste à savoir si l’on pourra la faire…

Cette captation permettra peut-être à Claudette Colvin, qui est toujours en vie (elle a 82 ans), de voir le spectacle ?

On lui a fait savoir. Peut-être qu’elle la verra si elle en a envie… Mais ça doit être quand même particulier un spectacle sur soi… Moi, si j’étais à sa place, je ne sais pas si j’aurais envie de le regarder !

Noire
À l’Espace Aragon (Villard-Bonnot) vendredi 7 janvier à 20h

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