Éteignoir sur les concerts

Covid / Les salles de concert commencent 2022 avec un nouveau coup d'assommoir, douloureux même si elles l'avaient vu venir. Spectateurs assis, interdits de consommation au bar et jauge limitée : les structures sont en première ligne des mesures de freinage annoncées par Jean Castex le 27 décembre pour limiter la propagation du virus.

Personne n'a été surpris. « On avait pris les paris avec mon collègue, il disait début janvier, je disais fin décembre », sourit Laurence Tadjine, directrice du Stud, asso gestionnaire de l'Ampérage. Le 27 décembre, Jean Castex a annoncé de nouvelles restrictions visant à limiter la circulation du Covid-19, qui flambe avec le variant Omicron. Elles restent limitées par rapport à ce que l'on a pu connaître lors des précédentes vagues de Covid. Mais pour beaucoup de salles, c'est du pareil au même : les concerts où le public est debout sont interdits et la jauge maximale pour un événement en intérieur est de 2000 spectateurs. Comme dans les bars standards, la consommation debout est proscrite. Ces règles sont valables pour trois semaines, donc du 3 au 23 janvier inclus.

Concerné par la jauge à 2000 spectateurs, le Grand Angle de Voiron échappe à l'impact de ces restrictions pour le moment : le concert acoustique d'Hubert-Félix Thiéfaine, le 14 janvier, était déjà configuré en version public assis, soit 1650 spectateurs maximum (la salle peut monter à 2400 personnes en ouvrant la fosse). Au Summum - jusqu'à 5000 personnes assises et debout en temps normal -, les représentations qui ont déjà engrangé plus de 2000 réservations seront reportées. C'est le cas du spectacle de l'humoriste Alban Ivanov, programmé initialement le 19 janvier, pour lequel 2400 billets avaient déjà été vendus. Le tribute band One night of Queen, lui, est maintenu : « On n'était pas loin des 2000 places vendues, on va tout simplement bloquer quand on y sera », explique Rémi Perrier, dirigeant de la société RPO, organisatrice de concerts dans toute la région Auvergne-Rhône-Alpes. « A ce stade, sur l'Isère, l'impact n'est pas énorme pour nous », souffle-t-il.

Trois semaines, vraiment ?

A la Belle Électrique, « évidemment, tout ce qu'il y a jusqu'au 23 janvier, on est en train de le reporter. » Coup de bambou au Petit Bulletin : il est quasi acté que notre chouchou Rover ne jouera pas le 13 janvier à Grenoble (mise à jour au 4/01 : le concert de Rover le 13 janvier est finalement maintenu, en version assise, masquée et sobre. Même comme ça, ça vaut le coup, promis !). Le directeur Fred Lapierre ne croit pas à la levée des mesures dans moins de trois semaines. La venue de Juliette Armanet le 28 janvier ? Pour l'instant, tout est en suspens, mais même à travers le combiné on entend une moue fort dubitative. « On est pragmatiques ; quand il y a des mesures on les applique. Maintenant, je croise les doigts pour qu'ils ne nous annoncent pas une prolongation », renchérit Rémi Perrier, dans l'attente du conseil de défense sanitaire de ce mercredi 5 janvier. En effet, si les mesures en vigueur étaient prorogées au-delà du 23 janvier, le concert d'Orelsan, le 5 février au Palais des Sports, serait en plein dans la ligne de mire – pour ne citer que lui. Amine Larabi, gérant du Drak'Art fermé depuis le 10 décembre (en raison de son statut équivalent à celui des discothèques), a payé pour apprendre : « La dernière fois, on fermait pour deux mois, ça a duré 16 mois pour nous ! »

L'an dernier, certaines salles de concert ont tenté de jouer le jeu en asseyant le public ; désormais elles savent que c'est un gouffre. « On en a fait, avec La Grande Sophie, la Cuvée grenobloise... », rappelle Fred Lapierre. « Mais déjà, on tombe à 420 places au lieu de 1000, sans parler du fait qu'il n'y a pas de bar. Et même si on arrivait à maintenir des dates, sur le peu de billets vendus, entre ceux qui ne vont pas venir, ceux qui auront le Covid... » Même calcul à la Bobine, qui a expérimenté les concerts avec spectateurs assis, assez pour savoir que ça ne fonctionnait pas dans le lieu. « Ça a peu d'intérêt et c'est très risqué financièrement. Voir un orchestre classique assis, ça va, mais un concert de rap, ce n'est pas la même chose... On a tout annulé jusqu'au 23, ce sera des reports sur les prochains mois », explique Jonathan Howell, le responsable de la communication. La programmation jeune public sera conservée si jamais les mesures de freinage étaient prolongées (il n'y avait pas d'événement pour enfants prévu sur les trois premières semaines de 2022).

L'Ampérage restera fermé. Comme ses homologues, la directrice du Stud fait sa rentrée en plongeant dans la paperasse du chômage partiel et des aides de l'État. « Fermeture totale, on retombe dans la situation de l'activité zéro », constate Laurence Tadjine, qui s'adapte à cette « gestion de très court terme. On parvient à être réactifs car on est une petite structure, flexible, qui tire sa force de son ancrage local. Maintenant, il risque d'y avoir pas mal de bouchons sur la diffusion, avec tous ces reports. L'accès se restreint de plus en plus pour les nouveaux projets et les artistes. » Confirmation chez RPO, qui enchaînera 23 dates en 23 jours au mois d'avril, en Haute-Savoie... si tout va bien. « Certains de nos spectacles ont déjà été reportés six fois ! », commente Rémi Perrier.

Dans toutes ces structures, et chez tous les professionnels et bénévoles qui y sont liés, l'année débute sur une nouvelle crise à gérer, et une grande lassitude. D'autant que depuis le premier confinement du mois de mars 2020, jamais la fréquentation n'est revenue à son niveau antérieur. Changement d'habitudes, climat anxiogène, le public est toujours resté frileux (y compris dans les salles de théâtre et les cinémas, d'ailleurs). Si le passe sanitaire est bien entré dans les mœurs, le port du masque au concert est un frein important, notamment sur les événements festifs comme en accueille le Drak'art. « Les gens ont joué le jeu et présenté leur passe, en octobre, mais en novembre avec le port du masque ça a été très compliqué », confie Amine, le patron, qui évoque 20 à 30% de perte de fréquentation à ce moment-là. À RPO, « ce qu'on ressent immédiatement, c'est que ça ralentit la vente des billets, les gens en ont plein le dos d'acheter des places, de voir les concerts sans arrêt reportés... On aura forcément un impact économique sur le premier trimestre, voire le premier semestre. » « Depuis deux ans les saisons se tiennent d'avril à octobre, ça va devenir très compliqué si ça devient la norme », prédit le directeur de la Belle Électrique.

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