"Red Rocket" : la queue entre les jambes

Le film coup de cœur / Un ancien acteur X retourne dans son Texas natal et navigue entre son ex et une jeune serveuse. Une métaphore douce-amère d’une Amérique vivant dans la dèche, sur sa réputation et l’espoir permanent de se refaire la cerise sur le dos des autres…

Sans bagage, les poches vides et la gueule tuméfiée, Mikey Saber débarque du bus au petit matin dans son ancienne ville de Texas City, après avoir connu la gloire à L.A. comme acteur dans le porno. À force de tchatche, il parvient à se faire héberger chez son ex-femme Lexi et ne tarde pas à reprendre ses petites combines pour essayer de rebondir, de préférence grâce aux autres…

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Imaginez un conte de fées déviant, croisé avec un cartoon de Tex Avery, sur fond de documentaire de Michael Moore sur les petites villes du Texas en pleine campagne présidentielle. Vous aurez une idée, au moins approximative, de ce que recouvre Red Rocket : une peinture littéralement acidulée des États-Unis où chacun rabâche ses exploits passés réels ou fantasmés pour mieux fermer les yeux sur le champ de ruines du présent. À commencer par le protagoniste de l’histoire, Mikey. Beau parleur et beau salaud à la fois, ce personnage est une sorte de transposition (au sein d’un tout autre contexte) de Victor Valance, ce père prodigue incarné par Yves Montand dans Tout feu, tout flamme (1982) de Jean-Paul Rappeneau : un escroc hâbleur et séducteur rêvant du grand coup sans tout à fait y croire, comme un gamin au contenu de la hotte du Père Noël. Mikey use d’ailleurs de la même tactique que Victor pour donner à penser que sa situation est florissante : il se fait déposer devant une résidence de standing, et attend que la voiture soit partie pour regagner ses humbles pénates.

Capable de toutes les trahisons et lâchetés envers ses proches sans parvenir à se rendre foncièrement détestable, Mikey tient du parasite sympathique comme de la planche pourrie. Pour le supporter, il faut à tout le moins avoir l’illusion de tirer un avantage de lui supérieur à ce qu’il prend — ainsi, Lexi gratte un loyer ; sa nouvelle conquête Strawberry gagne du sexe ainsi qu’un hypothétique avenir dans le X ; quant à la dealeuse du coin, elle récupère un revendeur efficace… Ce principe d’une relation reposant non sur la symétrie de l’échange mais sur une captation, un vampirisme, est assez symptomatique de la mentalité prédatrice du système capitaliste ; elle s’observe jusque dans le décor fait de raffineries où circulent les ultimes gouttes siphonnées au sous-sol pétrolifère.

Doughnuts aux noisettes

Qu’il s’agisse de coups physiques ou de coups du sort, rien n’imprime durablement sur Mikey ; en cela il rappelle le (anti)héros d’Oscar Wilde, Dorian Gray. Sean Baker illustre dans la matière-même de son film la discordance entre la médiocrité intrinsèque de son protagoniste, ses turpitudes (ou les situations crapuleuses qu’il favorise) et l’apparence générale du cadre qui demeure à tout instant attractive, chatoyante. Comme si l’image du film restituait le monde tel que Mikey veut le voir, dans des teintes fraîches et franches de fête foraine, aussi artificielles que les couleurs des glaçages des beignets vendus par Strawberry.

Campée par la découverte Suzanna Son, cette fausse ingénue est le pendant parfait de Mikey : malgré ses airs d’oie blanche habitant une maison en pain d’épices — ah, ce sacro-saint culte des apparences et des vertus publiques… —, elle semble en mesure d’apprendre très vite de son pygmalion, voire de le surclasser en charme roué et utilisation de son prochain à des fins d’évolution personnelle. Hors écran, Red Rocket permet pour le moment surtout à Simon Rex d’accumuler les citations et récompenses. Mais la saison des prix n’est pas close et Suzanna Son vient juste d’embarquer dans la fusée du métier ; on en reparlera lorsqu’elle arrivera en orbite…

★★★★☆ Red Rocket de Sean Baker (É.U, int.-12 ans avec avert., 2h08) avec Simon Rex, Bree Elrod, Suzanna Son… En salle le 2 février

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