Entretien / Présenté en ouverture du dernier festival de Sarlat, La Vraie Famille, le deuxième long métrage de Fabien Gorgeart raconte le déchirement vécu par Simon, enfant placé depuis son plus jeune âge et d'Anna, sa mère d'accueil, mais aussi le reste de la fratrie et la famille, lorsque le père biologique vient faire valoir ses droits. Rencontre avec le cinéaste en Dordogne...
Qu'y a-t-il de personnel dans cette histoire ?
Fabien Gorgeart : Quand j'étais enfant, on était famille d'accueil. Dans le film, je serais Adrien. Mais bon, ça faisait longtemps que je voulais faire quelque chose de cette histoire-là, je me suis autorisé à le faire quand j'ai vu la manière de m'en détacher. La base de l'histoire est très proche de la mienne : une cellule familiale, l'arrivée de l'enfant à 18 mois, son départ à 12 ans ; ensuite, l'histoire du petit garçon que je raconte, c'est autre chose, pas du tout celle de celui placé dans notre famille. J'ai fait un travail d'enquête, j'ai rencontré d'autres familles d'accueil, des éducateurs. Et quand j'ai entendu l'histoire un peu équivalente à celle de Simon, ça a été une sorte de première étape qui m'a rassuré sur le fait que je pouvais y aller. Quelque part, ça me bloquait ce genre d'histoire presque caricaturale d'un père qui se reconstruit et qui veut retrouver sa place de père. Pourtant, dans une situation où il n'y a pas d'antagoniste, où tout le monde aime, ça peut rester complexe et déchirant. Et je pouvais m'inscrire dans un genre de cinéma, qui est le mélodrame populaire.
C'est un film où l'amour est partout, y compris dans la mise en scène, extrêmement lyrique, avec des mouvements de caméra qui vont jusqu'à envelopper en permanence les personnages. Comment avez-vous imaginé cette mise en scène avant le tournage ?
Cette notion “d'envelopper” se rapproche en fait de l'idée d'utiliser le 18mm qui est un format qui élargit : ça permettait d'être très proche des personnages tout en englobant la famille à tout moment dans le cadre. Je sentais que particulièrement pour ce film, il fallait que je raconte une histoire et que je fasse vivre une expérience – et en l'occurrence, en étant à l'intérieur de cette famille tout le temps, suffisamment en proximité avec eux pour que quand il leur arrive ce qui leur arrive, on soit au même niveau émotionnel. Effectivement, même si c'est le personnage d'Anna [joué par Mélanie Thierry, ndlr] qui nous entraîne dans cette histoire-là, il fallait qu'à tout moment on puisse basculer sur le point de vue des enfants et sur le point de vue du personnage de Driss [joué par Lyes Salem, ndlr], qu'il y ait une circulation permanente, avec – c'est la dernière couche – une notion d'instantané. On est dans du présent ; tout ce qu'ils vivent ils le vivent pour la première fois ou il l'ont toujours vécu.
Le film s'ouvre sur une séquence joyeuse, dans l'eau d'une piscine. Faut-il y lire une symbolique particulière ?
C'est le lieu qui a inspiré cette scène avec le toboggan, elle n'était pas forcément prévue. Il y avait en tout cas l'idée de pouvoir aller sous l'eau, ressortir ; et qu'Anna soit seule avec lui. L'autre point important de ce début, c'était d'être dans un paradis aussi artificiel que cette famille l'est. Mais même dans l'artifice, il va y avoir une forme de vérité et de réalité. J'avais aussi plaisir à filmer ce genre de lieux – comme les campings dans lesquels j'ai passé mes étés –, et à filmer la classe moyenne dans les endroits qui lui correspondent, sans mettre un regard distant ni sociologique.
Pourquoi avoir composé une famille mixte, chose encore très rare à l'écran ?
Ce n'était pas une idée forcément ancrée dans le scénario du tout. Quand je me suis dit : « tiens, quel pourrait être le couple autour de moi auquel ça pourrait arriver ? », en tentant de me détacher de mon histoire personnelle, je ne me suis pas tant détaché puisque le couple auquel je me suis référé, c'est celui de ma sœur et de mon beau-frère... qui est d'origine algérienne, tout simplement. Et quand avec la directrice de casting on s'est demandé qui pourrait être le personnage, il y avait la possibilité que ce soit aussi quelqu'un de cette origine-là. Et Lyes [Salem] m'a donné envie d'accorder beaucoup plus de place au personnage de Driss.
Le personnage de Mélanie Thierry pleure beaucoup. Qu'est-ce que cela représente comme enjeu d'interprétation ?
Je n'ai pas encore beaucoup d'expérience en tant que réalisateur, mais j'ai vécu une expérience de travail très forte sur ce film. Notamment en voyant la capacité que Mélanie a de reproduire à l'infini l'abandon, parce qu'on s'est retrouvé à faire beaucoup de prises pour certaines scènes dans lesquelles il y avait des enfants. En tant que réalisateur, c'est assez impressionnant à voir. Autant que de voir des enfants, que l'on avait repérés dans des castings sauvages, devenir des comédiens au fur et à mesure que l'on travaillait. On n'est pas passé par de la manipulation, on leur a juste donné suffisamment de temps et d'énergie pour qu'ils comprennent ce qu'ils jouaient. Un des moteurs tous bêtes pour eux a été pour l'un d'eux d'arriver à pleurer comme Mélanie. Ils s'entraînaient entre eux à se faire pleurer ; c'est comme s'ils étaient en train de regarder Mbappé et voulaient faire pareil. Ça m'a fait cet effet-là, et ça m'a beaucoup aidé.
Et puis le chef-opérateur était collé à eux. Ce qui était important, c'était de chercher le sentiment présent. C'est passé par une exigence de mise en scène qui a fait qu'on a tourné énormément de plans-séquences où l'on commençait par des improvisations pour que tout le monde soit dans la bonne énergie au moment où l'on passait sur le texte du scénario. C'était très éprouvant, on était bien rincés !
Est-ce qu'avec ce film, après Diane a les épaules, vous en avez fini d'explorer le désir de maternité ou d'enfance sous toutes ses formes ?
Alors c'est ce que je pense (sourire). Mais je suis en train de commencer à poser les bases du prochain et je vois très bien et que je vais revenir sur le sujet. Non, j'en aurai jamais fini. Mais je ne donne pas l'impression de refaire la même chose.