Lundi 9 mai 2022 D’une histoire vraie, Jean-Pierre Améris a tiré le sujet de son nouvel opus, une comédie sociale et chorale sur fond de problématiques rurales contemporaines. Tourné dans les verdoyants paysages du Cantal, ce film apparaît à bien des égards comme un...
"Kung-Fu Zohra", opération daron
Par Vincent Raymond
Publié Mardi 1 mars 2022 - 2466 lectures
Photo : ©Julien Panié / 2022 LES FILMS DU KIOSQUE – GAUMONT – FRANCE 2 CINÉMA - UMEDIA
Le film coup de cœur / Pour faire cesser les coups de son mari, une fan de kung-fu s’initie auprès d’un maître. Mabrouk El Mechri signe une proposition culottée (et forcément clivante) mêlant son amour du cinéma de genre à son intérêt pour les personnages déclassés. Un film avec du propos, qui tombe à propos.
Quand Zohra a épousé Omar, il était attentionné et charmant. Mais l’alcool, les déconvenues professionnelles, les frustrations personnelles ont transformé le prince charmant en un tyran domestique violent et manipulateur. Craignant de perdre leur fille dans une séparation, Zohra encaisse. Jusqu’au jour où un maître ès arts martiaux va lui donner technique et courage pour riposter.
Dix ans après ses derniers faits d’armes, Mabrouk El Mechri renoue avec le grand écran et surtout avec son registre de prédilection : la comédie dramatique en lien direct avec un sport de combat. Virgil (2005) s’inscrivait ainsi dans le milieu de la boxe, JCVD (2008) tournait autour de la figure (réelle et fantasmée) de l’icône du full contact, Jean-Claude Van Damme. Kung-fu Zohra revisite à présent l’univers des productions issues des studios Golden Harvest – rendant hommage au passage via le graphisme de son affiche au promoteur de leur diffusion en France, René Chateau grâce auquel le cinéaste les a découvertes – comme les séries ou films d’action initiatiques que sont Kung Fu (1972-1975) ou Karaté Kid (1984). La grande différence réside dans le contexte où se déroule l’histoire, partiellement lié à la vision par Mabrouk El Mechri à son retour d’Hollywood du Fatima (2015) de Philippe Faucon – ne constituant pas de son propre aveu un cinéma qu’il pourrait faire, mais susceptible de nourrir son inspiration.
Plus jamais
L’idée peut sembler audacieuse d’associer la question des violences conjugales au cinéma de genre ; on sait pourtant bien depuis Bettelheim que parmi les fonctions du conte, l’une d’elles vise à parler du réel sous des dehors récréatifs. Avec ses chorégraphies, sa mise en scène habile et référentielle reprenant les codes hong kongais, mais aussi ses têtes d’affiche appréciées du grand public (chapeau Ramzy Bedia et Sabrina Ouazani, parfaits), Kung-fu Zohra dispose ainsi de nombreux atouts pour faire passer un message… qui ne se résume pas à de l’autodéfense. Le restreindre à un "mode d’emploi" sans prendre en compte sa dimension parabolique reviendrait à discréditer par symétrie J’ai pas sommeil (1994) de Claire Denis parce qu’elle y présente un groupe de femmes – Line Renaud en tête – s’adonnant à des cours de self-défense pour pouvoir répliquer en cas d’agression. Ou criminaliser Kill Bill (2003) de Tarantino parce que le personnage de la Mariée opère une vengeance contre le père de sa fille après que celui-ci a essayé de la tuer – un film qui, au passage, paie lui aussi un large tribut au cinéma d’arts martiaux.
Loin de faire de la question des violences faites aux femmes un spectacle ni un alibi, Mabrouk El Mechri la désigne comme sujet et va même plus loin en imprimant à son récit une surreprésentation féminine : la voix off est ici portée par une narratrice différente de l’héroïne. Une observatrice légèrement excentrée (à la manière de Madame Jouve dans La Femme d’à côté de Truffaut), rendant compte avec son recul et sa bienveillance des difficultés de son amie ; sa contribution (et sa sororité, dit-on volontiers aujourd’hui) sera décisive dans l’émancipation de Zohra. Cette volonté de donner une "voix" différente va en cohérence avec la représentation de l’outre-périphérique que le film offre (celle d’une banlieue plus métissée que Saint-Germain-des-Prés), qui vaut à Mabrouk El Mechri l’aberrante accusation de racisme, au motif qu’il ancrerait un stéréotype d’Arabe violent – une vision orientée omettant à dessein les nuances apportées dans l’écriture des personnages, loin d’être réductibles à des caricatures généralisantes. À croire que ces accusations outrancières, donc dérisoires (et plutôt masculines, au passage), cherchent fallacieusement à maintenir l’invisibilisation des violences conjugales – qu’elles soient physiques ou psychologiques. Gageons qu’à l’instar de Jusqu’à la garde, Mon roi ou Ne dis rien, Kung-Fu Zohra contribue à cette mise en lumière, par des femmes et des hommes de cinéma, d’un phénomène ne dépendant ni d’une origine ethnique ou religieuse, ni d’un désavantage ou d’un privilège social.
★★★☆☆ Kung-Fu Zohra de Mabrouk El Mechri (Fr., 1h39) avec Sabrina Ouazani, Ramzy Bedia, Eye Haïdara (sortie le 9 mars)
pour aller plus loin
vous serez sans doute intéressé par...
Mardi 14 janvier 2020 De Mohamed Hamidi (Fr., 1h35) avec Kad Merad, Alban Ivanov, Céline Sallette…
Mardi 7 janvier 2020 De et avec Jeanne Balibar (Fr., 1h49) avec également Emmanuelle Béart, Ramzy Bedia…
Mardi 19 novembre 2019 De Rabah Ameur-Zaïmeche (Fr.-Alg., avec avert. 1h36) avec Ramzy Bedia, Amel Brahim-Djelloul, Slimane Dazi…
Mardi 10 septembre 2019 Renouant avec deux des comédiens de "Ce qui nous lie", Cédric Klapisch revient dans la foule des villes pour parler… de solitude. Un paradoxe qu’il explique volontiers alors que sort en salle son "Deux moi".
Mardi 10 septembre 2019 Comment deux trentenaires parisiens confrontés à leur solitude et leurs tourments intérieurs s’évitent avant de se trouver. Cédric Klapisch signe ici deux films en un : voilà qui explique qu’il soit un peu trop allongé, pas uniquement à cause...
Mardi 26 février 2019 de Mohamed Hamidi (Fr 1h30) avec Gilles Lellouche, Malik Bentalha, Sabrina Ouazani…
Mardi 2 octobre 2018 de David Oelhoffen (Fr-Bel, 1h51) avec Matthias Schoenaerts, Reda Kateb, Sabrina Ouazani...
Lundi 19 février 2018 de Alexandre Coffre (Fr., 1h29) avec Thomas Solivérès, Alex Lutz, Ramzy Bedia…
Lundi 9 octobre 2017 de et avec Fabrice Éboué (Fr., 1h30) avec également Ramzy Bedia, Guillaume de Tonquédec, Audrey Lamy…
Mardi 21 mars 2017 de Olivier Peyon (Fr, 1h36) avec Isabelle Carré, Ramzy Bédia, María Dupláa…
Mardi 21 mars 2017 La maternité présente de multiples facettes, difficiles à traiter pour certaines lorsque la loi s’en mêle. Entretien avec Isabelle Carré et le réalisateur Olivier Peyon, en écho au film "Une vie ailleurs" qu'ils sortent ce mercredi 22 mars.
Mardi 5 juillet 2016 de & avec Ramzy Bedia (Fr., 1h23) avec également Élodie Bouchez, Étienne Chicot, Philippe Katerine…
Lundi 20 juin 2016 Christophe Barratier, réalisateur notamment des "Choristes", remise patine et chansonnette pour prendre le parti de Jérôme Kerviel face à la loi des marchés. Il réalise une jolie plus-value au passage : grâce à ce film maîtrisé, la séance se clôt...
Mardi 23 février 2016 Reconstituant un trio de "Kaïra", Franck Gastambide s’envole pour la Thaïlande, histoire de voir si la misère sexuelle est moins pénible au soleil. S’il n’entame pas son goût pour un humour trash ne se cachant pas derrière son petit doigt,...
Mardi 9 février 2016 De et avec Éric Judor (Fr., 1h31) avec Ramzy Bedia, Marina Foïs, Serge Riaboukine...
Mardi 9 décembre 2014 D’Abd Al Malik (Fr, 1h35) avec Marc Zinga, Sabrina Ouazani…