Ces scientifiques grenoblois qui interpellent les candidats à l'Élysée

Ces scientifiques grenoblois qui interpellent les candidats à l'Élysée

Environnement / On compte 70 Grenoblois parmi les 1400 scientifiques qui ont, dans une tribune, fermement interpellé les candidats à l'élection présidentielle et les médias : la question climatique est trop absente du débat public. Le dernier rapport du Giec*, publié depuis, n'y a rien changé ; la guerre en Europe n'arrange rien. On en parle avec les chercheurs de l'université Grenoble Alpes.

Les ONG environnementales tiennent désormais des comptes hebdomadaires : 2, 7%, c'est la part du sujet climat dans les débats politiques, la semaine du 8 au 13 février – avant la guerre en Ukraine. Paru le 28 février, le dernier rapport du Giec* (la seconde partie du 6e rapport, pour être exact), qui a franchi le seuil de l'urgence en listant des dégâts irréversibles, a été légèrement relayé par la presse écrite, peu à la radio, très peu à la télévision. Pourtant, même en temps de conflit européen, tous les médias ont trouvé l'espace pour commenter l'entrée en campagne du président Macron ou le décès de Jean-Pierre Pernaut. Côté politiques, le rapport du Giec a été souligné par quelques tweets à gauche appelant à l'action (Hidalgo, Mélenchon, Poutou, Jadot). Et c'est tout.

Le 1er février, 1400 scientifiques signaient sur franceinfo une tribune pour inciter politiques et médias à « sortir de l'inaction ». La catastrophe étant annoncée, pourquoi n'arrive-t-on pas à mettre au centre des débats ce sujet brûlant, qui nous concerne tous ? « Parce que les politiques sont obsédés par la notion de croissance, de société de consommation et le sentiment que si on "n'offre pas" aux gens l'espoir de toujours en avoir plus, ils ne seront pas satisfaits », condamne Antoine Rabatel, glaciologue à l'université Grenoble Alpes, signataire de la tribune. Un commentaire « à titre personnel », précise-t-il. Brice Boudevillain, hydrométéorologue, analyse : « Les débats électoraux voient souvent à très court terme. Les candidats pensent qu'apporter de nouvelles contraintes, à des électeurs se plaignant déjà d'en avoir trop, est bien trop dangereux pour eux ! Enfin et surtout, les enjeux écologiques sont complexes. Cette complexité n'est pas très "vendeuse" dans le discours d'un candidat à une élection, qui cherche souvent à convaincre de manière simple pour être percutant. » Constat partagé par Guillaume Chagnaud, climatologue à l'Institut des Géosciences de l'Environnement de Grenoble (« les mesures à prendre ne vont pas dans l'intérêt direct de ceux qui devraient les prendre »), ou encore l'hydrologue Jean-Pierre Vandervaere, qui résume : « La plupart des politiques cherchent à se faire élire, donc ils disent aux gens ce qu'ils ont envie d'entendre. »

Pas de messie

On peut taper sur les politiques, mais ils ne sont pas seuls responsables de cette omission. À leur décharge, nous citoyens français, qui nous disons en grande majorité très concernés par le sujet du climat, sommes beaucoup moins chauds dès qu'il s'agit d'accepter de nouvelles contraintes. Et là, on ne parle pas que de baisser le chauffage d'un degré. « Personne ne veut prendre de mesures impopulaires – surtout que l'on parle d'efforts importants et d'une infinité de mesures qui vont toucher à tous les secteurs », prédit Guillaume Chagnaud. « Les politiques ont un rôle à jouer, mais tout le monde a un rôle à jouer ; il ne faut pas attendre un messie qui va tout changer. » Attendre, c'est en fait la pire solution, à écouter Antoine Rabatel : « Plus une mesure sera prise tardivement, plus elle sera potentiellement "dure à prendre" (dans le sens où elle devra être plus fortement impactante sur nos sociétés) et moins elle sera efficace à court terme. En d'autres termes, mieux vaut prendre des mesures "faciles" le plus vite possible (limiter de 5% par an nos émissions de gaz à effet de serre) que d'attendre 2040 pour devoir les limiter de 20, 30 ou 50% par an. » Logique, non ? « C'est une urgence », martèle Jean-Pierre Vandervaere depuis le Cameroun, où il enseigne également. « Ce n'est pas seulement un réchauffement, on parle d'un bouleversement climatique. » Comme Guillaume Chagnaud, ce dernier étudie la pluviométrie en Afrique. « Une région beaucoup plus fragile que les Alpes, qui sont comme un château d'eau », note Jean-Pierre Vandervaere. Son confrère s'inquiète néanmoins de l'enneigement, qui, s'il continue de diminuer, accroîtra les tensions sur l'eau dans notre région. « Imaginez une saison de ski qui ne dure que deux semaines. Tout notre système repose sur un climat qui varie dans une fourchette constante. Il sera mis à mal si nous ne nous adaptons pas. » C'est la mission fondamentale de ces chercheurs : mettre à disposition des décideurs des données, des projections et des recommandations afin d'anticiper au mieux. Par exemple, l'inéluctable montée du niveau des océans va engendrer des flux migratoires importants de réfugiés climatiques. Comment s'y prépare-t-on ?

Ça compte !

Démoralisant ? Un peu, mais pour autant, il ne faut pas laisser tomber. « Nous avons déjà laissé une grosse empreinte et une dette pour les générations futures », admet Brice Boudevillain. « Mais plus on agira rapidement (c'est-à-dire maintenant et les quelques années qui viennent), plus la qualité de vie restera acceptable pour tous. » Si les politiques tardent à s'emparer franchement de la question (« parler de la redevance télé, aujourd'hui... c'est hors-sujet », soupire Jean-Pierre Vandervaere), c'est aux citoyens et aux leaders d'opinion de les y pousser. Les médias sont hélés dans la tribune des 1400 scientifiques. « Il y a un manque de pédagogie énorme », regrette Guillaume Chagnaud. « On s'est rendu compte avec la convention citoyenne – représentative de la société française – qu'au terme d'une rapide formation, les bonnes décisions étaient prises. Il y a une responsabilité des médias, et peut-être de l'Éducation nationale, pour que la société soit formée aux enjeux de ce sujet complexe. » « Pour beaucoup de gens, la difficulté à changer s'explique surtout par une difficulté à savoir exactement ce qu'il faut faire, ce qui est réellement efficace, et si ces actions individuelles compteront vraiment si les autres n'agissent pas dans le même sens », explique Brice Boudevillain. Oui, elles comptent ! « Sur chaque maison par exemple, vous pouvez apporter une petite contribution », assure Guillaume Chagnaud. « Si vous plantez un arbre ou que vous installez des panneaux solaires, vous en verrez le bénéfice bien mieux qu'en attendant le résultat d'un vote pour un tel ou un tel. »

* Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat

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