Indie rock / Événement à la Belle avec la venue du commandant en chef de feu Sonic Youth, qui depuis la séparation du groupe phare de l'indie rock américain multiplie les saillies solo comme pour mieux combler et dérouter ses fans éplorés.
Cela fait dix grosses années que Sonic Youth a laissé une armée d'amateurs d'acouphènes et de Rubik's Cube musicaux à mille faces orphelins de leur groupe préféré. Une formation qui a fait de cette grande gigue adulescente de Thurston Moore la statue du Commandeur de la pédale de distorsion. Bon, le fait est que depuis, Moore a sorti de la musique en rafales – ce qu'il faisait déjà du temps de Sonic Youth –, ce qui a considérablement réduit le besoin de consolation de ses fans bruitistes.
Le moins qu'on puisse dire c'est que ça tire tous azimuts entre collaborations, bandes-son filmiques, improvisations en tout genre, chansons balancées ça et là, albums instrumentaux et œuvres plus classiquement pop, si l'on ose dire. Ainsi ces derniers mois, Moore a-t-il proposé une reprise du Another day de Galaxy 500, l'instrumental Strawberry Moon, un 3 titres de revisite de... Boris Vian (où il reprend, avec goût, il faut bien le dire, Je suis snob, Le déserteur, et Fais-moi mal Johnny avec des amis), et même un duo indirect avec... Bernie Sanders, originellement publié en 2016 sous la forme d'un disque promotionnel souple (1 000 exemplaires) à destination des donateurs de la campagne du vieux démocrate pour la présidentielle américaine.
Et il y a ce By The Fire de 2020, album studio bien sous tous rapports (quand bien même, il a quelque peu divisé les moines soldats de sa fan base, ces chipoteurs toujours un peu trop enclins à tout mesurer à l'aune des totems sacrés que sont Daydream Nation ou Goo), oscillant entre embardées rock noise et plages plus longuement expérimentales toujours promptes à vous combler un quart d'heure si besoin avec un tour de grand huit. Le tout avec un casting trois étoiles (le fidèle Steve Shelley, Debbie Googe de My Bloody Valentine pas dépaysée, Jon Leidecker de Negativland, James Sedwards et Jem Doulton).
Film noir imaginaire
De fait, ce stakhanoviste donne toujours un peu l'impression que, posé à un endroit, il voudrait être ailleurs : qu'il s'essaie à une chanson rock un tant soit peu formatée, le voilà qui se barre dans un collage hétéroclite à rallonge, qu'il se perde volontairement dans les méandres d'une inspiration fantôme et le voilà qui se fend d'un uppercut noise qui idéalise le format pop.
C'est sans doute aussi comme cela qu'il faut percevoir sa façon de slalomer entre les piquets de ses publications répétées et parfois répétitives : comme quand il se livre à un clin d'œil (malicieux plus que paresseux ?), avec ce Hashish en ouverture de By the Fire ressemblant comme deux gouttes d'eau à Sunday, l'un de ses classiques d'avec Sonic Youth (sans doute un peu de compote à l'usage des nostalgiques excessifs).
La preuve encore en ce début d'année où Moore vient de publier Screen Time, un album entièrement instrumental qui va combler les amateurs d'expérimentations un peu arides : il s'agit d'un disque que l'intéressé qualifie lui-même de « bande sonore pour un film noir imaginaire » – Anton Newcombe avait eu le même genre de démarche avec le Brian Jonestown Massacre et son Musique de film imaginé. Un album qui aurait aussi pour projet de réhabiliter l'Art avec un grand A et de rééduquer quelque peu notre propension hasardeuse, hypnotique et pour tout dire abusive à nous perdre dans les écrans (pas les écrans de cinéma, on l'aura compris, non, ceux qui tiennent dans la main ou qu'on se colle au bout des yeux).
Tout un programme qui demande à être conceptuellement étudié dans l'écoute approfondie d'une de ces œuvres inépuisables parce qu'à vrai dire plutôt insondables. Reste à voir quelle jolie ratatouille de cette approche multiple le maître proposera pour mettre KO un public qui n'attend que ça.