Un demi-siècle de sauvetage périlleux du patrimoine

Fleuron / Les équipes d'ARC-Nucléart, le laboratoire grenoblois qui met le rayonnement gamma au service du patrimoine, nous ont ouvert leurs portes pour une délicieuse immersion scientifique au sein de ce lieu expérimental grenoblois, unique en France, qui célèbre ses 50 ans.

Disons-le, c’était mal parti ce vendredi matin à l’approche du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) de Grenoble. La superficie du campus s’élève modestement à 64 hectares. Sur les cinq bureaux d’accueil très éloignés les uns des autres, il fallait parier juste pour retrouver Laurent Cortella, chef des installations d’ARC-Nucléart. Munis d’un badge visiteur, nous emboîtons le pas de l’ingénieur physicien. Direction l’atelier grenoblois qui met l’irradiation gamma au service du patrimoine depuis 50 ans.

À l’intérieur, une grande piscine surprend par ses proportions. Gentiment stockées en fond de bassin, des sources radioactives de cobalt 60, émettrices de rayonnement gamma intense. Point de baignade donc. Le bassin assure aussi la protection du personnel proche de l’irradiateur, puisque l’épaisseur de l’eau fait écran au rayonnement gamma. Les objets et œuvres d’art qui ne sont pas irradiés en piscine passent à l’intérieur d’une cellule d’irradiation, sorte d’énorme blockhaus aux murs en béton d’1, 50 mètre d’épaisseur, à la porte de 6 tonnes, bétonnée elle aussi. Par un système ingénieux, la piscine et la cellule de béton sont directement reliées par un canal, de sorte que les sources radioactives puissent passer de l’une à l’autre sans danger d’exposition. Tout comme l’eau, l’épaisseur des murs en béton protège les équipes d’ARC-Nucléart.

Dans ces locaux d’une surface de 3000 m², le mystère s’estompe peu à peu sur le cœur de métier de cette équipe pluridisciplinaire (chimistes, physiciens, techniciens, restaurateurs, conservateurs, personnel administratif). Tous et toutes se consacrent à la sauvegarde du patrimoine, intervenant sur les collections des musées, dans les monuments historiques ou encore sur les chantiers de fouilles pour assister les archéologues. Quelque part, non loin du bâtiment abritant les plus grands lyophilisateurs de France, – équipements couramment utilisés pour le séchage des bois humides – un panneau affiche en gros : "Sauvé des eaux, sauvé du temps".

Momie de Ramsès II et parquet précieux

Parmi le sauvetage de dizaines de milliers d'objets et œuvres d'art détéroriés, ARC-Nucléart se targue de nombre de réalisations emblématiques, des trésors que l’on croyait perdus car non restaurables. Parmi elles, le rafraîchissement d’un certain Ramsès II en 1977 à l’initiative de Christiane Desroches-Noblecourt. « On pourrait en parler des heures, c’est une histoire rocambolesque ! », raconte Laurent Cortella. En effet, la première femme égyptologue dans les années 1950 (surnommée "la grande prêtresse de Ramsès II") se met en tête de sauver la momie de l'illustre pharaon. Alors conservatrice en chef du département des antiquités égyptiennes au musée du Louvre, l’entreprenante parvient à convaincre le président Giscard d’Estaing de la gravité de la situation : une soixantaine de champignons ronge le corps de la momie. Mais le plus dur arrive, avec un président français qui doit désormais persuader son homologue égyptien de confier la momie aux scientifiques français. Rocambolesque en effet, car le président de l'Égypte, Sadate, accepte à une condition : que la momie soit elle-même considérée comme un chef d’État. Elle arrive donc le 26 septembre 1976 au Bourget, dans une caisse saluée par la garde républicaine, et sera irradiée à Saclay, en région parisienne, d’après les recherches et méthodes d’ARC-Nucléart.

Avant le traitement de la sépulture de l'illustre pharaon, la méthode ARC-Nucléart avait fait ses preuves sur un projet d'intérêt plus local : le parquet-mosaïque de l’ancien hôtel de Lesdiguières. « Ce parquet, c’est l’élément déclencheur », confie Christian Vernou, représentant du ministère de la Culture au sein du Groupement d’intérêt public (GIP) ARC-Nucléart. En pionnier, le jeune ingénieur Louis de Nadaillac, père de la structure, a l’idée de restaurer le parquet historique, attribué à l’ébéniste Jean-François Hache, grâce à un procédé innovant. Après de nombreux efforts de persuasion et des essais techniques concluants, le procédé de consolidation du bois à cœur, par imprégnation d’une substance qui durcit sous l’effet du rayonnement gamma, est accepté en 1970. Le "Projet Nucléart", ancêtre d’ARC-Nucléart, gagne en crédibilité avec cette association originale entre bien culturel et application nucléaire.

Dans le sillage de cette opération réussie, l’intérêt des responsables de la conservation du patrimoine grandit. Les équipes sont sollicitées pour d’autres problématiques. Le sauvetage d’une Vierge au baldaquin originaire de Noiron-sur-Seine (Bourgogne) par exemple. À la demande de Michel Colardelle, archéologue notable, les bois gorgés d’eau du lac de Paladru seront sauvés par les mêmes équipes, dans les années 70. L'actuel rayonnement international de l’atelier-laboratoire a beaucoup à voir avec la transmission et le souvenir de ces accomplissements d’hier.

« Nous sommes tributaires du hasard des découvertes liées aux fouilles préventives des archéologues », explique Christian Vernou. À la fin, force est de constater que ce « hasard des découvertes » met au défi les équipes, contraintes d'ajuster ou perfectionner leurs méthodes et savoir-faire aux caractéristiques de chaque nouvelle mission. Car ces mains expertes, elles, ne laissent rien au hasard face à l’extrême fragilité du patrimoine.

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