L'avenir incertain d'un trésor architectural et artistique méconnu

Patrimoine / À Saint-Martin-le-Vinoux, l’église Saint-Jean-Marie-Vianney, quartier de la Buisserate, inquiète : il se dit que le diocèse souhaite s’en défaire. Or, son architecture et les œuvres qu’elle contient sont remarquables. Des fresques murales et un chemin de croix de style cubiste, superbes et en très bon état, ont été peints par Elisabeth Meyer, une femme hors du commun : "gender fluid" avant l’heure, croyante fervente et homosexuelle assumée, dans les années 50.

C’est une église toute simple, avec un curieux clocher pyramidal en béton planté dans le sol, passablement esquinté, les fers sont apparents par endroits. Coincée entre un immeuble-barre pas jojo et le flanc de la Chartreuse, elle ne vit plus beaucoup. Quelques Saint-Martiniers y restent très attachés, et on les comprend. À l’intérieur, murs béton, autel en hêtre avec puits de lumière, vitraux simples en ligne de fuite vers le chœur. Et surtout, trois immenses fresques flanquées dans le béton, encadrées de citations bibliques manuscrites. Très singulières, elles sont l’œuvre d’Élisabeth Meyer, née en 1893, morte en 1987. Dans le baptistère, une quatrième fresque entamée n’a jamais été achevée ; le dessin de base et les traits de craie sont toujours là.

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Une homo androgyne dans les années 50

Alsacienne, Élisabeth Meyer s’est réfugiée dans les Alpes au début de la guerre. Artiste de talent, elle était aussi une personnalité hors du commun. Elle s’habillait en homme, avec pantalon de golf, chemise, veste et cravate. Elle demandait à se faire appeler Nicolas, et assumait ouvertement son homosexualité. Pierre David, directeur de la résidence d’artistes de Moly Sabata, a connu Elisabeth Meyer. « Je l’ai rencontrée en 75. J’avais 18 ans, elle 80 ans, j’étais son élève. » Il se souvient d’un « personnage très fantasque, une intellectuelle, très croyante mais d’une foi très libre. Elle était très cultivée, et tutoyait tout le monde… Elle était un peu rebelle, elle n’a pas du tout joué le jeu des galeries, de l’art contemporain, des mondanités. Elle était de ces personnes d’une extrême modernité, dans leur production artistique, mais aussi dans leur mode de vie et leur rapport à la nature. Elle collectionnait les cailloux, qu’elle empilait dans une commode. Une fois par an, on la vidait et avec une brouette on mettait tout dans le jardin, puis elle recommençait ». Souvenir ému de Pierre David, mais ce n’est pas seulement son affect qui l’a alerté quand il est entré dans l’église Saint-Jean-Marie-Vianney, récemment. « Les fresques sont sidérantes. Elle peignait avec du ciment coloré, c’est unique. Elle a eu toute une production inspirée d’Albert Gleizes. Elle a fréquenté Moly Sabata entre la fin des années 40 et le début des années 50. Puis dans les années 60, elle a vu à Turin une exposition d’arte povera, et a décidé d’arrêter la peinture. Elle a commencé un travail passionnant, extrêmement brut, à base de jute, de cailloux… Je ne sais pas où il se trouve aujourd’hui. » Le travail d’Elisabeth Meyer, dont certaines pièces sont conservées à Chambéry (elle vivait à Challes-les-Eaux, en Savoie), est assez peu connu. Mais pour Pierre David, l’église Saint-Jean-Marie-Vianney, tant pour son architecture que pour les œuvres qu’elle contient, devrait « être inscrite au titre des monuments historiques du XXe siècle ». Il a été réellement bluffé par le travail d’Élisabeth Meyer, parfaitement en phase avec l’architecture de l’église. « Je la redécouvre. Avec Joël (Riff, commissaire d’exposition, ndlr) on a pris un peu une claque... »

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Le diocèse souhaiterait s’en défaire

Mais alors quel est le problème, avec cette église dont la toiture laisse passer de plus en plus d’eau de pluie ? Pour le moment, statu quo. Le diocèse évacue en vitesse le sujet : « C’est le nouvel évêque qui étudiera la question. » Aucune décision ne peut être prise tant qu’il n’a pas été nommé (le poste est vacant depuis fin janvier). Dès lors, le bâtiment n’est pas officiellement en vente. Mais il est vrai que le diocèse est en plein réaménagement de son patrimoine et souhaite se défaire d’un certain nombre d’édifices. Il serait logique que Saint-Jean-Marie-Vianney fasse partie du lot. Construite grâce aux deniers de 500 paroissiens, fin 50-début 60, pour répondre aux besoins de ce tout nouveau quartier ouvrier, elle a vu partir ses fidèles vers Saint-Martin-le-Vinoux village ou vers Saint-Égrève, juste à côté. Il se dit qu’elle pourrait tomber à la faveur de la mutation du quartier de la Buisseratte. Il se murmure aussi qu’une souscription lancée pour réhabiliter la cloche a été tout bonnement rendue par le diocèse aux donateurs.

Néanmoins, elle est pour le moment repérée dans le PLUi (plan local d’urbanisme intercommunal) de Grenoble Alpes Métropole comme bâtiment à ne pas démolir. Ce n’est pas une protection inaltérable, mais c’est suffisant pour attirer l’attention sur sa valeur patrimoniale. Qui plus est, le Département a réalisé tout récemment un inventaire des édifices religieux du XXᵉ siècle en Isère, propriétés du diocèse puisqu’ils ont été bâtis après 1905. Parmi la cinquantaine de bâtiments visités, la singularité et la qualité de l’église Saint-Jean-Marie-Vianney a été soulignée. Le maire de Saint-Martin-le-Vinoux, Sylvain Laval, semble attaché à cet « élément patrimonial important de la commune ». Il confirme que « les paroissiens sont inquiets de son avenir, car ils la voient se dégrader ». Pour autant, l’édile indique n’avoir eu aucune discussion avec le diocèse au sujet d’une éventuelle vente. Et si c’était le cas ? « La commune a un intérêt pour ce bâtiment, son architecture, ses fresques, et sa très belle acoustique. Nous serons très attentifs à son devenir. » Un atout supplémentaire dans la poche des défenseurs de Saint-Jean-Marie-Vianney, dont Le Petit Bulletin fait désormais partie.

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