12 conseils lectures pour l'été

Été / L’été, saison de rattrapage des lectures mises de côté pendant l’année. Pour vous aiguiller dans vos choix, compendium des livres qu’on a lus pour vous (mais aussi pour nous) tout au long de l’année, au fil des actualités dans les librairies et bibliothèques grenobloises.

Mahmoud ou la montée des eaux

De Antoine Wauters, éd. Verdier

Un roman comme un poème, en vers libres. Un Syrien voit son pays sombrer dans la guerre. Encerclé par la violence de son monde, il se réfugie dans la poésie, dernière arme de résistance, et la plongée en apnée vers son ancien village, englouti à la faveur d’un barrage. C’est dur et beau, ça se lit très facilement malgré un sujet difficile et une écriture recherchée. Antoine Wauters était passé à Grenoble au printemps, et pour ne rien gâcher, cet auteur talentueux au délicieux accent belge, absolument charmant, nous avait raconté une drôle d’histoire dans laquelle il se fait agresser par un cerf... Mahmoud ou la montée des eaux est dans le top 3 de nos plus belles lectures de l’année. Peut-être même le top 1, tiens.   

Les Étoiles les plus filantes

De Estelle-Sarah Bulle, éd. Liana Levi

L’histoire vraie romancée du tournage du film Orfeu Negro, palme d’or à Cannes en 1959. Un réalisateur français part au Brésil en 1958 pour revisiter le mythe d’Orphée et Eurydice, dans un décor de favelas et de carnaval de Rio, avec des acteurs néophytes recrutés sur place. Une fresque authentique sur le Brésil, les tourments de l’exil et du déracinement, ceux de la classe sociale et de ses marqueurs dont on ne se défait jamais vraiment ; et surtout une véritable déclaration d’amour au cinéma, qui met Rio en effervescence entre les castings, les aléas de tournages, les rêves de gloire des uns et des autres et les enjeux politiques de ce projet artistique. Un joli second roman pour Estelle Sarah-Bulle, autrice de Là où les chiens aboient par la queue, qui mettait en scène une Guadeloupe véritable  – ce n’est pas si fréquent.

Connemara

De Nicolas Mathieu, éd. Actes Sud

Hélène s’est extirpée d’un futur qui lui paraissait bien morne, à force de travail, de revenus confortables et d’une vie de famille bien sous tous rapports. Elle retombe sur un amour contrarié de son enfance, Christophe, la star du lycée, qui est resté dans cette petite commune, vivote auprès de son père, élève son fils soigneusement après son divorce, n’arrive pas à oublier ses rêves de joueur de hockey sur glace. Finalement, on dirait bien que les deux n’ont pas grand-chose à s’envier. Nicolas Mathieu déclenche avec une grande finesse, chez le lecteur, le genre de questionnements qui ouvre un grand vide au fond de l’estomac, et dépeint en creux les aspects les plus déplaisants de notre société. Très bien.  

La fille qu’on appelle

De Tanguy Viel,  éd. Minuit

Un boxeur en fin de carrière, chauffeur du maire aux dents longues de sa commune, conseille à sa fille Laura de solliciter son patron pour un coup de pouce niveau logement social et emploi. La jeune femme se retrouve rapidement dans une situation d’emprise. Traduisez en anglais "la fille qu’on appelle"… Tanguy Viel aborde la question du consentement, et plus globalement de la domination dans tous ses aspects, psychologique, financière et sociale, illustrée au sens propre sur le ring de boxe, palpable dans les différents langages utilisés par les protagonistes, comme autant de barrières infranchissables. Un roman fort, court et puissant comme un crochet bien placé, qui laisse un arrière-goût de colère tenace.

Monument national

De Julia Deck,  éd. Minuit

Le protagoniste est un mélange de Johnny Hallyday et Alain Delon, vieille gloire française du cinéma, marié à une jeune femme ancienne reine de beauté, père d’une fille ingrate d’un premier mariage, avec vie de château et personnel de maison. Mais les crises n’ont épargné personne ces derniers temps : les Gilets jaunes, le Covid arrivent, et un ballet de personnages investit le château, avec plus ou moins de bonnes raisons d’être là. De quoi perturber la vie vitrine de notre héros, jusqu’à menacer son invitation par les Macron à un dîner à l’Élysée… Un roman en plein dans son temps, dans lequel Julia Deck ne tourne pas autour du pot : pas effrayée par les clichés – qui ne sortent pas toujours de nulle part – elle parvient à les manier sans lourdeur, et dresse un portrait grinçant de l’époque. Une vraie comédie.

Anéantir

De Michel Houellebecq, éd. Flammarion

Un nouveau roman de Houellebecq, ça reste un événement, qu’on l’aime ou non. Pour l’écrivain lui-même, mais aussi parce qu’il s’attaque toujours, malgré son air hors-sol, aux problématiques qui sont au cœur de notre société. Ici, l’Ehpad, la déliquescence du vieillissement, le cancer, la quête de sens et la solitude. Il se lance même dans une sorte d’énigme policière géopolitique 2.0, avant de l’abandonner en cours de route… À croire qu’il ne savait pas lui-même comment s’en sortir !  Anéantir ne restera pas comme le chef-d’œuvre de l’auteur, mais c’est drôle comme sait l’être Houellebecq, et beaucoup moins dur que ses romans les plus célèbres. Il y a même une forme d’indulgence... On dirait qu’il va mieux !

Guerre

De Louis-Ferdinand Céline, éd. Gallimard

Hé oui, c’est l’une des sorties de l’année dont on a beaucoup parlé ! On ne vous refait pas tout l’historique des manuscrits volés, cachés, retrouvés, publiés. À la lecture de ce texte inédit, on comprend pourquoi les experts céliniens suggèrent que Guerre est un premier jet. Autant la langue de Voyage au bout de la nuit relève certainement du génie ; autant dans Guerre, on a l’impression de nager la brasse dans une épaisse purée. Mais surtout, sur le fond, pas mieux : le texte semble être un sous-passage de Voyage au bout de la nuit  – lorsque le narrateur, blessé de guerre, se retrouve à l’hôpital – maquillé en un court roman qui se tient peu par lui-même. Enfin, ça reste Céline, et vu l’aventure rocambolesque de l’ouvrage, il fallait tenter le coup. L’histoire n’est pas finie : un nouvel inédit, Londres, doit paraître à l’automne.

Au nom des requins

De François Sarano, éd. Actes Sud

À lire idéalement au bord de la mer (ou du lac de Laffrey, le cas échéant). François Sarano n’est pas n’importe qui : il caresse des requins blancs gigantesques au large de l’Afrique du Sud, quand vous hurlez à la vue d’une abeille posée sur votre tong. Ancien bras droit du commandant Cousteau, docteur en océanographie, il milite pour la sauvegarde des requins, donc cherche à casser la fausse image que l’on a de cet animal très menacé, objet de tous les fantasmes depuis des décennies. François Sarano démonte les idées reçues et raconte ses plongées dans un livre très joliment édité par Actes Sud, avec photos, documents et même des QR codes à scanner pour voir des images de squales. D’intérêt public.  

Une sortie honorable

De Éric Vuillard, éd. Actes Sud

Dans les années 50, la guerre d’Indochine est un gouffre pour la France, humain comme financier. Elle a déjà décidé d’abandonner, mais ne compte certainement pas perdre la face. C’est toute l’histoire de cette "sortie honorable" – spoiler, elle ne le sera pas – contée par Éric Vuillard, avec force portraits acides de décideurs engoncés dans leurs intérêts et leurs egos. Après la France, les États-Unis se casseront à leur tour les dents sur ce petit pays qu’est le Vietnam, dans une débâcle totale. Mais ce n’est pas un récit historique : Éric Vuillard y met ce qu’il faut de chair, d’ironie, de focus et de plans larges pour transformer sa matière historique en littérature.  

La Félicité du Loup

De Paolo Cognetti, éd. Stock

Face à l’existence qui ne se passe pas comme on voudrait, l’appel de la nature, de la montagne en l’occurrence, d’une vie plus rude et plus vraie, d’un rapport réel au corps et à l’environnement, sourde. Fausto y répond et part s’isoler dans un village, dans la région de ses vacances d’enfant, loin de Milan et du divorce. Il rencontre une autre solitude, Silvia, et tombe sous le charme. Mais plus que cet amour-là, c’est la relation avec la montagne, le glacier, la forêt, la nature avec un grand N qui est au cœur du roman de Paolo Cognetti. Elle est sublime, généreuse et insensible aux affres des hommes. Construit en courts chapitres, La Félicité du Loup se lit d’une traite et donne des envies d’altitude. Lumineux.

Carnets de campagne 2022

De Mathieu Sapin, Kokopello, Morgan Navarro, Dorothée de Monfreid, Louison, Lara, éd. Dargaud

Six dessinateurs unissent leurs forces, un peu comme les Avengers, pour couvrir en BD la campagne présidentielle de 2022. Ils se mettent en scène dans ce qui est, pour la plupart, leurs premiers pas sur le terrain. Voilà Louison dépitée par le flop total de la candidature Hidalgo, Lara embarqué par L’Internationale entonnée par les militants, Morgan Navarro à Saint-Cloud, chez Jean-Marie Le Pen, Mathieu Sapin qui s’agace de la non-campagne d’Emmanuel Macron, Kokopello qui se détend de son immersion chez les LR en montant dans le bus siglé Jean Lassalle… Si cette campagne présidentielle a été plutôt bizarre, en dents de scie et dédaignée par beaucoup d’électeurs, la BD apporte ce regard détaché sur la frénésie politico-médiatique, tout en livrant des moments garantis “pas vus à la télé”. Et surtout, c’est drôle !

Delta Blues

De Julien Delmaire, éd. Grasset

L’auteur qui a traîné ses guêtres partout à Grenoble cette année, ambassadeur du Printemps du Livre 2022 et en résidence à la bibliothèque municipale, fait honneur à ses talents de slameur et de poète dans ce nouveau roman. Il nous transporte le long du Mississippi, en 1932, auprès de deux jeunes Noirs que la misère n’empêche pas de s’aimer, pas plus que la présence menaçante d’un assassin fantôme et les ombres blanches du Klu Klux Klan qui rôdent. Une galerie de personnages navigue dans ce roman bercé par le tempo du blues, rythmé par l’écriture vibrante et cinglante de Julien Delmaire. Une véritable immersion.

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