Lucille Lheureux : « À partir du moment où un projet artistique existe, la Ville a la responsabilité de l'accompagner »

Politique culturelle / L’adjointe aux Cultures Lucille Lheureux a présenté sa feuille de route de politique culturelle lors du dernier conseil municipal de Grenoble avant l’été. Pour cette rentrée, on revient avec l’élue sur quelques points de son projet pour le mandat. 

Outre votre projet de politique culturelle 2022-2026, le conseil municipal du 13 juillet a adopté des projets d’établissements. Quels sont-ils ? 

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La Ville de Grenoble a cinq équipements culturels : les bibliothèques, le théâtre, le conservatoire, le musée de Grenoble et le Museum d’histoire naturelle. Ils s’inscrivent dans les priorités que l’on a définies de façon générale (l’égalité hommes-femmes, la transition écologique et la démocratie participative, ndlr), et les publics cibles que sont l’adolescence, la petite enfance et les personnes en situation de précarité. Pour certains établissements, c’est déjà quelque chose de très ancré.

Le projet du Museum se traduit par la définition d’un projet scientifique, qui revient à la direction de l’établissement ; celle-ci a inscrit son établissement comme un espace de vulgarisation des enjeux climatiques et environnementaux, qu’elle ancre profondément dans les Alpes puisque le Museum est riche d’un fond de plusieurs millions de spécimens qui sont pour la plus grand partie issus des Alpes. C’est vraiment un endroit pour générer de la rencontre entre les citoyens et les scientifiques.

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Puis il y a un travail d’ouverture au sens général, qui passe aussi par l’aménagement. Aujourd’hui on a le jardin des plantes, les serres botaniques et le musée en lui-même ; or la circulation entre les trois espaces n’est pas si fluide que ça pour les usagers. Donc l’idée est de rouvrir le rez-de-chaussée pour avoir un hall plus accueillant, pour faciliter les premiers pas.

Cette ouverture physique des lieux, on la retrouve aussi dans le projet bibliothèques. 

On souhaite que les habitants, quand ils passent devant une bibliothèque dans le quartier, aient le réflexe d’y aller parce qu’ils s’y sentent invités. Le chantier qu’on veut ouvrir va passer par deux axes : une plus grande amplitude horaire, et une réorganisation spatiale. Il y a la construction d’une bibliothèque centrale [le lieu d’implantation sera annoncé en octobre, ndlr], qui donne à voir et à pratiquer ce que peut être une bibliothèque. C’est-à-dire un lieu dans lequel on peut jouer, boire un café, se restaurer, se rencontrer… Dans lequel il y a des livres et de l’écrit, mais qui est d’abord un lieu de vie.

Ensuite il y a les bibliothèques de secteur – Eaux-Claires-Mistral, Saint-Bruno et Arlequin – qui sont vastes et qui ont toutes un rapport à l’extérieur que l’on peut amplifier, en les ouvrant complètement sur les parcs dans lesquels elles sont situées. On peut imaginer les traverser, pour celles qui ont deux ouvertures, côté rue et côté parc… En troisième lieu, pour les bibliothèques de quartier, on sera davantage sur de la signalétique que sur des travaux en tant que tels.

Dans les années qui viennent seront votés les projets du TMG, du musée Stendhal et du musée de Grenoble ; peut-on en connaître les bases ? 

Pour le théâtre municipal, on reste sur les fondamentaux de ce qui a été défini. Ça a fait ses preuves : la saison qui s’achève l’a montré en termes de fréquentation. On a réaménagé pendant l’été le hall du Grand Théâtre, on va réfléchir à une double entrée en utilisant celle sur les quais. Maintenant, de façon générale, il faut qu’on affine la destination des trois bâtiments [Grand Théâtre, Théâtre de Poche et Théâtre 145, ndlr] qui sont vieillissants. Faut-il les garder, lesquels faut-il rénover, pourquoi et comment ?

Sur le musée Stendhal, je suis très contente ; on crée au mois de septembre un service patrimoine à la Ville, auquel je tiens beaucoup. La Ville s’est un peu délestée dans son histoire de ces enjeux patrimoniaux, au profit du Département. C’est un partage qui a été réalisé il y a plusieurs décennies ; il ne s’agit pas de récupérer des compétences du Département, mais ça nous semble inopportun que la Ville n’ait pas un service pour s’approprier son histoire. Plusieurs missions étaient, du coup, en déshérence. On n’avait pas de service jusqu’ici pour inventorier le mobilier, par exemple, de l’Hôtel de Ville, ou travailler sur les œuvres dans l’espace public. La responsable de ce service, Charlotte Lejeune, est aussi responsable du musée Stendhal, elle est en train d’écrire son projet pour le musée. On a un fonds très riche, et la chance d’avoir ces deux appartements en plein centre-ville. L’idée est de remonter un conseil scientifique pour travailler sur les différentes dimensions de Stendhal. Mais c’est pareil, l’enjeu est avant tout d’ouvrir, ouvrir, ouvrir, ouvrir !

Enfin, pour le musée de Grenoble, ça va se travailler dans les mois qui viennent. Cet équipement n’a, jusque-là, jamais eu de projet scientifique et culturel. C’est un gros chantier, sans doute le dernier que l’on mettra en œuvre car il est moins mûr. C’est un musée qui est largement reconnu nationalement pour sa collection ; maintenant, ça ne fait pas un projet scientifique et culturel. Or, c’est une obligation nationale pour être Musée de France. Sans projet, en cas de demande au conseil municipal d’une nouvelle acquisition pour la collection, qu’est-ce qui nous fait dire qu’on n’est pas dans une marotte de conservateur, et surtout qu’on est dans une bonne gestion de l’argent public ?

C’est fondamental pour moi que nos cinq équipements aient cette feuille de route, car on a la responsabilité d’être exemplaires. Ces axes que j’ai formulés, autour d’une culture féministe, de la prise en compte des enjeux climatiques et des publics cibles, on ne peut pas l’attendre de nos partenaires si, nous, on ne les applique pas. Après, c’est un très gros travail qui doit être mené avec les équipes, le musée de Grenoble étant une institution massive.

Dans le cadre du soutien de la Ville à la création et à la diffusion artistique, vous évoquez la mise en place d’une commission des pairs en 2023. De quoi s’agit-il ? 

Dans les nouveaux dispositifs de subventionnement qu’on a mis en place, on a intégré les axes de politique générale (égalité homme-femme, transition écologique, etc.) Il faut bien qu’on évalue s’ils sont remplis ou non.

Au fil des échanges avec les acteurs culturels, certains trouvaient souhaitable d’aider plus de monde, de continuer de saupoudrer pour que chaque projet puisse exister. D’autres disaient, au contraire, que nous devrions affirmer une ligne claire, assumer une esthétique, et donc que certaines structures grossissent, aient plus de visibilité. On a essayé de trouver un point d’équilibre.

On a décidé, dans le cadre du dispositif d’accompagnement aux artistes, d’avoir un soutien universel. C’est-à-dire qu’à partir du moment où un projet artistique existe à Grenoble, on estime que la Ville a la responsabilité de l’accompagner dans une première mesure, à hauteur de 1500€.

Tout projet artistique, à condition qu’il remplisse les principes généraux sur l’égalité homme-femme, la responsabilité environnementale… 

D’abord, il faut être éligible, c’est-à-dire avoir une partie de son activité à Grenoble, être structuré juridiquement… Et ensuite, pour ce niveau-là, on est sur du déclaratif. C’est là qu’il va y avoir une charte, et c’est là qu’intervient la commission des pairs. On est presque dans une politique de guichet. Vous remplissez les cases, vous touchez un montant défini.  

Ça veut dire qu’il n’y a aucune notion de qualité artistique prise en compte ? 

C’est là que la commission des pairs interviendrait. C’est une proposition que l’on formule, peut-être qu’elle n’aboutira pas ! L’idée est de créer un espace où les acteurs culturels pourraient avoir, tout simplement, connaissance des projets qui émergent sur le territoire et en débattre. Est-ce que cette commission prendra seulement connaissance des dossiers, ou est-ce qu’elle fera une sélection –auquel cas on glisserait par rapport à la notion de soutien universel dont on parlait ? C’est à construire.

Que la Ville génère une instance de connaissance, tout en restant sur un soutien universel, ça me paraît intéressant. C’est ce que je préfèrerais. Ce soutien universel, j’y tiens, parce que je me suis rendu compte qu’en spectacle vivant, pour beaucoup de compagnies, 1500€ c’est quelque chose. Et mine de rien, c’est délicat d’argumenter pour justifier des disparités de 800€, 1000€ ou 1500€ entre différentes structures. Le comité d’avis a beau passer beaucoup de temps dessus, il ne parvient pas, parfois, à un niveau de finesse à 300€ près. J’y vois aussi une marque de confiance à l’égard du monde artistique.

Après ce premier niveau de subvention, il y a deux paliers supérieurs, avec des marches assez hautes. On assume le soutien universel, et on assume aussi une exigence artistique, de maturité, de relation aux publics, etc. qui génère un engagement plus important de la part des acteurs en matière d’égalité femmes-hommes, de climat et de publics.

L’opposition municipale vous critique (entre autres) sur la lexicologie : « l’universalité de la dimension sensible », par exemple… Ne craignez-vous pas, en usant d’un ton quelque peu déclamatoire, de nourrir une facette élitiste de la culture – l’inverse de ce que vous souhaitez porter ? 

Je ne crois pas. Je me suis engagée en politique en me fondant sur l’intelligence des gens, sur le fait qu’ils ne sont pas bêtes et qu’on ne peut pas les mépriser. Reconnaître là où ils en sont, c’est différent que de considérer qu’ils y seront toujours. Je suis persuadée qu’on a besoin que le discours politique crée un horizon, définisse des perspectives. Les gens ont donné leurs voix pour être représentés par nous, c’est notre responsabilité de leur dire dans quelle direction on va. Universalisme, c’est un mot qui est au fondement de notre contrat social. Revenir à ces fondamentaux-là, j’y crois beaucoup.

Vous parlez, en citant l’exemple de la Belle Électrique qui est devenue une SCIC (une société coopérative à laquelle les collectivités peuvent prendre part), « d’exercice des droits culturels ». De quoi s’agit-il ? 

Le terme de "droits culturels", il est utilisé par certains, décrié par d’autres… Je n’y suis pas tellement attachée ; je suis plutôt attachée à ce qu’on fasse. En culture, on exerce sa citoyenneté, donc on exerce ses droits et ses libertés. La Belle Électrique reste une salle de musiques actuelles ; mais je suis fondamentalement persuadée que ce changement de gouvernance est bouleversant dans notre façon d’interagir en tant que citoyens pour les politiques publiques. Chacun peut désormais être membre de cette gouvernance, et prendre part aux décisions concernant cet établissement. Tout en respectant, bien sûr, les métiers de chacun et la liberté de programmation. Tout le monde sait ce que je vais porter comme ligne au sein du conseil coopératif ; mais je ne représente que 20% des voix.  Je suis sûre qu’en laissant les citoyens exercer leurs libertés à plus d’endroits, on consolide la démocratie représentative. Si on a des élus qui conservent tous les pouvoirs, tout le temps, ça génère de la méfiance. Déléguer à des gens le pouvoir pour six ans, c’est beaucoup ; plus on est capables de partager, de rendre, plus ça générera de la confiance. 

Êtes-vous inquiète par rapport aux baisses de subvention de la Région ?

Une collectivité administre l’argent public comme elle l’entend. Ce qui m’inquiète, c’est la façon de faire, que je trouve dangereuse. Au-delà des étiquettes politiques, on est censés définir un partenariat entre les collectivités et avec les acteurs que l’on accompagne. Quand on baisse la subvention d’un acteur qu’on a conventionné, la parole publique n’a plus de poids.

Quant au discours qui va avec, nous nous inscrivons en totale contradiction. Les courriers que reçoivent l’Espace 600 ou d’autres acteurs de la médiation, leur disant qu’il va falloir se concentrer sur les valeurs nationales et les questions identitaires, c’est à l’opposé de ce que sont la culture et les arts, et de ce que nous, on porte. C’est face à ça qu’on lutte tous les jours, et c’est pour ça qu’on inscrit notre politique dans le champ de l’hospitalité.


27, 4 millions d’euros pour la culture

La Ville a conservé un budget stable pour la culture, qui est le deuxième plus important après celui consacré aux écoles avec 27, 4 millions d’euros. Cela représente 174 euros par habitant et par an. Elle prévoit en revanche d’augmenter de 25% l’enveloppe consacrée aux subventions pour les artistes, dans le cadre de ce nouveau principe de soutien universel, mais aussi pour soutenir les acteurs culturels qui auraient été pénalisés par les coupes de subventions décidées par la région Auvergne-Rhône-Alpes. 


Nouvelle convention avec l'Institut de France

La Ville travaille actuellement au renouvellement de la convention avec l’Institut de France, qui subventionne avec la collectivité des projets culturels, jusqu’ici principalement dans le spectacle vivant. Lucille Lheureux souhaite la mise en place d’un dispositif qui inviterait les grosses structures grenobloises à participer à l’octroi d’une partie de ces subventions, par secteur : Le Magasin pour les arts visuels, la MC2 pour le spectacle vivant, le CCN2 pour la danse, la bibliothèque ou le TMG pour les écritures…  

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