Jérémie Iordanoff, député : « Les gens me disaient "artiste-peintre, mais vous ne serez jamais élu" ! »

Portrait / On a cherché, et s’il n’est pas le seul, on n’en est pas loin : Jérémie Iordanoff, député de la 5e circonscription de l’Isère, est artiste-peintre de profession. Un métier très peu représenté chez les parlementaires, plus souvent avocats ou cadres de la fonction publique. Rencontre avec ce nouveau parlementaire EÉLV pour parler politique (un peu) et arts (beaucoup). 

À Saint-Martin-le-Vinoux, un bureau vitré moderne, qu’un tapis expérimenté tente de réchauffer, accueille la toute nouvelle permanence du député Jérémie Iordanoff. Ce cadre d’Europe Écologie les Verts se pose à peine après des mois intenses : présidentielle, négociations pour l’avènement de la Nupes, campagne législative éclair dans la 5e circonscription, intronisation à l’Assemblée nationale, premiers textes de loi… Et voilà la rentrée parlementaire.

Le député de 39 ans, père de deux enfants, est le seul des 577 locataires du palais Bourbon à exercer la profession d’artiste. Un métier rarissime sur les bancs de l’Assemblée, de tous temps. On n’a trouvé qu’un certain Paul Loubradou, député de la Troisième République, survivant de 14-18, militant communiste puis fâché avec son parti à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. Ce Monsieur a un autre point commun avec Jérémie Iordanoff : des voyages en Amérique latine, en Espagne et en Suède, qui ont nourri leur pratique artistique.

Le nouveau député isérois peint des toiles abstraites, à l’huile et à l’aquarelle, et réalise aussi des dessins à l’encre. On a soumis ça entre deux portes à notre journaliste arts : « C’est bien, graphiquement, chromatiquement. Très visuel. » Voilà qui est dit. Issu d’un lycée Arts appliqués, Jérémie Iordanoff déroule un parcours en pointillés, entre petits boulots alimentaires (vendanges, abricots, maïs, maçonnerie…), « échec cuisant » en filière mathématiques, périodes dédiées à la peinture et grands voyages. Vivre de son coup de pinceau, ça n’a pas été une évidence. « Soit il faut que ça marche tout de suite, soit il faut être vraiment accroché. Moi ça n’a pas marché tout de suite… Je faisais des expos, et je me suis mis sur eBay ; j’ai commencé à vendre pas mal, mais pas cher. » Comme il faut bien vivre, entre deux escapades, le peintre bosse dans l’informatique grâce à une formation réussie.

« Tout le monde n’achète pas de la peinture abstraite minimaliste bizarre… »

Au retour de ses pérégrinations, Jérémie Iordanoff ne sait pas trop quoi faire. « La peinture, c’était trop solitaire. La politique m’intéressait depuis longtemps, donc j’ai entamé des études de droit. » Adhérent d’Europe Écologie les Verts depuis l’âge de 20 ans, il s’implique davantage et dirige la campagne du montpelliérain Jean-Louis Roumegas. Il devient son attaché parlementaire pendant 5 ans. Pas de peinture possible avec l’emploi du temps imposé par la politique. En 2017, Roumegas n’est pas réélu. « J’avais l’opportunité de continuer dans des boulots similaires en politique, j’ai décidé de tout arrêter, reprendre un atelier et faire de la peinture. Ça me manquait. » Et voilà que deux ans plus tard, il devient secrétaire national adjoint d’EÉLV ; au même moment, il s’installe à Grenoble et loue un atelier-vitrine rue Dominique-Villars. Mais en pleine crise sanitaire, il ne reste que l’option de la vente en ligne pour ses tableaux. « Artsper, Artnet… Ce sont des galeries, ce n’est pas de la vente directe. On est sur un public plus restreint, plus connaisseur. Je pense que pour ce que je fais, ça marche mieux. Tout le monde n’achète pas de la peinture abstraite minimaliste bizarre… »

Élu, les pinceaux restent au tiroir. Et risquent de ne pas en sortir pendant les cinq années qui viennent. « On va voir, il y aura peut-être une dissolution avant ! » Pourtant tout est prêt : « J’ai loué un nouvel un atelier avant les législatives, au mois de juin. Je n’y ai jamais mis les pieds. Déjà, je n’avais pas tout à fait prévu de gagner – en tout cas, j’avais prévu les deux hypothèses. Je m’étais dit que j’arriverais à m’organiser, mais en réalité c’est impossible. » Trop de travail et d’allers-retours entre les Alpes et la capitale. « La politique est un engagement. Je pense que c’est un monde qui mériterait d’avoir des gens "normaux". Mais ceux-là ne s’y sentent pas autorisés, et c’est dommage. Du coup, on se retrouve avec une classe politique très homogène, où tout le monde se ressemble, ils ont fait dix ans de droit, sont tous avocats ou enseignants… Il n’y a pas beaucoup de jeunes femmes célibataires avec enfant, par exemple. » Et encore, 2022 a été marquée par l’entrée de catégories socio-professionnelles inédites à l’Assemblée : la femme de ménage Rachel Keke (LFI), le chauffeur-livreur Jorys Bovet (RN), ou en Isère Jérémie Iordanoff, l’artiste. « Les gens, sur les marchés, me disaient « artiste-peintre, mais vous ne serez jamais élu ! » Il y a un a priori négatif sur les artistes, ce ne seraient pas des gens sérieux, qui peuvent gérer les affaires publiques. Donc on verra, si je suis un député sérieux ou pas ! »

Est-ce que la présence d’un artiste professionnel amènera dans l’hémicycle des textes législatifs liés à l’art, à la culture ? « Je trouve compliqué d’être à la fois acteur culturel et législateur, il y a un conflit d’intérêts. Je pense que les sujets sur lesquels il faut avancer, c’est le statut des artistes plasticiens. Mais en disant ça, j’ai l’impression de prêcher pour ma paroisse, c’est embêtant… » On insiste un peu. « C’est vrai que les arts plastiques, on n’en parle jamais. Les artistes ne sont pas organisés. Et les solutions ne sont pas évidentes, il faut le dire. Je pense qu’il faudrait un statut inspiré de celui des intermittents pour les artistes plasticiens. C’est-à-dire qu’il y a des périodes où on vend, des périodes où on ne vend pas. Et il faudrait que lorsqu’on ne vend pas, on puisse quand même survivre, payer son atelier, son électricité, tout ça. Des aides existent, mais c’est difficile de les demander, les montants sont faibles, ça décourage. »

« En art contemporain, la France a dégringolé. Pour moi, c’est une erreur d’avoir trop restreint les pratiques subventionnées. »

Pour le député écolo, c’est tout l’esprit de la politique culturelle de l’État qui serait à revoir, en profondeur. « Depuis les années 80, on a l’impression qu’il y a un art officiel, et un art pas officiel. Et que l’art officiel, c’est une petite partie du champ artistique. Les artistes français subventionnés par la France sont très peu connus à l’étranger, très peu exposés, ils ne vendent pas sur les marchés privés. On finance des secteurs qui ne sont pas reconnus sur la scène internationale, et qui à mon avis, dans 20 ou 30 ans ne seront pas reconnus y compris en France. En art contemporain, la France a dégringolé. Pour moi, c’est une erreur d’avoir trop restreint les pratiques subventionnées. » Quand aux secteurs visés, le député Iordanoff ne s’étend pas trop. « Dans les arts plastiques, c’est beaucoup des installations, souvent des trucs sonores, avec quatre kilomètres de texte... Si l’installation ne tient pas sur le papier, on considère que ça ne marche pas. »  

Autre source d’agacement, « toutes les subventions qui sont conditionnées à la médiation. C’est l’idée que l’art devrait avoir une utilité sociale, mais en fait ce n’est pas le cas. Ça plaît beaucoup aux politiques, parce que ça valorise leur action, ils ont le sentiment que l’argent est bien utilisé. Mais en fait, l’art c’est aussi des gens qui font des choses dans leur coin, que personne ne voit jamais. »  

Plus largement, il se questionne sur l’élitisme qui reste accolé à la culture dans notre pays, en particulier à l’art contemporain. « On a l’impression que certaines personnes sont autorisées à penser, réfléchir et donner leur avis sur l’art, et toutes les autres ne s’y sentent pas autorisées. Je ne sais pas à quoi ça tient, dans d’autres pays les gens sont beaucoup moins complexés. Peu importe qu’on n’y connaisse rien, on a le droit d’avoir un avis, parce qu’on ressent, on voit, on a des références sans même le savoir. L’art, c’est le commun dans une société, c’est des références partagées. Il faut accepter que le sensible est quelque chose d’important, et que ça ne passe pas toujours par une compréhension intellectualisée. D’ailleurs si on devait tout comprendre, la peinture ne servirait plus à rien… »

www.iordanoff.com

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