Claire Baglin, fast food nation

Claire Baglin

Librairie Le Square

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Littérature / C’est Claire Baglin qui remporte en cette rentrée le traditionnel titre de primo-romancière la plus courue des critiques. Son "En Salle", qui décrit les mésaventures d’une jeune “équipière” dans l’enfer du fast-food est effectivement goûtu, mais un peu froid, et parfois un peu indigeste dans sa gestion d’un récit familial alterné.

Il est des gens, des enfants, pour qui aller au fast-food est un réconfort, un luxe, une fête. Et le fast-food en question un monde merveilleux et fascinant. Jusqu’à ce qu’ils soient amenés à y travailler. Alors les Disneyland du burger se muent en enfer de la malbouffe, du mal-travail et en dernier lieu de la mal-vie.

C’est le cas pour l’héroïne d’En Salle qui, ayant postulé dans une célèbre enseigne, traverse tous les cercles de cet enfer, bien définis et hiérarchisés : la salle, les commandes, la terrasse, les frites, le drive
sous l’autorité plus ou moins investie des manas, ces démons, et entre deux aboiements d’un cerbère
nommé “pointeuse”. S’il en restait là, En Salle s’inscrirait dans la tradition des journaux ouvriers écrits
à même l’établi, sur un coin de ligne de production, pour disséquer l’aliénation (moyennement) cachée
derrière chaque tâche répétitive, et soupeser la notion de pénibilité au carré.

à lire aussi : "Vivance" de David Lopez, un road trip cycliste entre ombre et lumière

McJob

Mais En Salle comporte une deuxième couche de récit, en alternance frénétique de la première, faite
de retours sur l’enfance de la narratrice dans un milieu populaire, du genre de ceux pour lesquels le
Président Macron a cru bon un jour d’inventer l’expression « les gens qui ne sont rien », ou pas grand-
chose : père ouvrier, vacances sous une toile de tente et restauration rapide en guise de climax événementiel familial. C’est cette alternance de récits qui fait tout le sel d’En Salle, qui dresse le parallèle entre la condition ouvrière du père et le McJob – l’expression a été popularisée par l’écrivain canadien Douglas Coupland dans Generation X – de la fille. Manière de montrer que l’aliénation se nourrit aussi de
reproduction.

Mais l’alternance des récits, qui souffre d’un montage trop rapide, provoque chez le lecteur un sentiment d’asphyxie dont on ne sait s’il est réussi – et donc volontaire – ou une scorie. En Salle pâtit donc de sa densité, et son style volontairement clinique, sans pathos ni psychologie, sans humour ni hors-champs salvateur, produit un effet de glaciation. On ne retrouve pas ici – si tant est que la comparaison soit valable – la poésie à l’œuvre dans À la ligne de Joseph Ponthus. Mais au moins retranscrit-il à merveille, si l’on peut dire, c’est déjà une force, la déshumanisation au travail dans les McJob dont le managériat absurde et robotique a fini par contaminer l’ensemble de la société.

Claire Baglin, En Salle (Minuit) mercredi 12 octobre à 19h à la librairie Le Square

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 2 novembre 2021 Romancière à succès, Marie Darrieussecq publie un essai au titre clair comme de l’eau de roche : Pas Dormir. Qui n’a pas regardé avec effroi son réveil à 4h (...)
Mardi 21 septembre 2021 Embouteillage de nouveautés sur les étagères des librairies. Comme chaque mois de septembre, 500 à 600 livres sont publiés plus ou moins simultanément. On est allés au Square pour obtenir les bons conseils du libraire.
Mardi 8 décembre 2020 Reprise. À l’image de l’ensemble des commerces, librairies et disquaires ont pu rouvrir leurs portes samedi 28 novembre. Une reprise d’activité espérée pendant de longues semaines et attendue par leurs clients.
Mardi 9 juin 2020 La lecture a été pour beaucoup un moyen d’évasion pendant le confinement. Aujourd’hui, la réouverture des bibliothèques et librairies enthousiasme de nombreux lecteurs. Ces structures nous en disent plus sur leurs conditions de reprise.
Mardi 18 septembre 2018 Alors que la rentrée littéraire et ses 567 nouveautés sont au cœur de l’actualité, Nicolas Trigeassou, directeur de la librairie grenobloise Le Square, est sorti des cartons pour évoquer ses romans lus et approuvés. Et en a profité pour nous parler...
Vendredi 2 septembre 2011 Une rentrée littéraire, ce sont des livres ; énormément de livres. Mais ce sont aussi des libraires qui, en ces temps chamboulés où le mot crise est devenu un nom plus que courant, s’interrogent sur leur métier et les pratiques à venir – notamment...

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X