Pascal Clouaire : « Construire une véritable politique culturelle de développement métropolitain »

Politique culturelle / Vice-président de Grenoble Alpes Métropole en charge de la culture, Pascal Clouaire a présenté lors du dernier conseil métropolitain son projet pour le mandat. Retour avec l’élu grenoblois sur sa délibération cadre, qu’il souhaite être un premier pas vers une politique culturelle à l’échelle métropolitaine. 

La Métropole dispose de la compétence culture depuis 2016. Que s’est-il passé en 6 ans ?

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La Métropole a récupéré la gestion des grands équipements (la MC2, le CCN2 et l’Hexagone), de l’École supérieure d’arts et de design (Esad) et du centre de sciences, c’est-à-dire la Casemate et Cosmocité [le planétarium qui sera inauguré en décembre au Pont-de-Claix, ndlr]. Et puis, nous avons un petit budget pour soutenir un certain nombre d’initiatives, comme par exemple les 10 Jours de la Culture. 

La politique métropolitaine, c’est deux choses à la fois : l’institution et la coordination intercommunale. Mais la Métropole a d’autres compétences qui peuvent être au service de la culture, comme par exemple les mobilités. On a fait, l’an dernier, quelque chose de formidable entre l’Esad et le Smmag (Syndicat mixte des mobilités de l’aire grenobloise) en exposant dans les dix abribus les plus fréquentés du territoire – donc ce sont des centaines de milliers de spectateurs, un véritable musée à ciel ouvert, qui a plus de visiteurs que le musée de Grenoble ! 

Comment articuler une politique culturelle avec celles mises en place par chacune des 49 communes du territoire ? 

Il ne faut pas rêver : les compétences culturelles sont restées davantage dans les communes. On est d’ailleurs une métropole qui est très en retard par rapport à ça. Elles ont la volonté, de plus en plus, de coopérer autour d’un projet, mais ce n’est pas simple. Si vous êtes une commune, vous n’avez pas envie de transférer vos compétences culturelles. Ce sont des compétences qui sont symboliques, qui sont politiques, que vous voulez continuer à maîtriser au niveau communal. 

D’un autre côté, certains équipements et certaines pratiques n’ont plus rien à voir avec le niveau communal. Aujourd’hui, par exemple, quelqu’un qui habite à La Tronche va à l’Ancien musée de peinture. On est dans une métropole de plus en plus dense, dans laquelle les communes sont de plus en plus imbriquées. Les usages de ces équipements ne correspondent pas au niveau de gouvernance. Et ça, c’est une particularité de la métropole grenobloise. 

Pourquoi ne pas aller, dans ce cas, vers une politique culturelle pleinement métropolitaine ? 

Parce que ce n’est pas encore mûr. Mais la délibération cadre est sur cette trajectoire-là. Il y a une partie qui porte sur un projet métropolitain. Ce projet, on l’a appelé : "soutenir l’émergence d’un mouvement artistique de la transition". Ça, c’est notre projet. Il fédère une identité de territoire, une volonté politique, une ambition, un engagement. Il vient en complémentarité des projets des communes. 

Pour que ce soit mûr, il faut commencer par se dire qu’on peut faire un projet ensemble. Il ne faut pas forcer la main là-dessus, ça ne marchera pas. Il s’agit de fédérer. Et ce n’est pas Pascal Clouaire qui dit : « On va faire ce projet », ce sont les acteurs culturels, lors de la conférence métropolitaine de la culture, qui nous ont engagés là-dessus. Des centaines d’acteurs culturels, les petits comme les gros, de toutes les esthétiques, sont tous venus ; et c’est eux qui nous ont dit « on veut le mouvement artistique de la transition », ce ne sont pas les politiques. Donc on les a écoutés. 

Qu’est-ce que suppose le "mouvement artistique de la transition" ? 

Aujourd’hui, le monde de la culture est un acteur majeur de la transition. À l’heure de Capitale Verte, de la convention citoyenne pour le climat, on voit bien que nous vivons dans un territoire de prise de conscience. Cela participe à son identité et sa culture. 

L’un des préalables à la réussite de la transition, c’est la prise de conscience des responsabilités, et elle est culturelle. Parce qu’au-delà de la prise de conscience scientifique et objective des problèmes, si vous n’avez pas un narratif derrière tout ça qui dessine une société désirable, des représentations, qui peut impulser une dynamique, eh bien vous avez une société qui fait du sur place. Si la prise de responsabilité devient culturelle, on augmente les chances de pouvoir changer collectivement. 

Donc on pose des questions au monde culturel. Qu’est-ce que vous avez à dire là-dessus ? Comment pouvez-vous nous éclairer, nous dire le monde qui vient ? Vous l’avez toujours fait, les artistes. Nous, on va vous écouter, avec peut-être plus d’attention ici, à Grenoble, qu’ailleurs. 

Tout ça, sans intervenir sur le processus de création, mais en intervenant sur le processus de gestion. C’est-à-dire avoir des modes de gestion des équipements qui soient plus rigoureux par rapport à la question environnementale. 

C’est un autre élément clairement mentionné dans votre délibération : vous souhaitez accompagner les acteurs vers la décarbonation de la culture. Comment cela se traduira-t-il ? 

Exemple concret : la rénovation de l’Ecole supérieure d’art et de design. 7 millions d’euros mis en place par la Métropole. On isole complètement le bâtiment. Pour faire en sorte que les coûts de fonctionnement soient divisés par deux, voire par trois. Alors on ne va pas tout faire d’un coup, on n’a pas les moyens. Mais on va porter la question auprès des acteurs culturels. Les questions énergétiques, des circuits courts, dans les propositions d’accompagnement qui sont faites, dans la façon dont on gère l’événementiel, etc. Et rationaliser l’ensemble des équipements au niveau métropolitain. 

Ce qui nous ramène à une politique culturelle qui s’établirait au niveau de la Métropole. C’est l’objectif final ? 

Les conditions pour qu’un jour on aille dans cette direction, c’est d’abord de faire un projet qui soit en complémentarité, et pas en substitution des communes. Et deuxième chose, on pousse au maximum la coopération intercommunale, à tous les niveaux. Jusqu’à la mutualisation. 

Quand on a fait la conférence métropolitaine de la culture, on a remarqué que les petites communes n’ont souvent pas les compétences, elles n’ont pas le budget pour recruter une personne. Mais elles ont un bout de budget pour recruter un bout d’une personne ; et ces communes-là se disent « si on se met ensemble, peut-être qu’on peut réussir à faire quelque chose, en mutualisant nos forces et nos moyens ». Là, la Métropole peut être le facilitateur et avoir un fonds pour aider. 

On a pour objectif de faire un recensement de tous les matériels de toutes les salles métropolitaines. Aujourd’hui, on sait ce qu’on a dans sa commune, mais pas dans la commune voisine. Il s’agit de créer une plateforme de ressources numérique pour les professionnels : cartographie, annuaire, actualité, agenda partagé, résidences, programmation, ateliers, offres de groupement d’achat et d’employeurs, mise en réseau d’outils culturels… On ne l’a jamais fait, tout ça !

Parce que la trajectoire, c’est de construire, à la fin, une véritable politique culturelle de développement métropolitain. Ce n’est pas simple, car c’est très difficile pour les communes de dire « je lâche pour la Métropole ». Sauf que les pratiques et les citoyens vont plus vite que les institutions. Ils sont déjà dans une vision métropolitaine. Franchement, quand vous habitez La Tronche, Eybens, Gières ou Grenoble, vous faites la différence ? Les gens s’en fichent. Et je peux vous dire que les artistes aussi. Ils veulent que le territoire structure un projet. 

Entre la biennale Expérimenta, Vive les Vacances, les 60 ans de l’indépendance de l’Algérie… Cette coopération intercommunale, est-ce qu’elle n’existe pas déjà ? 

Oui, comme aussi sur le Conservatoire de musique entre Gières, Saint-Martin-d’Hères et Eybens. Effectivement, les communes se connaissent, certaines travaillent naturellement ensemble, par affinité politique ou par nécessité économique. 

Mais par exemple, chaque commune fait des résidences d’artistes. Pourquoi ne pas mettre ça en commun ? Au niveau de la Métropole, on n’a pas un artiste mais 18 artistes, qui sont disponibles pour aller dans toutes les bibliothèques… On veut une programmation métropolitaine, ça n’existe pas ; il n’y en a qu’un qui le fait, c’est le Petit Bulletin. En dehors de ça, il n’y a pas de programme métropolitain de la culture. De même, vous avez des ouvertures de saison, chacun fait la sienne, c’est très bien ; mais pourquoi on n’a pas une ouverture de saison métropolitaine ? Je ne parle pas d’une programmation commune, mais dans un premier temps, que les programmateurs au niveau métropolitain se voient et échangent – c’est une demande de leur part. C’est important de le dire, les acteurs culturels ont toujours été associés, depuis le début. 

Enfin, il y a des appels à projets internationaux ou européens. À part la ville centre, Grenoble – et encore –, personne ne peut répondre à ces appels à projets. Sauf la Métropole. 

Vous confiez éviter soigneusement d’utiliser le mot « transfert ». Pourquoi ? 

Parce que ça sera l’étape qui viendra une fois que le sens de ce qu’on fait apparaîtra comme évident. Du coup, la question des moyens et de la logistique suivra. Elle ne doit pas précéder mais suivre le travail qu’on fait, qui consiste à donner du sens, que tout le monde comprenne où on veut aller. D’abord, il faut fixer la vision et s’assurer qu’elle est partagée. Ensuite, trouver le ou les chemins pour l’atteindre. Cette délibération fixe la vision et commence à dessiner des chemins. 

En parlant de moyens, vous reconnaissez disposer d’un budget très limité. La Métropole pourra-t-elle financer de nouvelles ambitions culturelles ? 

Vous avez raison, ça pose la question du budget métropolitain. Le problème, c’est que ce qu’on prend à gauche, on l’enlève à droite, et vice-versa, donc il faut être responsable. Mais moi, j’ai fait le boulot pour sensibiliser les acteurs autour de la table ; les élus et mes collègues sont sensibles à cette question-là. Maintenant que cette étape est franchie, on va pouvoir poser ces questions de financement. C’est une vraie question. 

Quel est actuellement le budget consacré à la culture ? 

Il est de 400 000€, hors grands équipements. Par exemple, l’Esad, c’est 1, 3 million d’euros rien qu’en fonctionnement, et là on va investir 7 millions d’euros pour rénover le bâtiment. Donc si on additionne tout, on n’est pas loin de 10 millions d’euros ; mais ce sont des budgets conventionnés, contraints, pour faire tourner les équipements. En marge de manœuvre, on a 400 000 €. Ce qui est très faible. 

Cela comprend l’événementiel, comme les 10 jours de la culture ? 

Oui ; et là on est en train de réfléchir à un grand événementiel métropolitain, culture et attractivité. C’est un projet qui doit donner du sens à la Métropole au niveau national et international. J’espère voir une première d’ici la fin du mandat. Mais rien n’est acté encore.  

La délibération comporte aussi des volets sur la culture scientifique et technique, et sur le patrimoine. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

S’il y a bien un endroit qui a toujours été dans une logique métropolitaine, historiquement, c’est la culture scientifique et technique. Vous savez où a été créé le premier CCSTI de France ? C’est chez nous. Et pourquoi ? Parce que c’est l’histoire du développement de Grenoble au XXe siècle. C’est la houille blanche, l’hydroélectricité, ensuite l’électricité, la micro-électricité, l’électronique, la microélectronique, les nanos, etc. Et vous avez toute l’histoire du XXe siècle, et toute l’histoire de l’Université. Grenoble, c’est une ville d’intellectuels et de scientifiques. C’est le seul endroit ou vous croisez des médailles d’or du CNRS en sandalettes place Notre-Dame ! 

Là-dessus, la Métropole a un levier peut-être plus facile, notamment sur la mutualisation. Parce qu’on a le centre de sciences, et ensuite il y a d’autres équipements, pas forcément métropolitains mais amenés à travailler en relation avec le centre de sciences : le musée de la Chimie à Jarrie, le musée de la Viscose à Échirolles, le Museum d’histoire naturelle à Grenoble, le jardin botanique à La Tronche, Aconite – le musée de l’informatique, en quelque sorte –, le musée grenoblois des sciences médicales à l’UGA, le physiquarium à l’institut Louis Néel, le projet Grange des maths à Varces… Il y a moyen de travailler sur le rapprochement, en termes de programmation pour commencer, de ces équipements. Et Cosmocité devrait être le lieu de coordination de la culture scientifique et technique. On va travailler dessus.

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