Le Serment de Pamfir : Pour des clopinettes…

Le film immanquable / Absent de tous les palmarès, l’un des plus grands films de l’édition 2022 du Festival de Cannes est une première œuvre en provenance d’Ukraine sélectionnée par la Quinzaine des Réalisateurs. Sa puissance dramatique, sa virtuosité esthétique, le regard qu’il porte sur la situation socio-politique de son pays font du "Serment de Pamfir" une réussite magistrale. À voir impérativement.

L’existence de ce film s’apparente à un miracle : à quelques semaines près, il n’aurait sans doute jamais vu le jour du fait de l’invasion russe en Ukraine. Mais si celle-ci n’avait pas eu lieu, peut-être n’aurait-on paradoxalement pas porté la même attention sur ce coup de maître se déroulant dans un village ukrainien proche de la Roumanie. On y suit le retour jusqu’au carnaval du colosse Pamfir, après plusieurs mois d’exil pour le boulot. Celui-ci devra prolonger son séjour au pays afin de rembourser au potentat mafieux local les dégâts commis par son incendiaire de fils. Pour cela, pas d’autre solution que de reprendre l’activité qu’il avait juré d’arrêter : la contrebande de cigarettes.

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Le Serment de Pamfir met en lumière la coexistence permanente de deux réalités plus ou moins contradictoires gouvernant cette communauté : l’une, "officielle", semblant servir de façade à l’autre dépositaire du réel pouvoir (l’Église réunit ainsi moins de fidèles que le très païen carnaval de Malanka ; le garde-champêtre local abrite derrière sa charge légale des trafics en tout genre). La dualité du système contraint les villageois à être eux-mêmes duplices dans leur vie quotidienne pour pouvoir survivre dans ce lieu où chacun porte un masque. En revenant sur cette terre viciée, Pamfir est contaminé et doit trahir ses engagements en recommençant à mentir. Pamfir possède par ailleurs sa propre dualité "physique" : s’il a tout d’une bête fauve (et le prouvera dans une séquence de baston filmée de manière hallucinante), il déjoue tous les clichés en ne se livrant jamais à la violence sur ses proches. Le détail, signifiant, rend le dénouement encore plus terrible – avec un cri comparable en déchirement dramatique à celui du gamin dans Faute d’amour (2017) de Zviaguintsev.

Beauté et bonté

De la bagarre avec les hommes de main du caïd aux scènes dans la grange familiale en passant par la course lestée de clopes à travers bois ou le funeste carnaval, Sukholytkyy-Sobchuk installe une tension rare par la durée de plans-séquences captivants, magnétisants, qui n’excluent pas une grande mobilité ni, parfois, une forme de frénésie dans le champ que n’aurait pas reniée Zulawski. Quant à l’image, elle demeure sublime de bout en bout, en contraste avec la laideur des situations ou des événements, mais en écho avec la bonté intérieure du malheureux Pamfir. Intérieur/extérieur, voilà une autre dualité que ce film explore du point de vue territorial, plus ou moins souterrainement, et qui ne manquera pas de résonner jusque dans les dernières secondes. 

C’est peut-être une chance en définitive pour Sukholytkyy-Sobchuk que son film n’ait pas concouru dans une section compétitive au premier plan, alors même qu’il pouvait légitimement y prétendre – le cinéaste ayant été déjà repéré par Berlin, Turin, Angers… Parce que toute onction d’un jury eût été suspectée d’avoir été infléchie par les circonstances géopolitiques ou par une forme de compassion. Dans le passé, il est ainsi arrivé que des jurés privilégient le poids éphémère d’un symbole aux qualités intrinsèques d’une œuvre ; l’éclat de la récompense faisait hélas long feu – voir la Palme 2004 à Fahrenheit 9/11, clairement attribuée par anti-bushisme à un tract discutable signant le début du déclin de Michael Moore. Le Serment de Pamfir a quant à lui la chance de s’affirmer par la vertu de ses mérites aux yeux des spectateurs, révélant l’avènement conjoint d’un cinéaste et d’un comédien – on ne serait pas étonné de voir Oleksandr Yatsentyuk dans un James Bond. Ne vous privez donc pas de ce double miracle.

★★★★☆ Le Serment de Pamfir (Uk.-Fr.-Lux., 1h40) de Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk avec Oleksandr Yatsentyuk,  Stanislav Potiak,  Solomiya Kyrylova… En salle le 2 novembre

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