"Les Miens", de et avec Roschdy Zem : coup de tête

Le film coup de cœur / Incontournable sur les écrans depuis la rentrée, Roschdy Zem figure également à l’affiche de son sixième long-métrage en tant que réalisateur – sans doute son plus réussi –, une comédie dramatique sur le sens de la famille, parlant en creux de tout ce qui fait la société française aujourd’hui. Et l’identité.

Homme doux et cadre supérieur compétent, Moussa subit coup sur coup deux épreuves : il est quitté sans raison ni ménagement par son épouse et victime d’une violente chute sur la tête qui, entre autres séquelles, modifie radicalement son caractère. Sa fratrie et ses enfants se découragent un à un face à ses sautes d’humeur, son irascibilité et ses remarques sans filtre. Seul Ryad, son aîné, star du petit écran jadis plus préoccupé par lui-même, parvient à maintenir un lien avec Moussa le temps de sa convalescence…

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L’ambiguïté sémantique que revêt le titre – Les “Miens peut en effet s’entendre comme la revendication d’une appartenance à un groupe autant que l’affirmation d’en être le chef – renvoie subtilement à la position de Roschdy Zem : à la fois auteur et comédien (dans et hors la troupe puisqu’il la dirige), il incarne Ryad, le personnage de la fratrie ayant implicitement conquis par sa réussite professionnelle la figure d’autorité dévolue par tradition au premier-né. Pourtant, la question de la domination ou de l’ordre établi tombe ici rapidement en poussière au profit d’un récit plus partagé, comme si le chapelet de malheurs affectant Moussa n’avait pour finalité que d’éprouver la solidité – voire la réalité – des liens familiaux. L’"épisode médical" de Moussa se mue en une thérapie familiale en forme de fresque intime, se doublant d’une chronique de la société française contemporaine.

Une famille française

Sur la catharsis, le traumatisme permet la libération de la parole autant de la part d’un Moussa désinhibé que de son entourage. La grande habileté de Zem consiste ici à ne pas surenchérir dans l’éclat, mais à varier les nuances dans les tensions et l’expression des dissensions entre ses personnages : mise à plat froide, taquineries, coups de gueule, gênes, silences, discussions posées, gueulantes intempestives ou en crescendo, scène de repas à la Sautet, rabibochages, bouderies… Cet éventail de situations rendant compte de la diversité des caractères comme des émotions ancre davantage l’histoire dans la chair du réel qu’une enfilade de séquences se concluant systématiquement par un climax hystérique – par charité, on ne citera pas Les Petits Mouchoirs. Il permet également aux personnages de ne pas être chacun prisonniers d’une caractéristique ou d’une étiquette réductrice (telle que l’aîné, la compagne du journaliste-télé, la fille du convalescent, etc.) et de pouvoir évoluer au fil de l’histoire.

Photographie prise dans l’Hexagone en 2022, Les Miens pourrait être celle de n’importe quelle fratrie dont certains ont eu des fortunes diverses ; elle présente la particularité d’être d’origine maghrébine sans qu’elle soit réduite à cette part de son identité. Sans même que celle-ci ne soit évoquée… puisque ce n’est ici en rien le sujet. En revanche, Roschdy Zem et Maïwenn au scénario cernent, en marge du drame central, d’intéressantes problématiques liées au cosmos numérique. Là où la famille est présente, enveloppante, guérisseuse, le virtuel favorise le complotisme du neveu, permet de divorcer à distance sans contact et de manière clinique ; bref, ne fabrique que de la solitude froide et misanthrope.

Impossible de conclure sans évoquer la distribution : dans ce film d’acteurs de l’écriture à la réalisation, l’interprétation se trouve porteuse dans son ensemble d’une liberté et d’une authenticité faisant oublier le principe de dispositif, de rôle principal voire de rôle. Le spectateur assiste pleinement à une comédie humaine. À de la vie, et non à son simulacre.

★★★★☆ Les Miens (Fr, 1h25) de et avec Roschdy Zem avec également Sami Bouajila, Meriem Serbah, Maïwenn, Rachid Bouchareb… En salle le 23 novembre

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