Divertimento / Il n'est pas fréquent pour une actrice d'avoir à interpréter un personnage authentique et que celui-ci soit à ses côtés sur le plateau. De même pour une artiste d'assister au tournage du biopic s'inspirant de sa vie. Oulaya Amamra et la cheffe d'orchestre Zahia Ziouani ont vécu cette expérience symétrique pour "Divertimento" de Marie-Castille Mention-Shaar. Conversation.
La détermination et la précocité vous caractérisent ; néanmoins, est-ce que vous imaginiez un jour faire l'objet d'un biopic et surtout aussi tôt ?
Zahia Ziouani : Ah, c'est sûr que non ! Quand j'avais 18 ans – l'époque qui est racontée dans le film –, j'avais déjà du mal à me projeter en me disant que je serai un jour cheffe d'orchestre, ce qui était en soi une réalité compliquée et difficile pour une femme. Je n'aurais pas du tout pensé qu'un jour on ferait un film sur mon histoire, encore moins, parce que la plupart du temps, c'est quand elle n'est plus de ce monde – or, je suis plus milieu de carrière. Mais pour moi, ce film porte aussi d'autres choses. Évidemment, il est centré sur mon histoire, mais il raconte aussi la beauté de la famille, de la transmission, de la persévérance, de la combativité... Il peut parler à beaucoup de gens.
Comment avez-vous approché ce "rôle" puisque justement la base est réelle et tangible ? Zahia a-t-elle été un relais pour vous permettre de cerner son "personnage" ?
Oulaya Amamra : C'était la première fois que je joue une personne qui existe vraiment, donc c'est déjà un plaisir et une chance, puisqu'en général, comme le disait Zahia, on ne peut pas se référer aux gens qui sont morts. On a beaucoup préparé le rôle toutes les deux : elle a été un mentor, elle m'a beaucoup aidée à me sentir en confiance. Et puis son parcours m'a énormément parlé : je me suis sentie proche. Un parcours semé d'embûches, avec beaucoup d'obstacles mais grâce à sa détermination elle a réussi – un peu comme moi. On ne peut qu'être inspirée et je remercie Marie-Castille de m'avoir fait confiance.
Vous étiez conseillère sur le film, et donc présente sur le tournage ?
ZZ : En effet, tout comme ma sœur Fettouma. À la fois pour aborder toutes ces dimensions musicales du film mais aussi pour coacher les comédienne Lina El Arabi au violoncelle et Oulaya. J'ai passé beaucoup de temps avec la réalisatrice sur le scénario pour parler de notre histoire, de la famille, de la place de la musique ; beaucoup de dialogues sont tirés de scènes qui se sont effectivement déroulées. J'ai passé du temps avec les deux comédiennes principales pour préparer la musique, choisir les extraits – il y a quand même plus de 45 scènes de musique et 25 œuvres à diriger – et préparer Oulaya à pouvoir diriger un orchestre avec la signature de ma direction et les attitudes qui étaient les miennes à l'époque. J'ai passé du temps sur le plateau, mais parfois j'essayais de prendre un peu de détachement pour les scènes qui n'avaient pas de musique. Notamment les scène de famille. Là, j'ai laissé Oulaya pleinement libre et disponible ; moi aussi, afin de m'accorder des moments de découverte lors de la projection finale.
Justement, dans votre signature de direction musicale, y-t-il des aspects de spontanéité qu'il a fallu retrouver et réinsuffler dans la direction d'Oulaya ?
ZZ : Je pense être quelqu'un d'assez spontané, mais avec parfois, peut-être, une certaine soit insouciance, voire naïveté ; Oulaya m'a beaucoup observée et écoutée et après, elle a réussi à le transformer pour qu'on puisse le voir à l'écran. Voir ces progressions entre le début et la fin du film de cette cheffe d'orchestre, qui à la fin est beaucoup plus sûre d'elle, avec une direction plus affirmée.
Marie-Castille Mention-Schaar a elle aussi une histoire familiale liée à la musique ; est-ce que cela vous a permis d'avoir un langage commun, que vous avez mis au service du film ?
OA : Pour ma part, j'ai fait de la danse classique. Je n'avais pas de notion de solfège, je ne m'autorisais pas à écouter cette musique : j'avais l'impression qu'elle était réservée à l'élite. Et finalement après ce film et après avoir vu Divertimento en concert à la Philharmonie, j'étais surprise de ressentir des émotions alors que je ne m'y attendais pas, de façon inexplicable. Ça vient toucher quelque chose d'assez profond. Avoir Zahia en référente, qui est assez pédagogue et qui m'a parlé longuement des œuvres avec sa sensibilité ; qui donne sa couleur et son interprétation... Et Marie-Castille qui a l'oreille qui m'a fait découvrir des œuvres... J'ai beaucoup de chance et de gratitude ; j'apprends beaucoup. C'est un métier qui me permet de vivre un plein de choses et d'apprendre tous les jours.
ZZ : Marie-Castille est une femme passionnée par le cinéma et la musique et qui a une grande culture de la musique ; ma sœur et moi, on a dû lui faire découvrir des œuvres qui nous étaient chères. Elle avait cette envie de de porter des œuvres à l'écran ; on a essayé de faire ça pour le mieux ensemble.
La manière dont elle transfigure le son par l'image et dont votre personnage à l'écran visualise la musique est particulièrement intéressante. L'a-t-elle imaginé ou cela correspond-il à votre manière (à l'époque) de ressentir la musique, à travers les bruits urbains notamment ?
ZZ : Un peu des deux... Dans le film, une réplique dit que « la musique est tout pour moi ». Je pensais pleinement vivre par la musique ; jouer et diriger l'orchestre... Pour moi, la musique était vraiment tout la vie. La scène où l'on voit Oulaya répéter sous les draps avec sa lampe torche, c'était ça ! J'aime bien être dans ma bulle pour écouter de la musique. Pas forcément faire abstraction du monde extérieur, mais au contraire amener l'univers intérieur. Et c'est comme ça que Marie-Castille l'a incarné avec les bruits de la ville, pour montrer que la musique était en moi tout le temps.
Le chef Celibidache, votre maître, n'avait pas la réputation d'être commode avec les musiciennes. Êtes-vous une exception ?
ZZ : Peut-être... Il n'a pas été commode avec les musiciennes femmes dans sa carrière... Après, sans vouloir lui trouver d'excuses, on était dans une autre époque où les femmes n'avaient pas leur place dans les orchestres. À la fin de sa vie, il avait en effet envie de le changer ou en tout cas de s'engager plus dans la transmission ; quelque part, peut-être que je lui ai permis de changer un peu d'avis. Ou que ma personnalité, mon parcours lui ont permis de croire en moi. La relation entre Celibidache et Zahia, que l'on voit à l'écran, elle s'est passée, je ne peux pas l'enlever : ce sont des moments d'encouragement ; d'autres où il a été très dur, ou bienveillant.
Les temporalités entre les mondes de l'orchestre et du cinéma sont longues, mais celles de l'orchestre le sont davantage, puisque vous avez des calendriers sur 3 ou 4 années. Malgré cela, avez-vous la tentation d'essayer de les faire coïncider à nouveau pour de nouvelles collaborations ?
ZZ : Ce film m'a permis de découvrir cet univers de l'intérieur. Une personne comme Oulaya compte beaucoup dans ma vie aujourd'hui : elle a une place importante ; j'espère que j'aurai l'opportunité d'avoir d'autres tournages. Divertimento nous a permis de faire un pas les uns vers les autres.