Nicolas Giraud, Mathieu Kassovitz, Jean-François Clervoy (L'Astronaute) : « On va faire rêver tous les gamins »

L’Astronaute / Jim convainc Ribbot, un ex-astronaute, de l’aider à lancer le premier vol spatial amateur habité. Un argument d’une beauté aérienne pour un film d’une bienfaisante douceur porté par l’auteur-interprète Nicolas Giraud et un Mathieu Kassovitz en état de grâce. Conversation à trois avec le spationaute Jean-François Clervoy (conseiller technique du film) entre confidences sur le métier d’acteur et la passion pour le cinéma et les étoiles…

Était-ce un rêve personnel d’être astronaute ?

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Nicolas Giraud : Non, mon rêve c'est d'être là, maintenant, et d'avoir réussi à réaliser L’Astronaute. De partager ma passion du cinéma, ce qu'elle m'a donné quand j'étais petit. Ce que la salle de cinéma m'a offert d’ouverture, de culture, d’émotion… À travers L’Astronaute, je me suis dit que j'avais tous les moyens de pouvoir exprimer cette passion : le grand écran, la qualité du son, l’expérience collective… C'est mon rêve-réalité, qui est un chemin vers une forme de liberté. Ceci étant dit, quand j'étais dans la combinaison spatiale, j'ai réalisé un grand fantasme d'acteur et de réalisateur.

Comment est venue cette idée de transposer à l’espace ce qui ressemble à une aventure cinématographique ?

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NG : Il n’y a pas de point précis… Peut-être une étincelle – j’adore le mot étincelle – qui viendrait de la friction de plein de choses, en fait. D’un parcours : j’ai découvert le cinéma à 8 ans, donc ça fait 35 ans que j'ai connecté avec le cinéma et 22 ans que je fais ce métier en tant qu’acteur. Mais comme le dit souvent Mathieu [Kassovitz, ndlr], ce métier d'acteur ne me suffisait pas ; il fallait que je pousse les portes, que je choisisse la couleur de la peinture et des matériaux ! C’est un ensemble de petites choses qui font qu'un jour on est prêt. Mais non, il n’y a pas de points précis. Ce qui m’intéresse, c'est de répondre à ce qui arrive.

Après Du soleil dans mes yeux, votre première réalisation qui était adaptée d’un roman, raconter pour la première fois sa "propre histoire" est-il plus angoissant ou vertigineux ?

NG : C’est une joie, une responsabilité, rarement une angoisse… Plutôt une mission. Mais il n’y a rien de lourd, juste un engagement profond. En fait, c’est une vision :  j'ai écrit ce film avant mon premier film, en 2009 ; à ce moment-là, je n’étais que dans ma vie d’acteur. Il a surgi d'une manière totalement inattendue – est-ce-que c'est une somme de fantasmes ? Je n'en sais rien. En tout cas, il est là.

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Du début à la fin, L’Astronaute est traversé par une dimension métaphysique et poétique : votre personnage accomplit un geste poétique en s’élevant au-dessus des nuages. Comment parvient-on à matérialiser la poésie ?

NG : En étant soi-même. Plus tu embrasses sans maquillage qui tu es, plus tu as de chances de proposer quelque chose qui parlera à tout le monde, sans le savoir vraiment à la base. La poésie ne s'explique pas. Si tu commences à l’expliquer, tu es dans l’ingénierie. Tu n'expliques pas une chose qui te touche, tu la ressens, tu la vis… Pour L’Astronaute, j’ai écrit en pensant à la sonorité des acteurs. À Hélène Vincent, à Hippolyte Girardot, à Mathieu Kassovitz – et tous les autres, évidemment. Je pense à ce qu'ils sont, ce qu'ils incarnent, ce qu'ils vont apporter à ma vision picturale et sonore.

Justement, Mathieu, où en êtes-vous avec cette réflexion sur la position de comédien et cinéaste ? On vous a beaucoup vu en rebelle, or ici, votre rôle est plutôt celui d’une personne bienveillante, aidant le personnage de Jim…

Mathieu Kassovitz : Pour la première, quand je travaille sur des films intéressants, ça me convient. J’ai des projets derrière la caméra, je continue, mais ce sont deux métiers différents : quand on connaît les deux, on décide où on veut aller, au moment où on a envie d’aller. L’un prend plus de temps, l’autre est plus facile.

Pour la seconde, ce qui m’intéressait dans ce personnage, c’est qui m’intéresse dans des gens comme Jean-François [Clervoy, ndlr]. J’ai eu la chance de rencontrer des astronautes français, européen, russe, canadien, américains qui ont chacun une approche différente de l’expérience qu'ils ont vécue. Jean-François a une approche très pragmatique et logique, mais aussi une poésie étonnante chez un technicien scientifique, un pilote de ligne qui n'est pas là pour rire.

Quand j'ai compris qu'il y avait aussi cette place-là, chez les astronautes, pour l’émerveillement et que c’était une des raisons pour lesquelles ils font ce métier, et que c'était bien retranscrit dans le scénario, tout ce que j’ai eu à faire c’était de coller à ça et garder cette sensibilité que je vois chez Jean-François. Celle des gens qui sont sensibles mais ne peuvent pas vraiment l'exprimer parce que ça ne fait pas partie de leur métier. La chance qu’a mon personnage dans le film, c'est de pouvoir échanger sa passion. Jean-François a le besoin de transmission de son savoir, de sa poésie… [à Jean-François Clervoy] C’est essentiel pour toi de pouvoir transmettre ce tu as vécu. C’est ce qu’on a fait avec le film.

Jean-François Clervoy : On va faire rêver tous les gamins. Quand je vais dans les écoles primaires, ils mélangent beaucoup astronomie et astronautique, d’ailleurs : j'ai plus de questions sur les trous noirs ou sur le Big Bang que sur le métier d'astronaute (sourire). Ils rêvent d’aller dans l’espace, mais ils ne savent pas ce qu’est le métier d’astronaute. Même si vous êtes endurci, comme le personnage joué par Mathieu, avec une force de caractère, ça n'empêche pas, devant un jeune passionné, d’éprouver du bonheur à transmettre du savoir, de l’expérience. Et de le préparer aussi à l'expérience humaine, sensible, presque philosophique et spirituelle de ce qu'on va vivre. Ce n’est pas juste apprendre à appuyer sur tel ou tel bouton, il y a un côté humain. Mais tous les astronautes ne sont pas pareil. Comme Jim avec Ribbot dans le film, j’ai eu Story Musgrave qui était considéré comme un alien dans notre milieu, qui pensait tout le temps “en-dehors de la boîte“, en dehors du boulot – un astronaute est un opérateur de machine dans l’espace, c’est que ça.

MK : C’est la façon dont l'Agence spatiale considère un astronaute ?

JFC : C'est le métier. Un astronaute est un opérateur de machines complexes en environnement extrême, hostile confiné, isolé et qui doit communiquer. C’est ma définition.

NG : Il n’y a pas de romantisme…

JFG : Quand on dit que les astronautes “font de la recherche scientifique“ dans l’ISS, il y a un peu de poésie. Mais c’est un raccourci de langage : les astronaute ne font PAS de recherche. Elle est faite par les gens au sol qui attendent qu’on envoie les données ou les échantillons. Nous sommes à 70% les opérateurs des instruments scientifiques et des séquenceurs d'ADN qui sont à bord dans le cas de l’ISS.

NG : Quel recul ça offre sur ta propre humanité !  Jean-François le dit souvent, mais il faudrait que chaque être humain puisse aller là-haut pour mieux aimer la vie, la Terre…

MK : C’est important de pouvoir communiquer cette connaissance rare et essentielle : plus tu te retrouves seul dans l’espace, plus l'humanité entière se résume à toi-même : quand tu regardais ça de là-haut, tu avais conscience de ton humanité, de ta particularité en tant qu'être humain ? Tu n’étais pas au milieu d’une foule…

JFC : C’est clair qu’il y a une connexion particulière. Au premier degré, tout de suite, il y a un complexe de supériorité, parce que visuellement, on domine. Puis rapidement, comme notre vie normale est là et comme la terre est sur un fond noir vide à l'infini du cosmos – on ne voit pas les étoiles parce que l’œil n’est pas adapté – il y a le soleil, la Lune, la Terre et rien d’autre, on a l'impression qu'on est seul, isolé dans l’univers. On tombe amoureux parce que la planète est magnifique, colorée contrastée…

Elle est vivante : elle a sa vie électrique par les aurores ; sa vie climatique par les ouragans ; sa vie tectonique et volcanique ; sa vie cosmique (on voit des impacts d’astéroïdes)… On se rend compte que la terre n’a pas besoin de nous pour survivre. C’est le vivant qu’elle accueille en symbiose depuis des millions d'années qui est fragile, pas elle. De l’espace, on se rend compte qu'on appartient à cette planète qui nous a offert l'occasion d'apparaître dessus – et c'est une chance – uniquement grâce à la diversité et l’interconnexion.

Quel a été le travail pour parvenir à rendre accessible un métier aussi technique et scientifique ?

NG : Ça marche par des filtres…Il ne faut pas perdre de vue le film : ce n’est pas un documentaire, mais je voulais qu’il tienne la route. Ma chance est d'être avec Jean-François qui comprend exactement mon désir de cinéma et rend accessibles ces sphères d'ingénierie qui normalement seraient très difficiles à intégrer. Dès que je voyais qu'il était trop technique, hop, je le ramenais sur mon sentier. Au-delà de ce que l’on partage avec les mots, le cinéma passe à travers un cadrage, à travers la lumière, à travers ce que tu montres et ce que tu ne montres pas, à travers ce qui est dit et ce qui n'est pas dit… C'est ce langage qui fait que d'un seul coup vont apparaître des émotions pour le spectateur. Finalement, tu n’as même pas besoin d'avoir bac + 13 pour te sentir ingénieur au moment où tu vois le film, et c'est ce qui compte.

Le film se distingue par l’ambiance bienveillante qui entoure le personnage de Jim…

NG : Je parlerais plutôt d'intelligence et de passion, car en plus de la bienveillance, il y a de la contrainte, de l'adversité. Il y a surtout de la patience en fait, et de la motricité.

JFC : Et puis ses parents le rejettent, le prof de SUPAERO le rejette ; Ribbot au début…

MK : (à Jean-François Clervoy) Au fait, si un jeune vient te voir en te disant « j’ai un projet, vous voulez bien m’aider », dans le contexte du film, tu irais ?

JFC : Attends, je dis oui à tout. À tel point que j’ai un morceau de lune implanté dans le bras ! Il y a des gens vraiment “space“ comme l’on dit qui sont venus me voir ; je n’ai jamais su dire non quand j’ai senti qu’ils étaient passionnés par leur domaine et qu'ils avaient vraiment besoin que je réponde à des questions auxquelles ils n'avaient pas la réponse.

MK : Tu aurais fait la même chose que Ribbot avec Jim ? Tu les aurais poussés en sachant qu’ils avaient une chance sur trois de mourir ?

JFC : Dans la situation où est Ribbot, n’ayant plus de compte à rendre à personne, oui.

MK : Pourtant, c'est des mecs éduqués dans les respects des règles, du droit, de la technique ; ils ne pas peuvent prendre de liberté parce qu'ils mettent en péril tout un système ; malgré tout le fait de les envoyer là-haut et de leur révéler cette beauté universelle, ça les rend poètes. Il y a que Jean-Pierre Haigneré…

JFC : Il ne veut pas lâcher une larme !

NG : Eh bien, il a pleuré pendant la projection…

Nicolas Giraud est-il un réalisateur exigeant ?

MK : Oui (rires) N'importe quel bon réalisateur est exigeant. N'importe quelle personne qui a un projet doit être exigeante avec elle-même. Je ne savais pas à quoi ressemblait le film avant d'être allé le voir au cinéma. Mais tu vois l'exigence de quelqu'un sur le terrain ; tu ne sais pas très bien vers quoi est dirigée cette exigence, si elle est bien dirigée ou pas… On est obligé de faire confiance.

JFC : Pour le métier de réalisateur comme celui d’astronaute, il y a un sens de l'engagement à vouloir faire le meilleur possible.

MK : C’est pas la même chose, parce que vous n’avez pas d'ouverture créative. Vous devez respecter des trucs et être meilleur, plus performant. Vous vous mettez dans la situation de de pouvoir dormir moins, de pouvoir travailler plus, d’être plus précis… La seule différence, c'est que vous vous autorisez à un moment à toucher une poésie absolument sublime. Nous, on est obligés d'être créatifs. Ils ne vous autorisent pas à être créatifs, vous êtes créatifs par votre propre besoin humain de découvrir cet endroit. Mais l'angoisse de la NASA ou de l’ESA, c'est que d'un coup vous deveniez créatifs.

NG : C’est ce que ton personnage, Ribbot, fait. Il n'écoute plus.

MK : Mais si tu es créatif en tant qu’astronaute, tu es viré ?

JFC : Oui.

Pour être prosaïque, L’Astronaute, avec son petit budget, a une vocation de cinéma total digne des grandes productions — de la même manière que la fusée de Jim concurrence celles lancées de Kourou…

NG : C’était mon souhait, c'était mon espérance. J'ai mis toute mon énergie pour arriver à ça. Ce dont vous parlez, c'est l'expression de la passion du cinéma. Je n’avais pas envie de faire un petit film français en train de chuchoter. On peut être délicat et parfois oser prendre la voix – humilité, ambition et je soude les deux.

Qu’est-ce qui pousse un réalisateur à continuer de jouer ?

MK : (laconique) Les impôts.

NG : J’adore parce qu’il est honnête.

MK : Ça gagne beaucoup plus que réalisateur, c'est beaucoup moins de travail et de responsabilités. Il y a un confort absolu en tant que réalisateur mais au moins, si t'as la chance de faire des métiers comme ça, il y a un moment où tu as envie de lâcher une larme d'un côté et de profiter du plaisir se faire masser les pieds tous les jours et d'être  payé une fortune pour ne rien faire.

Évidemment, faut être un petit peu logique mais la passion, le sang, les veines, l'adrénaline ne viennent que dans le travail. Il y a quelques moments d’adrénaline dans le travail d’acteur parce que tout d'un coup tu as la chance d'avoir une scène très forte avec un dialogue très fort avec un autre acteur très fort où tu peux donner quelque chose de personnel mais c'est très rare. La majeure partie du temps, les dialogues sont des informations et ce n’est pas très important. Donc tu ne prends pas beaucoup de plaisir créatif en tant qu’acteur. En tant que créateur si, mais ça prend beaucoup, beaucoup, beaucoup d’énergie.

Je déteste ce métier absolument — pour moi, pour ma construction personnelle. Je n'apprends rien en tant qu’acteur, c’est une perte de temps.

NG : Mais qu’est-ce que tu le fais bien…

MK : Oui, mais parce que j'en ai rien à foutre. C'est pour ça que je trouve que c'est une arnaque encore pire, parce que moins t'en as à foutre, meilleure t’es, et plus tu désacralises.

NG : C’est terrible et en même temps c'est intéressant.

MK : Si je n’avais été qu’acteur, je ne dirais pas la même chose. Mais je suis réalisateur. Quand je suis comédien sur un film, je suis fou furieux parce que je n’ai rien à foutre. Hier, je me suis engueulé avec le premier assistant parce qu’il m’a fait venir 1h30 en avance. Alors que si je viens à la régie pour une journée de 14h en étant payé 100 fois moins que moi en tant qu’acteur, je travaille. C’est plus passionnant. Un acteur, c’est une machine à laver, c’est rien.

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