Loi Kasbarian : les squats dans le viseur

Contre-culture / Adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale et le Sénat, une proposition de loi aggravant les sanctions à l’encontre des squatteurs pourrait être promulguée dans les mois qui viennent. Le 28 janvier, 150 à 200 personnes manifestaient leur désaccord à Grenoble. L’occasion de revenir sur la pratique du squat, qui a permis à des collectifs d’ouvrir de nouveaux lieux socio-culturels.

À côté de la réforme des retraites, la proposition de loi du député Renaissance Guillaume Kasbarian passerait presque inaperçue. Adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale en décembre et par le Sénat le 2 février dernier, cette loi dite "anti-squat" vient modifier l’article 226-4 du Code Pénal réprimant « l'introduction dans le domicile d'autrui à l'aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte », en aggravant la peine encourue : 3 ans de prison et 45 000€ d’amende contre 1 an et 15 000€ dans la version actuellement en vigueur. Elle étend également ce délit aux logements non-meublés et concerne par ailleurs les locataires qui se maintiennent dans un logement malgré une procédure d’expulsion définitive. En cas d’impayés de loyer, la proposition de loi, qui doit maintenant repasser devant l’Assemblée nationale, accélère et facilite les procédures pour le bailleur. « C’est une loi qui va être saluée par les petits propriétaires, mais aussi tous les Français qui ne supportent plus de voir dans le journal ou à la télé des affaires de squats ou de locataires qui ne payent plus pendant des années », estimait Guillaume Kasbarian sur BFMTV.

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Une loi qui rogne donc les droits du locataire mais vise aussi spécifiquement la pratique du squat. Méconnue, donc fantasmée, celle-ci reste très marginale en France (« entre 150 et 200 cas par an », selon le député) et jouit d’une image peu flatteuse dans l’opinion publique. Ce qui a le don d’exaspérer les membres du centre social Le 38, rue d’Alembert. Ce collectif a squatté pendant huit ans un bâtiment à l’abandon avant d’être conventionné par la Ville de Grenoble en février 2022 : « Il y a cette fausse idée que les squatteurs occupent le logement principal d’autrui, mais les rares fois où cela arrive, ils sont expulsés immédiatement ; c’est impossible de faire ça aujourd’hui. Il s’agit plutôt d’investir des lieux où personne n’habite, des endroits qui sont souvent sales et insalubres d’ailleurs. La loi Kasbarian opère une inversion en pénalisant ceux qui n’ont pas d’argent et qui squattent pour se loger ou pour expérimenter des choses, tout en victimisant les propriétaires qui, eux, ne manquent pas de moyens. Au lieu de se demander pour quelles raisons les gens squattent, on préfère punir. » Au 38, les activités sont nombreuses (et à prix libre), de l’atelier de réparation de vélo au cours de kung-fu. Le lieu propose également un magasin gratuit, offre un repas le samedi midi sur la place Saint-Bruno et organise parfois des événements artistiques (concerts, spectacles, projections…).

Un outil de revendication

Dans les communes de Grenoble Alpes Métropole, on compte actuellement 3700 logements vacants depuis plus de deux ans, un chiffre en hausse constante depuis 2008. D’un autre côté, en 2019, l’Insee recensait 4280 ménages "logés gratuitement" par un tiers dans la métropole, ce qui constitue la plupart du temps un hébergement contraint. Face à ce genre d’aberration, depuis plusieurs décennies, certains collectifs repèrent des espaces abandonnés, des friches industrielles par exemple, dans le but d’ouvrir de nouveaux lieux – d’hébergement ou non – à vocation sociale, culturelle ou artistique, en indépendance totale vis-à-vis des pouvoirs publics. « Le squat, à la base, est un outil d’action et de revendication de droit au logement. À partir de ça, des personnes se sont dit qu’on pouvait aussi faire de l’art, créer et vivre autrement en étant en rupture avec le système et la logique de profit. Certains sont occupés illégalement, mais d’autres sont loués ou ont des conventions avec la municipalité. Le caractère commun, c’est l’autogestion avec une prise de décision collective et le refus de toute subvention », explique Clara Perrier, qui a signé en 2020 un mémoire de recherche sur les squats grenoblois à l’Université Grenoble Alpes.

L’âge d’or des squats

Ouvert en 1983 dans une ancienne cartonnerie située rue d’Alembert, le 102 est emblématique de cette pratique du squat. Il est en quelque sorte le vestige d’une époque où les squats socio-culturels fleurissaient à Grenoble, spécialement dans le quartier Berriat où tant d’usines à l’arrêt sombraient dans la décrépitude. Au cours des années 1990/2000, les activités artistiques en marge des institutions s’épanouissent au Brise-Glace, aux 400 couverts, au Crocoléus, au Tapavu, à la Barak… En 1992, l’artiste Xavier Quérel cofonde le laboratoire de cinéma expérimental MTK au 102, une aubaine : « On a organisé une première séance de cinéma au printemps 1990 : impossible de faire rentrer tout le monde dans la salle, c’était archi-blindé ! Du coup, on a recommencé. Et puis on a installé notre labo au premier étage. Avant ça, on développait les films dans notre salle de bain… » Lorsqu’il évoque ces souvenirs, Xavier Quérel, qui ne travaille plus au 102 depuis longtemps, est pris d’une certaine nostalgie : « Y’avait vraiment des squats partout, et ce qui était bien c’est que ça circulait entre les lieux, il y avait des collaborations, même si chacun avait son identité. »

L’indépendance à tout prix

Le 102 est le premier squat du genre à être conventionné par la Ville en 1993, sans pour autant céder une miette de son indépendance : « La mairie a pas mal fait pression sur le 102, notamment pour imposer des vigiles à l’entrée. Mais ils ont dit non. Ils se sont vraiment battus pour garder toutes leurs valeurs premières, ils ont tenu tête face à une mairie qui a voulu s’immiscer un peu dans la gestion du lieu », raconte Clara Perrier. Le 102 aurait-il perduré sans cette convention ? En tout cas, tous les autres squats du quartier ont disparu depuis… Mais pas les artistes, ni les problèmes de logement. « Ça a bien changé aujourd’hui… D’un côté, il y a le fait que les collectifs s’épuisent un peu. De l’autre, il y a la pression immobilière, c’est-à-dire la gentrification », regrette Xavier Quérel, avant de revenir sur la loi Kasbarian : « Ok pour une loi qui facilite le délogement des gens qui occupent sans titre un lieu mais, à ce moment-là, faisons le pendant. Puisque ça va être plus facile de les virer, autorisons les gens à occuper des lieux vides, pénalisons les propriétaires de lieux vides aussi ! Nous, on s’est toujours sentis légitimes quand on squattait le bâtiment du 102. Utiliser un bâtiment, vide depuis des années, pour y organiser des activités, des ateliers d’artiste ou des logements, c’est du bon sens. » Sentiment partagé par le collectif du 38 : « Pour ouvrir des espaces favorisant la solidarité inconditionnelle tout en menant des luttes anticapitalistes en totale indépendance, squatter est la seule possibilité. Si on est conventionné aujourd’hui, c’est parce qu’on a squatté au départ. »

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