Lyon / Même en l'absence de documentaire lui étant consacré, l'Institut Lumière, à Lyon, a la bonne idée de lancer son 10e festival Sport, Littérature et Cinéma avec Jeannie Longo. Populaire toujours et en avance sur son temps.
Peut-être faudrait-il commencer par un mea culpa. On a plus regardé pédaler Stephen Roche, Greg LeMond, Pedro Delgado, Miguel Indurain et surtout Claudia Chiappucci que Jeannie Longo. Pourtant, avec les trois premiers, elle a remonté les Champs-Élysées, main dans la main, vainqueure comme eux du Tour de France. C'était en 1987, 1988 et 1989. Championne de France 59 fois entre ses débuts en 1979 et 2011, cinq fois championne du monde sur route, quatre fois en contre-la-montre et trois fois sur piste (en poursuite), Jeannie Longo cumule 1278 victoires dont un titre olympique sur route en 1996. Quelques médailles d'argent et de bronze aussi en sept participations, dès que la compétition fut ouverte aux femmes au pays de Coubertin ; cétait à Los Angeles en 1984. Elle a alors presque 26 ans. Depuis, sa longévité a relégué les Duclos-Lassalle (père) ou Valverde à des quasi flemmards qui, devenus quadra, raccrochent. À la vitesse où vont les carrières, dans quel état seront Evenepoel et Pogacar à pareil âge ?
À la place de n° 2 d'un trio de filles, entourée d'une mère instit' et d'un père entrepreneur en travaux public, Longo n'aime rien tant que ses montagnes de Saint-Gervais et le ski qu'elle pratique jusqu'en 1985 et grâce auquel elle rencontre celui qu'elle épouse la même année, un 24 décembre car « c'est le jour qu'il avait de libre », Patrice Ciprelli. Il sera son entraineur attitré, hors de la fédération avec laquelle elle sera sans cesse en conflit parce qu'elle préfère choisir son matériel (au détriment des accords passés avec d'autres équipementiers), se détourne des stages collectifs, des logements en groupe à l'hôtel — elle préfère les gîtes chez l'habitant « où on peut rencontrer les gens »... et in fine de ses coéquipières.
Hors système
Malgré tout, jusqu'à il y a peu, le cyclisme féminin ne se définissait que par elle. Celle qui se décrit comme pessimiste battante, ordinaire, perfectionniste, anarchiste (!), authentique, nostalgique (elle déteste les oreillette – « c'est nul » –, n'a pas de smartphone) n'embellit pas le récit en rappelant que quand elle est « arrivée dans cette discipline, les femmes n'existaient pratiquement pas » contrairement au tennis où « les femmes sont à l'honneur ». Question de classe sociale sûrement. Pour être Suzanne Lenglen, il faut du travail certes, mais aussi du terrain privé dans le cottage bourgeois de la côte basque ou azuréenne. Le bitume suffit au cycliste.
« Petites naines du macadam » par opposition aux « Géants de la route » comme elle l'écrit avec habileté, les femmes ont cruellement manqué de reconnaissance à vélo. « Quand ils font preuve de tempérament, on dit des champions masculins qu'ils ont du caractère mais une femme qui montre autant d'audace a un caractère de "bonne femme" ». En témoigne cette passe d'armes entre un Marc Madiot (et aussi Laurent Fignon), jeune champion lui répétant, en 1987 : « Une femme qui fait du vélo c'est moche. Y a des sports qui sont masculins, d'autres qui sont féminins. » Fermez le ban.
Bonne joueuse, elle dira dans une interview parue dans L'Équipe l'été dernier que « Marc a changé, lors d'un des derniers championnats de France que j'ai gagné il est venu m'encourager sur le bord de la route » et de confier elle-même dans sa bio : « mon père regardait le Tour de France à la télé et ça m'énervait, je trouvais que c'était inesthétique pour les femmes, je dois le confesser ! » Mais elle sera à sa manière visionnaire : ultra contrôle de ce qu'elle mange (des huiles essentielles, du bio, du local, on ne dit pas encore "circuit court"), refus de sponsors dont elle ne serait pas en accord avec les valeurs, contestation des étapes trop longues car ennuyeuses...
Elle plébiscite la décroissance des cérémonies d'ouverture des JO, fustige le fait que le sportif passe au second plan de l'événement (le foot ne se déroulait pourtant pas encore au Qatar). Évidemment, dans sa biographie, elle fait l'impasse sur son contrôle positif à l'éphédrine en 1987, de ses manquements à l'obligation de localisation effacé par la fédé ; et encore plus de la condamnation de son mari pour achat d'EPO (dont il n'a jamais été démontré qu'elle puisse en avoir bénéficié), car celle-ci est prononcée en 2011, un an après la sortie de son livre. Elle dit juste que « comme Lance Armstrong, on ne peut pas être populaire si on gagne tout ». Cette même année, selon un sondage pour L'Équipe Mag, elle est la sportive préférée des Français. Et ajoute-t-elle avec justesse : « la FFC n'a pas un poids financier extraordinaire. Bien des affaires sont étouffées dans d'autres disciplines, il n'y a pas plus de dopage dans le cyclisme que dans d'autres sports ».
Précurseuse
Si dans L'Équipe le 30 juin dernier, l'ancienne championne et concurrente, Catherine Marsal affirmait avec véhémence que Longo n'avait « rien transmis, son savoir était le plus grand secret et du coup, elle n'a créé aucune vocation », force est de constater que désormais le cyclisme féminin se structure. L'Iséroise, qui a tenté de monter une équipe avec son époux, était sur la photo de départ de la Grande Boucle féminine version 2.0, aux côtés de Marion Rousse en juillet dernier. La consultante télé (hors pair !), ancienne championne, directrice de l'épreuve et compagne du double champion du monde Julian Alaphilippe (et oui leur vie est instagrammée) confiait d'ailleurs à Pédale ! récemment : « C'est fort quand même ce qu'elle a réussi à faire dans un monde où on ne parlait pas de vélo féminin : tu vas dans la rue, tu parles de Jeannie Longo, tout le monde la connaît. C'est un truc de fou et je la respecte beaucoup pour ça. »
Dur, incroyablement exigeant, le cyclisme est « le seul sport qui vous permet de découvrir un pays. C'est pour ça que j'ai duré 30 ans ! » écrit, prosaïque, l'inoxydable.
Rencontre avec Jeannie Longo
À l'Institut Lumière (Lyon) le mercredi 8 mars à 18h30
Festival Sport, Littérature et Cinéma
À l'Institut Lumière (Lyon) du mercredi 8 au samedi 11 mars