Vendredi 9 juin 2023 Avant la présentation de saison au public prévue jeudi 15 juin à 19h30 et l’ouverture de billetterie du samedi 17 juin à 13h, on détaille une partie de ce que l’on pourra voir entre septembre 2023 et mai 2024 sur les différentes scènes de la MC2. Et...
De Grandes Espérances, de Sylvain Desclous : Les dents longues
Par Vincent Raymond
Publié Lundi 13 mars 2023
Photo : ©The Jokers
Le film coup de cœur / Un jeune couple en chemin vers les hautes sphères se trouve mêlé à un fait divers l’obligeant à confronter ses idéaux à la morale et à la justice. Sylvain Desclous signe un thriller doté d’une distribution parfaite dynamitant les hypocrisies, compromis et compromissions des politiciens de métier.
Révisant l’oral de l’ENA dans la luxueuse résidence corse des parents d’Antoine, son compagnon, Madeleine se voit déjà dans un ministère où elle pourra mettre en pratique ses grandes idées de gauche. Mais un événement inattendu vient chambouler le programme : une embrouille causée par Antoine avec un insulaire, conduisant Madeleine à commettre un geste fatal. Désormais liés par le sang et le silence, les deux jeunes gens doivent composer avec leur conscience. Mais aussi leurs ambitions respectives…
On prête à Édouard Herriot un aphorisme certes trivial mais ô combien parlant : « La politique, c'est comme l'andouillette, ça doit sentir un peu la merde, mais pas trop ». À l’image de Cloaca de Wim Delvoye, De Grandes Espérances montre de manière transparente comment la politique peut transformer des individus en apparence normaux en fumiers – certes, d’aucuns présentent des prédispositions naturelles – ou salir ce qu’il y a de pur et d’intègre en eux. Remarquablement écrit, ce film de Sylvain Desclous agit en deux couches ; deux styles de thriller qui vont usiner psychologiquement Madeleine et Antoine. À une première partie anxiogène, flirtant avec le réalisme magique, succède une seconde plongeant dans le marigot des intrigues et des coups bas. Tout sonne juste.
à lire aussi : Mars : Portraits de femmes
Illusions perdues
Depuis L’Exercice de l’État (2011) de Pierre Schoeller, on n’avait pas vu de "fiction" disséquer de manière aussi subtile les arcanes torses de la Ve République… Ainsi que le dévoiement de ces grands corps chargés de permettre à l’État d’assurer la pérennité de son fonctionnement démocratique. Prenons l’ENA : censée former des serviteurs dévoués à l’intérêt général pour qui le pouvoir doit être un moyen et non une fin, elle sert désormais de rampe de lancement aux ambitieux avides de détenir un maroquin le plus tôt possible.
Ici, il devient même inutile de réussir son fameux concours pour accéder au sérail politique : l’entregent fait office de diplôme, la reproduction des élites court-circuite la méritocratie. Et que dire de l’idéologie ! L’action publique est guidée par des personnalités politiques n’incarnant pas des choix de société mais des individus interchangeables aux opinions d’une effrayante plasticité.
Dans De Grandes Espérances, Madeleine et Antoine (excellent duo Rebecca Marder-Benjamin Lavernhe), en apparence philosophiquement proches, se retrouvent ainsi à œuvrer chacun pour des projets sociétaux opposés ; est-ce à ce moment que leurs chemins se séparent ? L’une est une transfuge des classes populaires (ayant déjà du mal à renouer avec son milieu d’origine) devant son élévation à "l’ascenseur social", l’autre baigne dans le confort bourgeois ; l’une est portée par des aspirations collectives, l’autre vise son statu quo personnel ; l’une est encore ingénue, l’autre déjà cynique. En fait, les différences d’orientations idéologiques s’ajoutent à des différends structurels beaucoup plus profonds.
à lire aussi : Jennifer Devoldère, Melvin Boomer & Karin Viard (Sage-Homme) : « Tu ne peux pas faire ce film sans parler de l'état de l'hôpital »
En parallèle de leur baptême du feu empreint d’une forme de candeur excusable, Sylvain Desclous dépeint l’itinéraire d’une députée rompue au métier, pourtant aussi ductile que les autres. Emmanuelle Bercot l’interprète avec une crédibilité stupéfiante – et l’on pourrait mettre mille noms derrière son personnage : législature après législature, on a tant observé de parlementaires jadis indéfectiblement liés à leur parti troquer leur écharpe contre un plat de lentilles – enfin, contre quelque strapontin ministériel. Feignant de croire qu’ils garderont intactes leurs convictions, ils osent parfois proclamer (vaste blague) que leur hochet d’idiot utile leur permettra d’agir plus efficacement (“de l’intérieur”) sur le système. Les promesses n’engagent que ceux qui y croient.
★★★★☆ De Sylvain Desclous (Fr., 1h45) avec Rebecca Marder, Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot… Sortie le 22 mars
pour aller plus loin
vous serez sans doute intéressé par...
Mardi 18 janvier 2022 Portrait inattendu et délicat d’une apprentie comédienne sous l’Occupation rempli d’éclats autobiographiques discrets, le premier long métrage de Sandrine Kiberlain est surtout un exceptionnel exercice de réalisation. Rencontre avec une jeune...
Mercredi 16 juin 2021 C’est l’histoire d’un énième repas de famille auquel Adrien assiste alors que son esprit divague. Car la seule chose comptant pour lui à ce moment précis, (...)
Mercredi 16 juin 2021 À l’écran, on l’a connu odieux (Le Sens de la fête), irrésistible de drôlerie (Mon inconnue), fuyant (Antoinette dans les Cévennes) mais à chaque fois impeccable. Benjamin Lavernhe, de la Comédie Française, poursuit sur sa lancée en tenant...
Mardi 8 septembre 2020 Si le festival de Cannes avait eu lieu en mai comme il se doit, on aurait vu Patrick, l’un des protagonistes du nouveau film de Caroline Vignal (...)
Mardi 23 juin 2020 De Zoé Wittock (Fr.-Bel-Lux., 1h33) avec Noémie Merlant, Emmanuelle Bercot, Bastien Bouillon…
Mardi 21 janvier 2020 De Arnaud Viard (Fr., 1h29) avec Jean-Paul Rouve, Alice Taglioni, Benjamin Lavernhe…
Mardi 3 septembre 2019 Dans "Fête de famille", film de Cédric Kahn, l’une est une mère fuyante, l’autre une fille hurlante. Pas étonnant qu’elles n’arrivent pas à communiquer. Mais ici, les deux comédiennes Catherine Deneuve et Emmanuelle Bercot dialoguent sans peine.
Mardi 3 septembre 2019 Un seul être revient… et tout est dévasté. Cédric Kahn convoque un petit théâtre tchekhovien pour pratiquer la psychanalyse explosive d’une famille aux placards emplis de squelettes bien vivants. Un drame ordinaire cruel servi par des interprètes...
Mardi 2 avril 2019 De Lou Jeunet (Fr, 1h47) avec Noémie Merlant, Niels Schneider, Benjamin Lavernhe…
Mardi 2 avril 2019 De Hugo Gélin (Fr-Bel, 1h58) avec François Civil, Joséphine Japy, Benjamin Lavernhe…
Mardi 8 janvier 2019 De Sébastien Marnier (Fr, 1h43) avec Laurent Lafitte, Emmanuelle Bercot, Pascal Greggory…
Mardi 22 novembre 2016 de Emmanuelle Bercot (Fr., 2h08) avec Sidse Babett Knudsen, Benoît Magimel, Charlotte Laemmel…
Mardi 3 mai 2016 Après plusieurs courts, le cinéaste se lance dans le long-métrage avec "Vendeur" mais conserve son attachement pour les personnages cabossés, nouant avec leur travail des relations ambiguës…
Mardi 3 mai 2016 de Sylvain Desclous (Fr., 1h29) avec Gilbert Melki, Pio Marmai, Pascal Elsoplus…
Mardi 12 mai 2015 Portrait d’un adolescent en rupture totale avec la société que des âmes attentionnées tentent de remettre dans le droit chemin, le nouveau film d’Emmanuelle Bercot est une œuvre coup de poing sous tension constante, qui multiplie les points de vue...
Lundi 21 octobre 2013 Le triomphe de "Gravity" sonne pour Alfonso Cuarón les cloches d’une renommée tardive, après pas mal de rendez-vous manqués.
Christophe Chabert
Lundi 27 février 2012 De Jean Dujardin, Gilles Lellouche, Michel Hazanavicius, Emmanuelle Bercot, Éric Lartigau, Alexandre Courtès, Fred Cavayé (Fr, 1h48) avec Jean Dujardin, Gilles Lellouche…