Jean Dujardin & Denis Imbert (Sur les chemins noirs) : « Il n'était pas question de singer Sylvain Tesson »

Sur les chemins noirs  / Adaptation du récit éponyme de Sylvain Tesson, "Sur les chemins noirs" renomme le narrateur-marcheur de Sylvain à Pierre et permet à Jean Dujardin de composer un personnage à la croisée des routes entre le modèle et l’interprète. Rencontre avec l’acteur et le réalisateur, Denis Imbert.

Est-ce une thérapie d'entreprendre un film de cette nature ?

Jean Dujardin : J’ai toujours l'impression que c'est une thérapie, une petite psychanalyse quand on marche – en tout cas, j’ai remarqué que marcher avec des amis est un truc qui me fait du bien. À cinq ou six, ça crée des combinaisons assez intéressantes : il y en a deux qui parlent derrière de la condition de mari, d’homme, de père ; deux autres devant ; un qui marche comme une chèvre des montagnes… Ça peut aider.

Dans ce cas-là, j'étais content que ça arrive, que Denis m'appelle et me dise qu'il adaptait un truc que je ne pensais pas adaptable – j’avais lu le bouquin. Et le fait est que j’attendais quelque chose comme ça : traverser des régions, déshabiller un peu mon jeu, d’être un peu plus détendu et faire un film comme si on n’allait jamais le montrer, presque. J’exagère un peu mais c’était un moyen de faire le point – j’ai 50 ans cette année – tout en continuant mon métier.

Il y a toutefois deux Pierre dans le film : le premier, plus conforme à ce que vous jouez d’habitude et le second, après l’accident et sur les sentiers noirs, qui est réellement "déshabillé"…

JD : Arrogant ? (rires) Un personnage épicurien en tout cas ; ce qu’a été Sylvain – ce n’est pas forcément moi qui ai décidé de le faire, c'est aussi ce qu'on m’en a raconté. Il en convient d’ailleurs. Il sait qu'il a joué avec les limites. C'est une question que je lui ai posée : « Pourquoi est que vous montez tout le temps en l’air, Sylvain Tesson ? Pour avoir un autre point de vue ? — Non, c’est parce que je suis mortel et vu que je suis mortel, je sais que je suis mortel, je peux mourir dans la seconde, je me sens éternellement vivant. » Alors il y en a qui sont sages, d’autres qui se brûlent.

Denis, Jean pensait le livre inadaptable ; justement, comment avez-vous travaillé son adaptation avec Diastème, et comment avez-vous partagé la collaboration ?

Denis Imbert : Au départ, avant le livre, j’ai eu accès aux photos de Thomas Goisque qui l’a suivi pendant son parcours. Et je vois cet homme affaibli, amaigri, et je trouve que déjà il y a une donnée très romanesque dans ce personnage. Suit le livre et là je suis totalement séduit : je sens qu'il y a un film derrière. Avec Diastème, j'avais besoin d'un scénariste qui soit écrivain : je savais que ça ne suffisait pas d'avoir une bonne méthode d’écriture – le postulat de départ, le climax de fin etc. J’avais besoin de quelqu'un qui puisse rentrer dans la littérature, en quelque sorte. Il a beaucoup "épuré" le livre en allant chercher des passages qui nous évoquaient vraiment des séquences qu'on pouvait scénariser derrière. Et moi j'ai travaillé sur le spectre de "l’autre temporalité" : sa vie d’avant, son rapport avec ses amis, sa famille… On s'est un peu réparti les choses de cette manière.

Dans la construction du personnage, le costume (qui est quand même assez particulier pour quelqu’un qui marche) et la cicatrice ont le même statut pour vous ?

JD : Ça été une question, hein ! Il n’était pas question de singer Sylvain Tesson ; donc comment signifier la douleur physique – sachant que c'est quand même la douleur morale qui m'intéresse plus dans ce projet-là ? Il fallait la signifier, donc on est passé par des essais puis on finit par des espèces de balafres, ces trucs, ce visage près du sol ; ce même sol qui va permettre de me réparer… – OK ça me raconte un truc.

Pour la chemise, on est parti des photos. Au début, je lui ressemblais beaucoup beaucoup. On a gardé la chemise blanche, le chèche, le gilet qu’il a souvent…  Et puis on s'est dit c'est ça, on ne touche plus à rien. Est-ce que ça me donne un coup de main, est-ce que ça m'aide ?

Sur le côté "rigide" du personnage…

JD : En fait, ce que j’avais, c'est surtout le sac, qui m'a permis de me compresser, de m'enrouler et de rester en moi et d'avoir de petits pas comme en montagne – je sais qu’il faut marcher lentement et que Sylvain était très à l'affût de ses pas pour que ça soit crédible. Il regardait mes pas : « De bons pas – le pas d’un mec qui parti depuis longtemps et pour longtemps. » J’ai de bonnes béquilles, sans jeu de mots : les bâtons, le sac, le costume…

DI : Ce qui est étonnant, c'est que je me souviens très bien des premiers essais costumes. Le costume est sur un cintre ; on a les photos de Thomas Goisque comme référence mais ce costume, c’est rien, un accessoire. Et Jean essaie la chemise, le gilet autrichien. Moi, je ressemble à rien si je mets ce costume mais là, d’un coup, il y a un personnage qui se crée avec la casquette – sans doute trop proche au début, donc on s’en est écarté. Mais ça fonctionne dans le film, ça lui donne un côté romanesque. Et je n’avais du tout envie d’habiller ce personnage en…

JD : …en Quechua (rires)

DI : Il fallait qu’il se fonde dans le paysage et, bêtement, ça aide. C’est presque intemporel, ça nous aide à nous évader. Ça nous éloigne de la réalité. Il y a du panache.

Sylvain Tesson est venu sur le tournage. En tout et pour tout, combien de temps est-il resté à vos côtés ?

JD : Il est venu au début, deux-trois fois… Début, milieu, fin. Cantal et la Hague. Le temps de fumer un cigare. Le temps d’être bien…

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