"À mon seul désir" de Lucie Borleteau : La femme d'à côté

Le film coup de cœur / Voyage au cœur (et en corps) d’un désir féminin, le nouveau Lucie Borleteau explore la mécanique de séduction amoureuse à travers ses jeux, ses rituels spectaculaires, ses transactions vénales, ses possibilités multiples et les aléas de sa réciprocité. Plus que troublantes, Louise Chevillotte et Zita Hanrot y sont renversantes. Prix du public et du Pass Culture lors du festival Écrans Mixtes 2023.

Poussée par une irrépressible curiosité, une jeune thésarde passe les portes d’un club de strip-tease parisien et assiste avec fascination au spectacle des artistes se produisant devant un public composé majoritairement d’habitués. Même si les cachets sont modestes, Aurore franchit le pas et se lance à son tour, créant ses numéros en solo ou en duo avec Mia – qui, elle, aspire au métier de comédienne. Augmentant ses émoluments en accordant des danses en cabine privée (mais sans contact), elle découvre qu’elle peut gagner davantage, et prendre plus de plaisir, en devenant escort. Mais à quel prix ?

Il y aura toujours des pisse-vinaigre hostiles pour trouver à redire au sujet de ce film parce qu’il porte un regard sensuel et esthétique sur des femmes se dénudant

Il y aura toujours des pisse-vinaigre hostiles pour trouver à redire au sujet de ce film parce qu’il porte un regard sensuel et esthétique sur des femmes se dénudant ; parce qu’il montre des travailleuses du sexe vivant leur condition non comme un asservissement mais un choix libre et consenti – voire une étape dans leur parcours intime où joie et plaisir ne sont pas exclus – sans culpabilisation ni apologie. On peut même imaginer qu’il sera reproché à À mon seul désir d’avoir été écrit et réalisé par des femmes commettant le crime de perpétuer la marchandisation du corps féminin ! Laissons éructer les auto-proclamé(e)s gardien(ne)s de la vertu pudibonde… et se priver de facto d’un point de vue alternatif, où la protagoniste va au bout de ses fantasmes et s’émancipe sans tomber dans le mortifère schéma moralisateur judéo-chrétien "plaisir assouvi = déchéance + punition". S’il est dans ce film encore question de convoitise et d’envie, comme dans le précédent long de Lucie Borleteau, on se situe à mille coudées au-dessus de sa (trop) fade adaptation téléfilmesque du sage Goncourt de Leïla Slimani, Chanson douce : le romanesque cinématographique l’emporte ici, dans une efflorescence de variations et de suggestions. Le cortex est autant émoustillé que l’œil.

Chairs inconnues

Ouvrant le film dont elle est la narratrice, le personnage secondaire d’Elody – elle surgira en pointillé dans le récit – rapporte l’histoire d’Aurore et Mia au public du club de strip-tease, à laquelle elle a assisté en tant que témoin privilégiée mais qu’elle relate comme s’il s’agissait d’un conte… avec ce que cela comporte de projections imaginaires – Aurore n’est-il pas, d’ailleurs, le prénom de la Belle au bois dormant ? Au passage, Elody n’est pas sans rappeler Madame Jouve dans La Femme d’à côté ; quant à Aurore, son appétit de séduction évoque celui du Bertrand Morane de L’Homme qui aimait les femmes. Deux réminiscences truffaldiennes parmi d’autres, convoquant le seul cinéaste de la Nouvelle Vague à opérer sans complexe (comme Aurore) un compromis entre sexe et intellect, à la différence d’un Rohmer convertissant en interminable joute érudite le passage à l’acte charnel pour mieux l’éluder.

Lucie Borleteau élude d’autant moins les scènes de théâtre érotique ou de sensualité qu’elle renouvelle à chaque séquence par sa mise en scène les interactions entre personnages, battant en brèche les stéréotypes d’une représentation inéluctablement pornographique du sexe. L’étonnante "plasticité" de Louise Chevillotte, qui peut sembler d’une discrétion totale et d’un clin de cil se métamorphoser en femme fatale absolue, est sans conteste l’une des clefs de la réussite du film – comme de tous ceux auxquels elle apporte son concours. Quel duo avec Zita Hanrot ! Un dernier mot pour mentionner l’implication joyeuse de la réalisatrice qui s’offre un caméo-signature culotté dans un final lui aussi enjoué et cependant non dépourvu d’émotion. La chair est triste, pensez-vous ? C’est que vous n’avez pas vu tous les films.

★★★★☆ De Lucie Borleteau (Fr., int.-12 ans, 1h57) avec Zita Hanrot, Louise Chevillotte, Laure Giappiconi, Melvin Poupaud… En salle le 5 avril

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