Jeanne Herry (Je verrai toujours vos visages) : « Chacun se répare et répare les autres et se répare en se réparant… »

Je verrai toujours vos visages
De Jeanne Herry (Fr, 1h58) avec Adèle Exarchopoulos, Dali Benssalah, Leïla Bekhti

Je verrai toujours vos visages   / Pour son troisième long-métrage, Jeanne Herry s’intéresse à une étonnante alchimie : la rencontre entre coupables et victimes dans le cadre de la justice restaurative. Un processus qui donne matière à réflexion cinématographique et révèle sa méthode de réalisation. Conversation.

Comment avez-vous découvert l’existence de la justice restaurative, mise en place par des associations des victimes et l'administration pénitentiaire ?

Jeanne Herry : J’étais en train de me documenter globalement dans le monde judiciaire qui m'a toujours beaucoup intéressée depuis je suis enfant, peut-être pour essayer de faire un film de procès, et par le biais d'un podcast j'ai découvert l'existence de la justice restaurative. J'ai trouvé ça passionnant : ça a allumé un feu, vraiment. J’ai eu envie de comprendre ce qu’était ce dispositif ; qui faisait ça, la philosophie générale, le détail des protocoles…

Pendant 3 ou 4 mois, je suis allée me documenter auprès des gens qui mettent en place cette justice mais aussi du côté de ceux qui y ont participé. Ces rencontres se terminent, qu'on le veuille ou non, par des gens qui se prennent dans les bras. Après, est-ce qu'ils vont être amis toute leur vie, est-ce que ça va conditionner le reste de leur vie, est-ce que plus jamais ils ne vont récidiver ? On n’en sait rien. C’est juste un outil concret, pensé, précis, qui a de très bons résultats, qui existe et qui est à notre portée. Chacun se répare et répare les autres et se répare en se réparant… Quand je me suis documentée, tout le monde semblait dire que c’était ultra puissant qu'à la fin ça tissait des liens, j’ai essayé de comprendre pourquoi ça marchait.

Quand j’ai eu terminé, que j’ai bien compris toutes les étapes (la place des membres de la communauté, les entretiens de préparation avant, les rencontres entre trois victimes, puis les trois auteurs, puis tout le monde…), j’ai compris que c’était impossible que ça ne marche pas, que ça ne tisse ne serait-ce qu’un tout petit peu de lien. Au bout de 15h d’échanges où les gens se mettent à nu les uns en face des autres, il y a une reconnaissance de l'humanité et de la souffrance des autres, on se dit que l’autre fait penser à son frère, etc. L’autre nous ressemble même si on est irréconciliable et qu'on n'ira pas boire un boire un verre avec lui, on le comprend un tout petit peu mieux.

C’était une promesse de cinéma, ce terrain de jeu : j'ai vu du cinéma partout et l'opportunité d'écrire des rôles riches et intéressants pour les acteurs – ce qui est ma motivation première.

Comme pour Pupille, vous n’avez voulu montrer que ce qui fonctionne…

C’est vrai, c’était encore plus criant pour Pupille. J'aurais pu tout à fait décider de montrer un service qui dysfonctionne, qui rate à cause de la souffrance ou de difficulté bien travailler – ce qui est aussi une partie du réel. Il se trouve qu'il y a des services qui fonctionnent bien et qui arrivent à mener les missions qui leur sont confiées. Mais je suis quelqu'un d'assez positif et optimiste de nature. Même si je voulais montrer ce qui ne va pas bien, je pense que je le ferais très mal. Il y a une petite prime dans le cinéma français à la noirceur et aux mauvais sentiments ; il se trouve que j'adore explorer les bons sentiments. Je sais plutôt montrer ce qui est beau et qui marche bien, dire qu’on devrait le protéger ou le promouvoir. Ça me ressemble plus.

Vous avez vu du cinéma et des rôles partout lors de vos recherches. À l’écriture, est-ce que vous pensiez “rôles” ou déjà “comédiens” ?

Les deux. Mais avant de penser rôle, je pense situation. Mettre des braqueurs en face de gens qui ont été braqués, déjà c'est très fort d'un point de vue situationnel. C’est formidable ça à écrire et à jouer pour des acteurs ; après il faut choisir la typologie de crimes, quel endroit des agressions explorer etc. Et puis, il y a un souci d'équilibre : autour de ce cercle, je veux qu’il y ait toutes les tous les corpulences, toutes les origines ethniques, tout type d’âge… Ça donne des personnages qui s’affinent petit à petit.

Parfois, ce sont des acteurs qui me donnent envie d'écrire certains personnages ; d’autres arrivent en fin de parcours. Il se trouve que pour Gilles Lellouche, Élodie Bouchez et Leila Bekhti, j'ai vraiment écrit pour eux ; quand j’ai débuté ma documentation, je savais déjà que je proposerai à Gilles le rôle d'une victime, pareil pour Leila. Et pareil pour Élodie : je savais que je lui proposerais un rôle de médiatrice. Évidemment, ça conditionne ma façon d'écrire ces rôles puisque j'ai déjà leur visage, leur voix… C'est super quand enfin, au bout du parcours, le dernier acteur vient composer le casting – en l’occurrence, c'était Fred Testot – : il a autant de légitimité et d’évidence pour le rôle que Gilles qui était au départ.

Comment travaillez-vous le texte avec vos comédiens ?

Je donne un texte qui est très très très précis et je leur demande de le respecter de manière précise jusque dans la ponctuation. Mais avant, quand même, on se fait des rendez-vous en tête à tête, on lit le texte et on l’amende. Pour le personnage de Sabine, il y avait quelque chose d'un petit peu particulier : normalement, je peux mettre pour le lecteur « elle se brise » ou « elle fond en larmes », mais généralement je dis aux acteurs de se débarrasser tout de suite de ces intentions : s’ils doivent pleurer dans la séquence, ils pleurent. Il y avait deux-trois rendez-vous de larmes qui étaient importants pour moi dans le film, notamment celui de Sabine. Là, il me fallait son craquage. J’en avais besoin. C’est beaucoup plus de pression pour les acteurs, c'est vachement dur.

Il y a deux fils narratifs qui se croisent. Celui du cercle — qui, davantage qu’un dispositif théâtral, évoque quelque chose d’orchestral — et celui de la soliste pour les séquences avec Adèle Exarchopoulos. La direction d’acteurs était différente entre la partie orchestre et la partie soliste ?

Déjà, je suis d'accord avec vous sur le côté orchestral plus que théâtral : c’est comme ça que je le vis vraiment ; c'est pour ça que je parle de partition et de voix. Pour moi, je fais du cinéma avec l’oreille et l'image sonne juste ou pas. Mais c'est le son qui la fait sonner juste. Ce sont les mots qui construisent tout, y compris les images. Je construis des images avec des mots ; c'est pour ça que je ne suis pas une femme d’images, même si je suis réalisatrice.

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