Louis Leterrier (Fast & Furious X) : « Mon art, c'est l'explosion »

Fast & Furious X / En une vingtaine d'années de carrière essentiellement outre-Atlantique, le réalisateur français ayant débuté chez Besson a gagné ses galons : le voici sur le point de conclure l’une des plus rentables (et rapides) franchises hollywoodiennes, Fast & Furious. Un bonne raison de lui demander les secrets d’un film d’action, genre où il excelle…

Vin Diesel a dit que qu’une saga devait se terminer « avec dignité et intégrité ». Est-ce que ce sont des valeurs que vous partagez et comment les avez-vous travaillées ?

Louis Leterrier : Quand Vin parle de ça, il parle de tous ces acteurs qui sont rentrés dans cette franchise, mais aussi de son ami Paul Walker disparu, ou encore du respect dû au public qui, depuis 25 ans, a fait d'un petit film une franchise vue dans le monde entier. Je partage absolument ces valeurs parce que je me retrouve de l'autre côté du miroir : je suis Mia Farrow dans La Rose pourpre du Caire ! J’étais le fan de Champs-Élysées en 2001 qui, devenu réalisateur, va finir sa franchise. Ça n'arrive jamais ! C’était les balbutiements de ma carrière, je regardais ce film-là en disant : « Waah, c'est génial ça, peut-être que un jour, j'arriverai à faire un truc comme ça – mais pas ça ! »

Donc pour moi, l’intégrité c’est le respect du public, le respect des personnages et revenir en arrière. Sur d'autres épisodes, il y avait toujours une intégrité, mais ils avaient peut-être poussé un peu le bouchon un peu trop loin. Je suis revenu vers une intégrité de concept initial, en fait – ici, il y a quand même des choses un peu dingo, mais on est revenu sur Terre. Les roues sur Terre… Enfin… on a tous vu le film (rires).

Comment s’y prend-on pour tourner ces cascades, notamment cette scène de poursuite avec une énorme boule dans les rues de Rome ?

Vous pouvez poser cette question à cent réalisateurs, ils vous répondront de manière différente. Pour respecter cette intégrité, je reviens à l’essentiel. Et l'essentiel, c'est sortir de l’ordinateur pour revenir dans le physique : créer une boule réelle d’une tonne et demi, la faire débouler dans les rues de Rome ; les voitures sont vraiment conduites, le feu est réellement du feu…

La municipalité de Rome a donc accepté qu’une boule d’une tonne et demi dévale ses rues ?

On ne leur a pas dit (rires). J’y vais demain, je vais me faire engueuler ! (rires) En fait, une tonne et demi, c’était un peu trop lourd, on a fait réduire… Ensuite, on l’a faite beaucoup plus petite et on l’a entourée de caoutchouc. Le vrai problème, c’est l’accord des villes : Tbilissi dans le dernier, les autoroutes au Portugal… Pour moi, c’était important qu’on sente les choses, que ces voitures essaient d'arrêter cette boule.

Quel est le secret ou la recette d’un film d’action ?

L’action, c’est comme un éléphant qu’il faudrait manger petit bout par petit bout, bouchée par bouchée, parce qu’on ne peut pas avaler le truc tout entier : il y a ce moment-là, ce moment-là, ce moment-là… Ce qui est important, c’est de ne pas arrêter le récit quand l'action commence, les personnages sont à l’intérieur, la géographie – il faut qu'on comprenne ce qui va se passer, les enjeux, etc. Ensuite, c'est un découpage, action par action. Et puis, dans une vraie scène d'action, il y a toujours trois actes : un début, un midpoint où ça ne va pas, et puis soit le héros gagne, soit il perd.

Ici, c’est un film un peu choral, avec plein de choses qui se passent en même temps. Je pense que d'avoir fait de la télé m’a rendu meilleur réalisateur pour ce genre de films. Dans Insaisissables, j'avais 10 acteurs qui faisaient plein de choses en même temps, mais c'était scénarisé différemment. Là, c'est vraiment comme une série télé, avec 20 acteurs qui ont leur propre mission, qui s’entraident. Quand j’ai eu le scénario, j'ai fait du show running à l’envers ; j'ai écrit toutes les scènes –  j’avais six post-it/six petites scènes pour Cipher, pour Letty, pour Dom, etc. Puis j’équilibrais les scènes, je les bougeais ; les transitions étaient importantes pour passer de l’une à l’autre… Et en fait, on a tourné vraiment comme ça, on a bougé quelques scènes au montage. Mais toujours en mettant les personnages en avant.

Et le secret d’un film d’action réussi ?

C'est que le personnage reste vivant et évolue dans l’action ; que l'action fasse partie de l'histoire et de l'évolution des personnages. Le personnage sort changé et l'histoire a avancé à la fin d'une scène d’action. L’action gratuite, c’est le péché de la scène d’action. C'est un vrai problème. Après, on peut faire du spectaculaire, mais c'est jamais gratuit. Il faut toujours qu'il y ait une espèce d’évolution.

Y a-t-il des choses encore impossibles à faire au cinéma ?

Honnêtement ? Plus rien. Après, je veux pas perdre le spectateur à faire de l’impossible – même si je suis fou de rage de ne pas avoir été sélectionné pour aller dans l'espace pour tourner avec Tom Cruise, c’était mon rêve (rires). J'ai envie de pousser le cinéma dans une dimension autre. On peut vraiment tout faire. Regardez Avatar : tout est possible et de manière réelle. On est à l'aube du possible mais est-ce que ça accroche ou pas ? Finalement, il faut quand même raconter des histoires – même si c'est avec des Na’vis ou des super-héros – qui nous racontent des choses à nous, humains. Les grottes de Lascaux, c'est la même chose que Avatar.

Vous parliez de sortir de l’ordinateur mais Avatar, c'est un peu le contraire. La limite, n’est-ce pas justement l’humain ? Vous avez ici des comédiens venant d’horizon totalement différents — encore plus que dans les précédents. Faut-il une part de psychologie particulière pour entretenir et gérer ces différences d’origines, de parcours ?

C’est une très bonne question parce qu'en fait, quand j'ai lu le scénario, quand j'ai vu la distribution, j'ai vu non seulement l'étendue des acteurs, mais aussi leur gabarit – avec quatre actrices oscarisées – j’ai compris que je ne pouvais pas juste dire : « C’est la scène, action, moteur, machin, c'est parti. » Je suis arrivé sur le plateau, j’ai dit bonjour à tout le monde et je me suis enfermé dans chacune de leur caravane. J'ai passé quatre heures avec chaque personne pour commencer, histoire de "zoomer" sur l’humain. Une fois que j’ai compris l’acteur, on a parlé du personnage ensuite du film.

Parce qu’il faut que je comprenne avec qui je vais travailler – et il faut aussi qu’ils comprennent avec qui ils vont travailler. Qu'ils ont un réalisateur qui est fan mais aussi qui va les écouter et ce qui va leur apporter. Très rapidement, je me suis rendu compte qu’entre Vin Diesel et Dom Toretto, il y a trois degrés de différence. Entre Michelle et Letty, pareil. Même chose pour Charlize et Cipher. C’est pour ça qu'il y a des acteurs et des personnages dont j’ai changé la polarité. Par exemple John Cena, qui est un acteur très sympathique et un homme d'une grande gentillesse, le faire jouer le méchant dans le dernier, c’était peut-être une erreur de casting. J’ai inversé la personnalité et là, ça a marché. Parce que j'ai parlé avec lui, j’ai compris quelle personne il était. Donc son rapport avec le fils de Dom (qui n’était pas écrit comme ça) pour qu’il soit un oncle sympa qui comprend ce qu'est d'être humain grâce à son neveu. Tout ça n’est passé que par ma relation avec les acteurs.

En fait, j’adore les acteurs ! Au début de ma carrière, j'avais peur de les diriger. Un jour, je me suis retrouvé sur Insaisissables et j'ai eu Michael Caine et Morgan Freeman dans le cadre. Moi avec ces deux légendes ! On fait une première prise, elle est géniale. J’en fais une seconde juste par sécurité. Et ils se tournent tous les deux en même temps : « Tu ne vas pas nous diriger ? Tu ne veux pas nous donner une note ?Non, non, mais c'était très bien, on fait juste une sécurité. – Tu es le réalisateur, on adore être dirigés, on sait que tu as une idée ! » Et en fait, il m’ont décomplexé, on a parlé, j’ai commencé à diriger et je me suis rendu compte qu’on peut créer quelque chose tous ensemble. La réalisation n’est pas une vision, c’est un dialogue.

Beaucoup de réalisateurs français disent qu’ils sont obligés de passer par les avocats pour diriger…

Non, c'est faux. Quand on est sur un plateau, on est réalisateur. Je suis vraiment français – ici, je suis considéré comme un Américain ; là-bas comme un Français – mais pour moi l'humain est plus important que la légende, que le CV ou le salaire. Donc j’aime les acteurs, mais aussi les patrons de studio… Je ne suis pas peintre, ni sculpteur ; je ne fais pas mon travail tout seul dans un atelier. J'ai besoin de techniciens, de comédiens, d'un studio pour réaliser une vision. On en pense qu'on en veut, mais je revendique un peu mon style artistique. C'est mon art, l’explosion (rires).

Pourquoi Jason Momoa apparaît-il aussi loin dans le générique alors qu’il est l’un des rôles principaux ?

Je ne sais pas. Je pense que c'est un truc contractuel : les stars, justement, demandent d'être les derniers pour se mettre en exergue. Je pense que c'est ça.

D’où vient l’ambiguïté sexuelle de son personnage ?

En fait, de lui. Pendant la préparation, il faisait ses répétition répétitions de moto à Rome et moi j’étais en Angleterre ; on s’est appelés en visio et je lui ai demandé : « ouais c'est quoi ton idée sur le personnage, tu as parlé de quoi avec Justin [Lin, ] ? – Je pense que je suis un paon fraîchement baisé (rires) –D’accord, action ! » Ensuite j'ai vu ce qu'il avait choisi comme costume et je l’ai poussé sur une espèce de décadence ; un personnage baroque.

"Puisque tu es un paon, fais la roue” © Universal Studios. All Rights Reserved.

Avez-vous fait évoluer d’autres choses sur le tournage ?

Oui, oui. Évidemment, au départ, je restais dans les clous parce qu'il y avait l'emploi du temps à respecter. Et très rapidement, j'ai pris l'emprise sur le scénario et je me suis senti à l'aise avec cette équipe, ce casting. J’ai compris que je pouvais vraiment avancer tout en cochant les cases de ce qui était demandé pour la franchise. Pas un cahier des charges, plutôt ce qu'est la franchise, ce que les gens attendent. Si on fait juste du fan service, si on leur donne exactement la même chose tout le temps, on ne surprend pas les fans — dont je fais partie. D’où le Jason Momoa un peu dingo…

La suite (et fin) a-t-elle été tournée en même temps ?

Non, mais elle a été conçue en même temps. On sait où va finir le film et justement il y a beaucoup de choses, si vous revoyez le film, qui sont dites dans ce film-là, qui sont vraiment importantes pour la suite et la fin.

Puisque vous avez fait évoluer l’histoire sur celui-ci, vous avez donc une incidence sur la fin…

Ah oui, bien sûr. Un contrôle, surtout. C'est là où je suis honoré que Universal, les producteurs et Vin me fassent confiance. Parce que c'est vraiment ma vision de la fin de la série.

Vous serez crédité comme coscénariste ?

Je ne sais pas. Après, coscénariste, c'est lié au nombre de pages écrites sur le final draft et au nom de celui qui a envoyé les pages etc. Je m'en fiche.

Comment se renouvelle-t-on après dix films dans cette franchise depuis plus de vingt ans ? Comment apporte-t-on sa "touche française" ?

Je ne sais pas si c'est une touche française, en tout cas c'est une touche personnelle. Après, je ne sais jamais si je fais du français quand je fais des films américains ni si quand je fais Lupin en France, je ne fais pas de l’américain ici… Je fais un peu ce qui me plaît. Il me fallait trouver ma place et raconter l’histoire que j'avais envie de raconter. Et, réellement, finir cette série en apothéose humaine. J'ai la fin, on a la fin, c’est écrit. Ça finira de manière humaine et je peux vous dire que ce ne sera pas une explosion. Ça y est, ils sont allés dans l’espace, c’est fini.

Y a-t-il un territoire géographique dans lequel vous aimeriez les emmener, et un territoire cinématographique dans lequel vous avez envie d'aller rouler ?

Oui (rires) Absolument. Et c'est un endroit où l’on ne va pas souvent. En tout cas à Hollywood, on n’y va pas souvent et ça va être très intéressant d'y aller. C'est intéressant que cette série se finisse dans cet endroit où tout a commencé… (rires)

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